Maladie débilitante chronique : faut-il abolir l’élevage de cervidés?
Le transport d’animaux potentiellement malades d’une ferme à l’autre pose un trop grand risque, selon la Fédération des chasseurs et des pêcheurs de l’Ontario.

La maladie débilitante chronique du cervidé est indétectable avant ses derniers stades et est toujours fatale (archives).
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Un groupe de chasseurs ontariens milite pour l’abolition graduelle des élevages de cerfs, estimant que cette industrie contribue à propager la maladie débilitante chronique du cervidé (MDC). Malgré les fondements scientifiques de cette proposition, certains biologistes doutent de sa nécessité.
La MDC est l’une des plus grandes menaces pour la faune en ce moment. C’est incurable, 100 % fatal et ça affecte tous les cervidés
, souligne Keith Munro, biologiste pour la Fédération des chasseurs et des pêcheurs de l’Ontario [OFAH ou Ontario Federation of Anglers and Hunters, NDLR].
La Fédération fait pression depuis la fin des années 1990 pour l’abolition progressive des élevages de cervidés, explique M. Munro, qui se spécialise dans l’étude des cerfs de Virginie.
L'OFAHune ferme de Grenville-sur-la-Rouge, au Québec, en septembre 2018 n’a fait qu’exacerber les préoccupations de l'OFAH .
propose d’éliminer progressivement ces fermes sur une période de cinq ans tout en offrant des compensations financières aux éleveurs. L’éclosion de la MDC dansAu lieu de tenter de régler tous les petits problèmes, la seule solution efficace, c’est d’abolir progressivement cette industrie.
Le biologiste note aussi qu'il vaut mieux protéger le cheptel sauvage, compte tenu du poids économique de l'industrie de la chasse en Ontario. Dans cette province, plus de 600 entreprises offrent des services pour la chasse à l'orignal et au chevreuil, fait valoir M. Munro.
D'après les plus récentes données de Statistique Canada, l'Ontario comptait 97 élevages de cervidés en mai 2017.
Keith Munro reconnaît toutefois que la proposition de son organisation est une grosse demande
. L’abolition des élevages n’est d'ailleurs pas la seule solution mise de l’avant par la Fédération. Celle-ci milite aussi pour une meilleure éducation du public et l’analyse de toutes les bêtes d’élevages envoyées à l’abattoir en Ontario.
Une maladie presque invisible
La MDC
, en plus d’être fatale et de s’attaquer à toutes les espèces de cervidés, est pratiquement indétectable chez un animal vivant.Un animal qui tomberait malade aujourd’hui ne montrerait aucun symptôme avant peut-être 18 mois
, explique Bryan Richards, biologiste au Centre de la santé de la faune [USGS National Wildlife Health Center, NDLR], une entité gouvernementale américaine qui recense les foyers de la MDC en Amérique du Nord.
Cet animal peut répandre des agents infectieux et contaminer d’autres animaux trois mois après avoir contracté la maladie
, poursuit M. Richards.
Il est donc impossible de détecter un animal porteur de la maladie avant qu'il ne soit trop tard. La seule façon de déceler la MDC
hors de tout doute est d'abattre un cerf et d’analyser des tissus de son cerveau ou des ganglions lymphatiques.C’est en raison du transport des bêtes par l'humain que la maladie a été détectée au pays dans les années 1980. Le premier cas au Canada était un wapiti importé des États-Unis. La maladie s’est propagée par la suite avec le transport d’animaux d’une ferme à l’autre
, relate Debbie McKenzie, professeure associée de biologie à l’Université de l’Alberta qui étudie la MDC depuis près de 17 ans.
Éventuellement, la maladie a fait le saut de l’autre côté de la clôture pour atteindre la population sauvage
, ajoute-t-elle. Au fil du temps, le transport d’animaux malades a permis à la MDC de traverser non seulement les frontières terrestres, mais aussi les océans.
Au début des années 2000, on l’a détectée dans un élevage de wapitis en Corée du Sud. Ce qui était unique, c’est que l’animal qui a été testé positif portait des étiquettes canadiennes à son oreille
, rapporte Bryan Richards.
La MDC
a été détectée dans 26 états américains et trois provinces canadiennes, ainsi qu'en Corée du Sud, en Norvège, en Suède et en Finlande.À lire aussi :
Une solution imparfaite
S’il y a bel et bien une corrélation entre certaines éclosions de la MDC
et les animaux d’élevages, il faut faire preuve de prudence sur cet enjeu, préviennent les experts consultés.Est-ce que ça réduirait le potentiel de déplacement d’agents infectieux? Oui. Est-ce que ça pourrait potentiellement éliminer le mouvement d’agents infectieux? Non
, fait remarquer Bryan Richards.
La disparition des élevages ne contribuerait pas non plus à l’élimination de la MDC
dans les secteurs où la maladie s’est faufilée jusqu'à la population sauvage.Non, l’abolition des élevages n’aurait aucun impact aux endroits où la MDC existe aujourd’hui.
Debbie McKenzie partage l’avis de son collègue américain. Elle ajoute que même si on détecte la maladie dans une population en captivité, l’origine de cette infection n’est pas facile à identifier.
Il y a beaucoup de cas où des cervidés d’élevage côtoient des cerfs sauvages. Les clôtures ne préviennent pas les interactions
, indique-t-elle. Il est donc possible parfois qu’un cerf malade contamine à son tour des bêtes d’élevage.
Il se peut aussi que des chasseurs déplacent avec eux une carcasse sur de grandes distances sans savoir si elle est contaminée ou non, puisque la soumission d’échantillons à des fins d’analyse est rarement obligatoire.
Un encadrement strict nécessaire
À défaut d'un consensus sur l’abolition des élevages, un point fait l'unanimité chez les spécialistes : il est primordial de bien encadrer le transport de cervidés.
Si vous ne l’avez pas [la maladie], faites tout en votre pouvoir pour ne pas vous retrouver avec la MDC
.
Contrairement à l'OFAH
, la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs (FédéCP) ne s’oppose pas à l’élevage de cervidés, même si la maladie a été décelée dans une ferme de la Belle Province.Jusqu’à maintenant, on a travaillé d’assez près avec le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs. Pour ce qu’on en sait de notre gouvernement, les règles en place présentement suffisent pour assurer la sécurité des cerfs sauvages
, explique le biologiste de la FédéCP , Michel Baril.
Au Québec, les éleveurs de cervidés sont assujettis à de nombreux règlements stricts sur l’importation, l’identification, la surveillance et l’analyse de leurs animaux – des secteurs où l'OFAH
voudrait voir des réformes en Ontario.Au Québec, par exemple, il faut détenir un certificat attestant qu’un cervidé qu’on souhaite introduire dans la province est exempt de la MDC
, explique le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) dans un courriel.Aucune autorisation d’introduction pour des élevages n’a été délivrée depuis fin 2016.
Les éleveurs québécois doivent aussi documenter et communiquer à la province plusieurs informations au sujet de leurs animaux, comme la mort d’une de leur bête ou encore sa date d’entrée et de sortie de la ferme.
Qui plus est, tous les cervidés d’élevage de plus de 12 mois abattus dans les établissements sous inspection fédérale et provinciale sont l’objet d’un test de dépistage de la MDC
, souligne le MAPAQ . Ces tests sont aussi obligatoires pour tous les cerfs qui meurent à la ferme.
Entre 2002 – lorsque Québec a commencé à dépister la maladie – et mars 2019, 23 764 cervidés d’élevages ont été testés. La MDC
n’a été détectée que chez les 11 bêtes de la ferme de Grenville-sur-la-Rouge en 2018.En Ontario, le dépistage à l’abattoir n’est pas obligatoire, mais il est tout de même offert. Depuis 1998, 3200 cerfs d’élevage ont été testés et aucun n’était malade.
La province vient toutefois de se doter d’un plan de surveillance et d’intervention (Nouvelle fenêtre) qui prévoit restreindre l’exportation de certains animaux à partir de territoires où [la MDC ] a été dépistée
, lit-on dans un communiqué du ministère des Richesses naturelles.