Écrasement en Iran : des enquêteurs identifient un missile grâce aux réseaux sociaux
À l'aide des réseaux sociaux, des chercheurs ont réussi à valider des images qui semblent soutenir la thèse que le vol PS752 a été abattu par un missile. Anatomie d'une enquête web.

Certaines des images qui ont permis aux chercheurs de mener leur enquête.
Photo : Capture d'écran - Twitter
En temps de crise, les réseaux sociaux débordent souvent de toutes sortes de théories sur les causes d'un événement. Il en émerge toutes sortes de photos et de vidéos douteuses qui tentent d'expliquer ce qui s'est produit. La plupart du temps, ces publications virales se révèlent être de la pollution n'ayant rien à voir avec l'incident, lorsqu'il ne s'agit pas carrément de désinformation.
Mais dans le cas de l'écrasement en Iran, mercredi, du vol PS752 de la compagnie Ukraine International Airlines (UIA), des images qui ont émergé sur les réseaux sociaux auront possiblement aidé à expliquer la cause réelle de la tragédie.
Jeudi après-midi, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a affirmé détenir des informations qui indiquaient que l'aéronef avait été abattu par erreur par un missile iranien. Le gouvernement iranien a vite fait de balayer cette idée du revers de la main. Toutefois, le travail de chercheurs examinant des images trouvées sur les réseaux sociaux semble valider l'hypothèse du missile.
Les premières vidéos
Dans les heures suivant l'écrasement, plusieurs vidéos sont apparues sur Twitter et sur Telegram, montrant ce qui semble être une boule de feu tomber du ciel. Plusieurs internautes ont conclu que l'avion avait été abattu.
This appears to be a video of the Ukranian passenger airplane that crashed just outside of Tehran International.
— S. Rifai (@THE_47th) January 8, 2020
This doesn't look good.
pic.twitter.com/bgHEkTAmBt
Étant donné la noirceur ambiante, il était pratiquement impossible de géolocaliser ces vidéos à l'aide d'éléments du paysage. Bien qu'elles aient énormément circulé, ces vidéos ne prouvaient rien, pour l'instant. Des voix responsables ont appelé à la retenue avant de les partager.
Le lendemain, des journalistes, dont l'équipe d'enquêtes visuelles du New York Times, ont réussi à confirmer l'authenticité de certaines d'entre elles.
Two videos we verified of the crash - including this posted early on by an Iranian journalist - confirm #PS752 was ablaze, kept some altitude, before exploding and downing fast. Debris and remains spread over large area. @trbrtc geolocated a 2nd video. https://t.co/1XsjWjVkvq
— Malachy Browne (@malachybrowne) January 8, 2020
Des premières images de débris de missile
Dans la journée de mercredi, l'image d'un débris de missile s'est mise à circuler sur les réseaux sociaux.
Image is taken by a citizen journalist in #Shahriar & is sent for @AshkanMonfared_ who uploaded for first time on #Twitter here 👇https://t.co/LGPEjLa4IB pic.twitter.com/TP8Z3j8Ohs
— Babak Taghvaee (@BabakTaghvaee) January 8, 2020
L'homme qui l'a publiée offrait peu de détails et a supprimé son tweet par la suite. Toutefois, des chercheurs du média d'enquête Bellingcat ont vite fait d'identifier un débris de missile Tor-M1 de fabrication russe (Nouvelle fenêtre).
Encore une fois, peu d'éléments visuels dans l'image permettaient de la géolocaliser. L'auteur du cliché a finalement affirmé qu'il avait été pris à Parand, une ville à 40 km au sud-ouest de Téhéran. Cette ville se trouve à quelques kilomètres de l'aéroport international Imam-Khomeini, d'où est décollé l'appareil.
Or, le vol PS752 a cessé de communiquer alors qu'il se trouvait au-dessus de cette ville, selon le site FlightTracker24 (Nouvelle fenêtre).
Puis, tôt jeudi matin, une deuxième image du même débris a émergé.
Second image (right) of Tor anti-aircraft missile debris, supposedly from near the #PS752 crash site. Still unverified, and still going to be very hard to geolocate it based on what's visible in the image. h/t @Liberalist_30 pic.twitter.com/TQNRp6hopj
— Eliot Higgins (@EliotHiggins) January 9, 2020
Il était toujours impossible de confirmer la thèse du missile, mais il s'agissait quand même d'éléments intéressants. La validité de ces images n'a toutefois toujours pas été confirmée.
À lire aussi :
Une vidéo choquante apparaît
Jeudi après-midi, une nouvelle vidéo s'est mise à circuler, montrant supposément le moment de l'impact entre l'aéronef et le missile. Celle-ci proviendrait du réseau social Telegram, mais peu de détails sont disponibles. On ne connaît pas, par exemple, le lieu où elle a été tournée.
New video from Telegram pic.twitter.com/DVBnIgzbwH
— Roman_01 (@Roman_012) January 9, 2020
Cette fois, par contre, des éléments visuels nous donnent des indices. On voit des bâtiments et ce qui semble être un chantier de construction. On remarque aussi un délai de quelque 10 secondes entre l'éclair et le son de l'explosion. Un petit calcul à l'aide de la vitesse du son permet de déterminer que la vidéo a été tournée à environ 3 km de l'explosion.
One of our researchers has a couple of ideas... thoughts?
— Aric Toler (@AricToler) January 9, 2020
35.489414 50.906917 facing northeast
Maybe this is the cement mixer/water tank? pic.twitter.com/sseh1lyEFb
Cela laisse peu d'options : la ville de Parand est la seule qui se trouve dans un rayon de 3 km de l'endroit où l'avion a cessé de communiquer. La course à la géolocalisation de la vidéo est lancée.
Un endroit probable trouvé
Les chercheurs parcourent Google Maps à la recherche d'un endroit qui correspond à la vidéo. C'est tout un casse-tête, car Parand déborde de bâtiments identiques, qui ressemblent beaucoup à ceux que l'on voit dans la vidéo.
Quelques heures plus tard, un chercheur trouve un endroit qui semble concorder.
One of our researchers has a couple of ideas... thoughts?
— Aric Toler (@AricToler) January 9, 2020
35.489414 50.906917 facing northeast
Maybe this is the cement mixer/water tank? pic.twitter.com/sseh1lyEFb
Non seulement les bâtiments ressemblent à ceux qu'on voit dans la vidéo, mais d'autres éléments du paysage correspondent aussi, notamment la présence d'un chantier de construction.
Peu de temps après, le journaliste Christiaan Triebert, du New York Times, annonce que le quotidien a pu contacter l'auteur de la vidéo et confirme l'endroit trouvé par les chercheurs (Nouvelle fenêtre). La personne qui a tourné la séquence affirme qu'elle a commencé à filmer après avoir entendu quelque chose comme des coups de feu
.
Mise à jour (10 janvier) :
En début de journée, vendredi, des enquêteurs ont obtenu des photos et vidéos prises au même endroit qu'ils avaient identifié. Résultat : il s'agit bel et bien du lieu exact où la vidéo a été tournée.
Here is a photograph from the exact location that we geolocated last night. Photo taken today. Angle is only about 5-6 m to the left. pic.twitter.com/HZbnx9FijD
— Christo Grozev (@christogrozev) January 10, 2020
Si la véritable enquête se poursuit, des chercheurs sur le web auront pu confirmer des bribes d'information trouvées sur les réseaux sociaux et possiblement ajouter de nouvelles informations.