Une première machine « vivante » est créée
L'organisme quadrupède a un diamètre de 650-750 microns, un peu plus petit qu'une tête d'épingle.

Gros plan sur un « xenobot ».
Photo : Université Tufts/Douglas Blackiston
Prenez note que cet article publié en 2020 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Une véritable machine « vivante » a été mise au point par des scientifiques américains à partir de cellules souches prélevées sur des embryons de grenouilles.
Mi-machine, mi-organisme « vivant », ce robot a été imaginé et conçu par le scientifique Joshua Bongard et des collègues des universités Tufts et du Vermont aux États-Unis.
Appelée xenobot (en anglais) en référence à la grenouille africaine Xenopus laevis dont sont issues les cellules souches, il peut se déplacer en transportant une charge utile.
Également capable de se régénérer après avoir été coupé, il pourrait un jour transporter un médicament vers un endroit précis à l'intérieur d’un corps.
C'est une nouvelle machine "vivante". Ce n'est ni un robot traditionnel ni une espèce animale connue. C'est une nouvelle classe d'artefact : un organisme "vivant" et programmable.
La nouvelle créature
a été conçue en partie à l’aide du superordinateur Deep Green de l’Université du Vermont. Elle a ensuite été assemblée et testée par des biologistes de l'Université Tufts.
En outre, ces robots pourront permettre de décontaminer des zones radioactives, de collecter le microplastique dans les océans et de se déplacer dans les artères afin d’y retirer les accumulations de plaque.
Nous pouvons penser que ces robots "vivants" pourront accomplir de nombreuses tâches que d'autres machines ne peuvent pas réaliser.
Un algorithme évolutif avait d’abord été mis au point afin de créer des milliers de conceptions candidates pour mettre au point la machine biologique la plus parfaite possible.
Manipuler le vivant
Les humains modèlent des organismes vivants depuis au moins l'avènement de l'agriculture. Dans les dernières décennies, l'édition génétique s’est grandement développée et a même permis de créer des organismes artificiels copiant les formes d’organes ou d'animaux.
Les présents travaux ont permis de mettre au point pour la première fois des machines entièrement biologiques de A à Z.
Pour arriver à créer un xenobot capable de se mouvoir dans une direction, le superordinateur a réassemblé pendant des mois quelques centaines de cellules simulées en une myriade de formes.
Les simulations les plus réussies étaient conservées pour être raffinées, tandis que les conceptions ratées étaient rejetées.
Cette première étape a été réalisée par l'équipe de Joshua Bongard à l'Université du Vermont.
Après une centaine d'essais indépendants de l'algorithme, les modèles les plus prometteurs ont été sélectionnés pour être testés.
C’est à ce moment que l’équipe de l’Université Tufts est entrée en jeu. Le microchirurgien Douglas Blackiston et ses collègues ont recueilli des cellules souches, prélevées sur les grenouilles, puis les ont séparées individuellement pour les laisser en incubation.

À gauche, le plan anatomique d'un organisme conçu par ordinateur. À droite, l'organisme « vivant », entièrement construit à partir de cellules de peau de grenouille (en vert) et de muscle cardiaque (en rouge).
Photo : UVM/Sam Kriegman
Ensuite, délicatement, à l'aide d'une minuscule pince et d'une électrode encore plus petite, les cellules ont été coupées et réunies pour obtenir une approximation proche des dessins sélectionnés par l'ordinateur.
Première mondiale sous le microscope
Assemblées dans des formes jamais vues dans la nature, les cellules ont commencé à travailler ensemble. Celles de la peau ont formé une architecture plus passive, tandis que celles du muscle cardiaque se sont contractées et ont contribué à la création d’un mouvement ordonné vers l'avant, guidé par le modèle sélectionné et aidé par des modèles spontanés d'auto-organisation.
Le tout a permis aux robots de se déplacer seuls.
Selon leurs créateurs, ces organismes reconfigurables peuvent se déplacer de façon cohérente et explorer leur environnement pendant des jours ou des semaines grâce à des réserves d'énergie embryonnaires.
Nous venons de franchir une étape importante vers l'utilisation d'organismes conçus par ordinateur pour l'administration intelligente de médicaments.
Comprendre la cellule
Le grand questionnement en biologie est de comprendre les algorithmes qui déterminent la forme et la fonction des cellules.
Si nous savons que le génome encode les protéines, nous ne comprenons toujours pas comment ce matériel permet aux cellules de coopérer pour créer des anatomies fonctionnelles dans des conditions très différentes.
Ainsi, pour qu'un organisme se développe et fonctionne, un partage d'informations et de coopération – un calcul organique – est nécessaire en tout temps dans les cellules et entre les cellules, et pas seulement dans les neurones.
Ces propriétés sont façonnées par des processus bioélectriques, biochimiques et biomécaniques, qui sont régis avec le matériel de l’ADN
.
Ces processus sont reconfigurables, ce qui permet de nouvelles formes de vie.
Des machines inquiétantes?
Selon les chercheurs, la construction de ces xenobots est un petit pas vers le déchiffrage de ce qu'ils appellent le code morphogénétique, qui fournit une vue complète de l'organisation des organismes, mais aussi de la façon dont ils gèrent l'information en fonction de leur histoire et de leur environnement.
Cette percée et celles qui viendront dans les prochaines années mèneront fort probablement à des changements technologiques rapides et à des manipulations biologiques encore plus poussées et plus complexes, qui pourraient mener à des dérives éthiques.
Cette crainte n'est pas déraisonnable, puisque jouer dans des systèmes complexes qu'on ne comprend pas peut avoir des conséquences imprévues
, estime Michael Levin.
Beaucoup de systèmes complexes, comme une colonie de fourmis, commencent par une simple unité – une fourmi – à partir de laquelle il serait impossible de prédire la forme d'une colonie ou la manière dont les fourmis peuvent construire des ponts sur l'eau avec leurs corps interconnectés.
Selon le chercheur, la survie même de l'humanité dans le futur est liée à une meilleure compréhension des organismes vivants et de la manière dont des propriétés complexes, d'une manière ou d'une autre, émergent de règles simples
.
Le détail de ces travaux est publié dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (Nouvelle fenêtre) (en anglais).