Donald Trump justifie la mort du général iranien Qassem Soleimani

Les précisions de Marie-Claude Morin
Photo : Reuters / Tom Brenner
Le raid aérien qui a tué le puissant général iranien Qassem Soleimani à la demande de Donald Trump visait à « arrêter » une guerre et non à en commencer une, s’est justifié vendredi le président américain, quelques heures avant une seconde frappe.
Prenant la parole depuis Mar-a-Lago, en Floride, où il est en vacances, Donald Trump a assuré qu’il ne cherchait pas de changement de régime
à Téhéran.
Il a toutefois lancé une mise en garde aux terroristes
qui s’en prennent aux Américains, trois jours après une attaque contre l'ambassade américaine dans la capitale irakienne.
« Nous vous trouverons. Nous vous éliminerons. Nous protégerons toujours nos diplomates, nos soldats, tous les Américains et nos alliés. »
Après des rumeurs faisant état d'un nouveau raid contre les miliciens du groupe Hachd al Chaabi, la coalition anti-groupe armé État islamique dirigée par les États-Unis a nié avoir effectué quelque bombardement que ce soit près de la base de Taji, au nord de Bagdad.
Plus tôt samedi, la milice – majoritairement composée de factions pro-iraniennes – a affirmé que des frappes aériennes près de la base de Taji avaient fait six morts et trois blessés graves.
Selon la télévision publique irakienne, les frappes ont été menées par l'armée américaine.
Soleimani, un « terroriste »
En conférence de presse, le président américain a affirmé plus tôt vendredi que le général Soleimani, qu'il a qualifié de terroriste numéro un
dans le monde, préparait des attaques imminentes
contre des diplomates et des militaires américains.
Il a de nouveau ciblé directement le numéro deux d'une milice pro-iranienne en Irak comme le responsable des attaques d'Américains et de l’ambassade à Bagdad.
Soleimani avait fait de la mort d'innocents une passion répugnante
, a-t-il ajouté, assurant que ses prochaines cibles étaient d’autres installations américaines.
Donald Trump a aussi justifié son ordre de tuer, qui n’avait pas été préalablement approuvé par le Congrès, par son obligation la plus solennelle
de défendre la nation américaine.
« Soleimani complotait pour lancer des attaques imminentes et malfaisantes [...], mais nous l'avons pris sur le fait et l'avons éliminé. »
J'ai un profond respect pour le peuple iranien
, a poursuivi l’élu américain, assurant de nouveau qu’il ne cherchait pas à renverser le pouvoir en Iran.

Qassem Soleimani, vu ici en mars 2015, a été tué vendredi dans une frappe aérienne américaine.
Photo : Associated Press
Le commandant militaire dirigeait la force Al-Qods, l'unité d'élite des Gardiens de la révolution, l'armée idéologique de la République islamique.
Il était considéré comme l'une des figures militaires les plus influentes du régime iranien.
« Mort à l'Amérique »
L'Iran a promis de venger la mort du général Qassem Soleimani.
Cette vengeance s’exprimera par des mesures juridiques internationales
, a déclaré vendredi le ministre des Affaires étrangères de l’Iran, Mohammad Javad Zarif.
C'était clairement une action terroriste
, a-t-il affirmé.
De ce fait, le représentant de l'Iran à l'ONU a plaidé dans une lettre acheminée au Conseil de sécurité des Nations Unies « qu'elle se réservait le droit d'exercer sa légitime défense en vertu des lois internationales ».
Des dizaines de milliers de personnes manifestaient pendant ce temps en Iran, où trois jours de deuil ont été décrétés. Mort à l'Amérique
, scandaient les manifestants.
« Les États-Unis doivent savoir que leur attaque criminelle contre le général Soleimani a été leur plus grave erreur. [...] Ces criminels subiront une dure vengeance au bon endroit et au bon moment. »
Le guide suprême iranien Ali Khamenei et le président Hassan Rohani ont eux aussi appelé à la vengeance.
Envoyer un « signal fort »
Difficile cependant de prédire la suite des événements, estiment de nombreux experts.
Même si Qassem Soleimani était un général très important, il s’est fait remplacer par son adjoint quelques heures après sa mort, rappelle Thomas Juneau, professeur et spécialiste du Moyen-Orient à l’Université d'Ottawa, en entrevue au 15-18. Il y a aussi une série d'officiers sous son commandement qui seront capables de poursuivre la mission de l'organisation.
Autant c’était spectaculaire comme geste, concrètement ça affecte assez peu la performance de l’Iran
, poursuit-il, présentant l'ordre d'exécution de Donald Trump comme l'envoi d'un « signal fort » à l'Iran.
On a beau éliminer l’homme, son réseau est encore en place. Ses capacités sont encore en place
, acquiesce le chercheur associé à l’Observatoire sur les États-Unis à la Chaire Raoul-Dandurand, Francis Langlois, à ICI RDI.
On est plutôt sur une affirmation de puissance
, poursuit Myriam Benraad, à Midi Info.
La politologue et chercheuse associée à l'Institut de recherches et d'études sur les mondes arabes et musulmans estime cependant que l'Iran n'a pas les moyens de confronter les États-Unis.
« Ils sont face à une puissance mondiale. Trump a voulu en donner la preuve. »
La chercheuse ne croit pas que les États-Unis ni l'Iran aient intérêt à déclencher une guerre dont les effets pourraient être terribles
. Myriam Benraad s'attend plutôt à un geste d'apaisement, malgré l'escalade incontestable
des tensions.
Houchang Hassan-Yari, professeur émérite au Collège militaire royal du Canada à Kingston, croit pour sa part que l'Iran se trouve dans une situation intenable
. Il n’y a pas de bon choix
, selon lui, pour la République.
Elle doit réagir, mais si elle réagit militairement, elle doit confronter les Américains. Mais si elle ne fait rien, elle perd la face
, explique l'expert en entrevue à ICI RDI.
La réponse iranienne pourrait n'être ni immédiate, ni conventionnelle, ni signée, préviennent les experts.
Ceci étant dit, la position iranienne est très délicate en ce moment. Le pays est beaucoup moins puissant que les États-Unis. Dans un contexte d'escalade, ce sont les États-Unis qui gagnent, pas l’Iran
, croit Thomas Juneau.

Selon le bureau des relations médias du premier ministre irakien, il s'agit d'un véhicule en feu près de l'aéroport de Bagdad.
Photo : Associated Press / Gouvernement irakien
De son côté, l'Irak a dit redouter une guerre dévastatrice
entre ses frontières.
À la lumière des risques d'escalade sur le terrain, Washington a d’ailleurs pris la décision d’envoyer de 3000 à 3500 soldats supplémentaires au Moyen-Orient.
Le Pentagone souhaite ainsi renforcer la sécurité des positions américaines dans la région
. Ces troupes vont s'ajouter aux 750 militaires déployés plus tôt cette semaine au Koweït.
Le Département américain de la sécurité intérieure a également cru bon de préciser qu’il n’y avait aucune menace présentement à la sécurité entre les frontières des États-Unis.
Conséquences diverses
Outre les nombreuses réactions internationales générées par l’attaque américaine, cette escalade des tensions au Moyen-Orient a d’autres conséquences.
Deux compagnies aériennes, Royal Jordanian et Gulf Air, ont suspendu leurs vols vers Bagdad, craignant pour la sécurité de leurs passagers à l’aéroport. D'autres compagnies aériennes suivent la situation de près avant de prendre une décision.
Côté économique, les cours du pétrole ont également bondi devant la possibilité d’une confrontation entre les États-Unis et l’Iran. Les prix des barils ont terminé en hausse de 3,5 % pour le Brent à Londres et de 3,1 % pour le WTI à New York.
On craint notamment des perturbations voire un blocage de pétroliers dans le détroit d'Ormuz.
Ces variations des cours du brut ont également entraîné à la hausse les prix des actions des sociétés énergétiques canadiennes.
Le risque géopolitique que représente le pétrole du Moyen-Orient pourrait éventuellement avoir des conséquences sur les prix du carburant à la pompe.