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Le cinéma québécois et le défi de la parité

Presque la moitié des films subventionnés en 2018-2019 ont été réalisés par des femmes. Elles n'ont toutefois reçu que le tiers de l'enveloppe budgétaire.

Une illustration montre une réalisatrice caméra à la main.

Même si les réalisatrices prennent de plus en plus leur place dans le monde du cinéma québécois, la parité n'est pas gagnée d'avance.

Photo : Radio-Canada / Charlie Debons

De plus en plus de films sont réalisés par des femmes au Québec, notamment grâce à des mesures pour favoriser la parité chez les bailleurs de fonds publics. Malgré tout, les réalisatrices n’ont reçu que 33 % du financement alloué aux longs métrages de fiction l'an dernier, révèle une analyse de Radio-Canada.

C'est important d'avoir une culture dans laquelle tout le monde peut s'exprimer et se reconnaître, parce que sinon on se retrouve avec une cinématographie qui est biaisée, incomplète, croit Katherine Jerkovic, vice-présidente de Réalisatrices Équitables.

L’industrie accorde tout de même une place de plus en plus grande aux réalisatrices. Alors que seulement 9 % des films financés par la SODEC et Téléfilm Canada en 2009-2010 étaient réalisés par des femmes, ils composent cette année 42 % du catalogue.

On sent une réelle volonté de la part des institutions de redresser le portrait, admet Katherine Jerkovic. Les mesures de parité sont très récentes et portent déjà fruit.

Pourtant, les montants octroyés aux films réalisés par des femmes ne suivent pas la quantité de films sélectionnés, mais ils pourraient pour la première fois franchir la limite de la zone paritaire, soit 40 %, en 2019-2020.

Lorsque les institutions choisissent les films à financer, plusieurs facteurs sont pris en compte, comme la qualité du scénario, l'intérêt pour le film à l’international, le nombre de fois que le projet a été déposé et, depuis 2016-2017, le genre du réalisateur et du scénariste, les deux postes créatifs les plus prestigieux.

Tant la SODEC que Téléfilm Canada affirment qu’à projet égal on privilégie dorénavant celui d’une femme.

En 2017, la SODEC a adopté une mesure surnommée « 1+1 ». Lorsqu’un producteur souhaite déposer deux projets pour recevoir une subvention à la production, l’organisme exige qu’au moins un de ces deux projets soit écrit/coécrit ou réalisé/coréalisé par une femme.

On a fait le pari que si on nous exposait à plus de projets de femmes, leur qualité ferait la job, donc qu'ils seraient choisis sans qu'on ait à instaurer de quotas, explique Johanne Larue, directrice générale du cinéma et de la production télévisuelle de la SODEC.

On est les seuls à avoir pondu une mesure qui met la responsabilité de la parité là où elle devrait être, c'est-à-dire sur les épaules des producteurs.

Une citation de Johanne Larue, SODEC

Ces mesures ne font toutefois pas l’unanimité.

J’ai peur du backslash, avoue la cinéaste Micheline Lanctôt. Les films réalisés par des femmes en 2019 étaient tous excellents. Mais dès qu'il va y en avoir un moins bon, ou qui ne fera pas le box-office, c'est sûr que ça va nous revenir dessus. Les gens vont dire que les films de femmes, les sujets de femmes, c'est plate.

Katherine Jerkovic.

La réalisatrice Katherine Jerkovic sur un plateau de tournage.

Photo : Courtoisie

La réalisatrice Katherine Jerkovic croit tout de même que ces mesures sont nécessaires afin de changer la culture de l’industrie à long terme. La parité, en ce moment, elle est sur un respirateur artificiel. Si on enlève les mesures de parité, on perd une bonne partie des acquis.

La diversité, le prochain cheval de bataille

La SODEC ne compile toujours pas de données quant aux minorités culturelles, mais elle compte s’y atteler d’ici peu, pour ensuite être en mesure d’établir des programmes qui favorisent la diversité. D'ici là, on est sensibles à ça et on est contents quand des projets issus de la diversité se démarquent, explique Johanne Larue.

Une sensibilité partagée par Téléfilm Canada. Il y a une attente qu'on ait un portefeuille équilibré parce que Patrimoine Canada (ministère responsable de l’institution) a comme mandat de représenter le pays dans son ensemble, explique la directrice générale, Christa Dickenson.

Les hommes au sommet

Depuis dix ans, les réalisateurs dominent la liste des films à très gros budgets, selon les données compilées par Radio-Canada. Sur les 92 films qui ont reçu au moins 2,5 millions de dollars en subventions par la SODEC et Téléfilm depuis 2009-2010, seuls 12 d’entre eux ont été réalisés par une femme, soit moins d’un film sur sept.

Et même parmi les femmes qui accèdent au sommet, la moyenne de leurs subventions était 16 % plus basse que celle de leurs homologues masculins : 2,9 millions de dollars pour les réalisatrices contre 3,4 millions pour les réalisateurs.

Qui plus est, comparer les dix films réalisés par des hommes ayant reçu le plus de subventions aux dix films équivalents réalisés par des femmes montre une différence frappante entre les budgets.

Ça ne me surprend pas du tout que les femmes réalisatrices n'aient toujours pas accès à de gros budgets pour produire leurs films.

Une citation de Katherine Jerkovic, Réalisatrices Équitables

Quand les femmes ont commencé à réaliser des films, on avait tendance à les percevoir comme étant plus à risque de rater le film, ou moins aptes à gérer de grandes équipes, explique Katherine Jerkovic. Plusieurs croient donc qu’une femme ne peut pas produire de films à gros budget ou être aux commandes d'un grand succès au box-office.

Les données disponibles pour 2018-2019 et 2019-2020 indiquent toutefois une amélioration de l’industrie : les réalisatrices ont reçu en moyenne 1,24 million de dollars par film, un montant légèrement au-dessus de leurs collègues masculins, qui ont reçu en moyenne 1,2 million de dollars.

Ces données n’ont pas été utilisées dans les tableaux précédents puisqu’elles sont incomplètes : 83 films ont été sélectionnés par la SODEC et Téléfilm Canada, mais les montants accordés ne sont disponibles que pour 63 d’entre eux. Les montants déterminés au moment de sélectionner le film ne correspondent donc pas nécessairement aux montants versés.

La cinéaste Micheline Lanctôt souriante, appuyée sur ses avants-bras, parle à des acteurs autour d'elle.

Micheline Lanctôt sur le plateau d'« Une manière de vivre ».

Photo : Marlène Gélineau Payette

Même si le débat est valide, selon Micheline Lanctôt, les problèmes de l’industrie vont bien au-delà de la parité hommes-femmes.

C'est discriminatoire de favoriser le cinéma de femmes au même titre que c'est discriminatoire de donner plus d'argent aux hommes, dénonce la cinéaste. Tout ça n'aurait pas lieu s'il y avait suffisamment d'argent pour soutenir la majorité des films.

Une citation de Micheline Lanctôt, réalisatrice

La critique de la réalisatrice fait écho à tous les acteurs de l’industrie consultés dans le cadre de cet article.

Téléfilm Canada doit par exemple composer avec les mêmes budgets depuis des décennies, selon sa directrice générale. On fait ce qu'on peut avec l'argent qu’on a, laisse tomber Christa Dickenson. Et à la SODEC, l’offre de projets intéressants croît constamment, mais la société ne peut en sélectionner qu'une poignée. À chaque fois, c'est l'enfer, confie Johanne Larue.

Les deux bailleurs de fonds admettent qu’à chaque dépôt leur budget est insuffisant pour financer tous les projets qui méritent d’être réalisés.

Méthodologie

Radio-Canada a analysé 636 subventions accordées aux longs métrages de fiction en français, en anglais et en langues autochtones par la SODEC et Téléfilm Canada, de 2009 à 2019, pour un total de 435 films.

Parmi ces films, huit ont été réalisés à la fois par un homme et une femme. Compte tenu du très faible nombre (1,8 % des films), ils n’ont pas été pris en compte dans l’analyse de données.

L’année utilisée pour l’analyse est celle où le contrat a été signé. Un même film peut donc avoir reçu du financement sur plusieurs années financières. Le film Incendies a été retiré de l’année 2009-2010, puisqu’il a reçu la majorité de son financement l’année précédente.

Les montants des films sélectionnés en 2019-2020 seront à préciser à la fin des années financières des institutions, puisqu’ils ne sont pas nécessairement confirmés au moment d’écrire ces lignes.

Mise au point

Dans la version originale de notre article, le titre était Le cinéma québécois toujours loin de la parité. Par souci d’exactitude et d’impartialité, nous l’avons modifié par Le cinéma québécois et le défi de la parité.

Nous avons aussi reformulé la phrase « Pourtant, les montants octroyées aux films réalisés par des femmes ne suivent pas la quantité de films sélectionnés : ils n’ont jamais franchi la limite de la zone paritaire, soit 40 %. » pour la remplacer par « Pourtant, les montants octroyés aux films réalisés par des femmes ne suivent pas la quantité de films sélectionnés, mais ils pourraient pour la première fois franchir la limite de la zone paritaire, soit 40 %, en 2019-2020. ».

Nous écrivions également « Il faut tout de même interpréter les données de ces deux dernières années avec un grain de sel [...] », nous avons remplacé ce passage par « Ces données n’ont pas été utilisées dans les tableaux précédents puisqu’elles sont incomplètes ».

Lire la révision de l'ombudsman à ce sujet (Nouvelle fenêtre).

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