L'Église dévoilera-t-elle ses secrets?

Le pape François dit avoir fait de la lutte contre les agressions sexuelles commises dans l'Église catholique une des priorités de son pontificat.
Photo : Reuters / Yara Nardi
Le pape François a levé mardi le secret pontifical sur les dénonciations d'abus sexuels ainsi que sur les procès et verdicts en la matière. Nous avons posé six questions à notre spécialiste du Vatican, Alain Crevier, afin de mieux comprendre le geste.
Doit-on croire l’Église catholique lorsqu’elle dit qu’il s’agit d’une décision historique?
Il y en a qui auraient souhaité que l’historique
se produise depuis très longtemps! [Rires] On dirait que le Vatican n’a pas entendu les victimes qui, elles, réclament ça depuis qu’elles ont été agressées. Ça fait tellement longtemps, et ça allait tellement de soi! Mais soyons bons joueurs : c’est un pas dans la bonne direction. Mais c’est un bien petit pas.
Peut-on s’attendre à une révolution?
Non, parce que le sujet est trop vaste, trop profond. Les victimes, qui réclamaient ce changement depuis des années, soutiennent que le Vatican est particulièrement opaque dans ces histoires-là. Ceux qui savent et qui parlent sont excommuniés. Cette loi du secret vise non seulement à protéger les procédures juridiques du Vatican, mais aussi l’Église elle-même.
Le pape se rend à l’une des demandes de la société civile, mais ça ne règle pas tout.
Qu’est-ce que ça va changer dans le dossier des prêtres pédophiles?
C’est la vraie question. Le secret pontifical rendait toute la question de la transparence impossible. Ça faisait en sorte que toutes les procédures qui visaient des religieux dans des histoires d’agressions sexuelles étaient inaccessibles du public.
Par exemple, dans la dernière année de Benoît XVl, en 2011-2012, le scandale faisait rage et on a appris, tout à coup, que le pape avait défroqué des centaines de prêtres. Mais le problème, c'est qu'on ne savait ni pourquoi, ni comment, ni quand. Ces procédures se font derrière des portes closes.
Ce qui est significatif et assez choquant, c’est qu’on nous dit que la décision de mardi va faciliter le transfert des dossiers à la société civile. Quand on apprend qu’un enfant a été agressé, pourquoi retenir de l’information? C’est ce que le pape François appelle le cléricalisme, c’est-à-dire que le clergé se situe au-delà de vous.
Peut-on maintenant s'attendre à ce que dès qu'un crime sera commis par un membre du clergé, le réflexe sera d'appeler la police?
Prenons le cas de Terre-Neuve (Nouvelle fenêtre), où des prêtres ont agressé 300 ou 400 enfants sur une période de plusieurs décennies à l'orphelinat Mount Cashel. Est-il légitime d’imaginer qu’autour de cet orphelinat, personne n’était au courant? Dans la communauté, il y avait des policiers, un maire, des gens qui font du service social... Des commissions d’enquête nous ont finalement montré que tout le monde était au courant.
Idem dans le cas de l’abbé Paul-André Harvey, à Chicoutimi. Peut-on imaginer un instant que les amis, les autres prêtres, n’étaient pas au courant? Et je ne parle pas de l’évêché. Pourquoi n’ont-ils rien dit?
Ce n'est pas seulement de faciliter le transfert d’information d’une cause criminelle vers la société civile. Maintenant que le pape lève le secret pontifical, [faut-il] s'attendre à ce que [les personnes de] l’entourage des agresseurs d'enfants sortent sur la place publique pour raconter ce qu’[elles] ont vu? J’ai un doute.
Est-ce que cela touche seulement les archives du Vatican ou va-t-on aller jusqu’au diocèse?
Dans les diocèses, il y a ce qu’on appelle des archives secrètes. Il y a des trucs là-dedans qui nous intéressent, comme société civile. Particulièrement quand on parle des enfants qui ont été agressés par des religieux et des religieuses. Il n’y a, semble-t-il, qu’une personne qui détient la clé de ces archives secrètes : l’archevêque. Ou l’évêque en poste.
Dans plusieurs cas, on peut se demander si l’évêque a ouvert les archives. Est-il allé voir ce qu’il y avait là-dedans? Parce qu’on croit qu'il y a des histoires de mœurs dans ces archives secrètes. Maintenant que le secret pontifical est levé sur les agressions qui touchent des mineurs, peut-on vraiment croire que les évêques et les cardinaux de ce monde, qui refusent depuis toujours de parler de ce sujet, nous ouvriront leurs archives?
Un fidèle montréalais tout ce qu'il y a de plus normal a-t-il un recours?
Aucun. C’est de l’ordre de l’absolu. Je ne sais pas ce qu’il y a dans les archives secrètes du diocèse de Chicoutimi au sujet de l’abbé Harvey, et si l’évêque ne veut pas me le dire, je ne le saurai pas.
La marmite commence à bouillir, par contre. Des avocats commencent à se demander si on devrait forcer les autorités cléricales à [dévoiler] ce qu’elles ont dans leurs archives grâce à une ordonnance de production de documents. On est rendus là. Ça serait un enjeu majeur pour l’institution de l’Église si on devait découvrir qu’elle savait plein de choses et ne disait rien.
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