Le Canada, les États-Unis et le Mexique signent leur nouvel accord de libre-échange

La vice-première ministre canadienne Chrystia Freeland, le négociateur en chef du Mexique, Jesus Seade (centre) et le représentant américain du Commerce Robert Lighthizer posent fièrement à la suite de la signature de l'ACEUM.
Photo : The Associated Press / Marco Ugarte
Les États-Unis, le Mexique et le Canada ont finalement trouvé un terrain d'entente qui ouvre la voie à la ratification formelle du nouvel accord de libre-échange liant les trois pays.
L'accord commercial a été signé mardi à Mexico, en présence de la vice-première ministre canadienne, Chrystia Freeland, du représentant américain au Commerce, Robert Lighthizer, et du sous-secrétaire du Mexique pour l'Amérique du Nord, Jesus Seade, après des mois d'intenses négociations entre les trois pays.
La nouvelle avait été tour à tour confirmée en matinée par le président mexicain Andres Manuel Lopez Obrador et par la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, la démocrate Nancy Pelosi.
Visiblement heureuse d'avoir mené à bon port cet épineux et très complexe dossier, Chrystia Freeland a assuré les Canadiens que le traité qu'elle s'apprêtait à signer n'avait pas seulement préservé l'ancien ALENA, mais qu'il l'avait modernisé en faisant entrer l'ancien pacte dans le 21e siècle.
« Ça a été un chemin tortueux et parfois pénible, mais nous avons réussi parce que nous avons appris à travailler ensemble. »
Aujourd’hui, le Canada, les États-Unis et le Mexique ont convenu d’apporter des améliorations au nouvel ALENA afin de renforcer le règlement des différends entre États, la protection des travailleurs, la protection de l’environnement, la propriété intellectuelle et les règles d’origine pour le secteur automobile, et de veiller à ce que les médicaments les plus avancés demeurent à un prix abordable pour les Canadiens et les Canadiennes
, a déclaré Mme Freeland.
Selon celle qui a mené les négociations du début jusqu'à la fin du côté canadien, l'Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) permettra aussi à des milliers de travailleurs de bénéficier de meilleures conditions de travail et d'une protection accrue de leurs droits.
Non seulement les chaînes d’approvisionnement frontalières seront protégées, mais on augmentera les droits et la protection des droits des travailleurs d’Amérique du Nord
, a ajouté Mme Freeland.
Lors d'un point de presse donné en fin d'après-midi, la ministre a rappelé que le Canada est le seul pays producteur d'aluminium à ne pas être sujet à des tarifs américains à l'importation
, avant d'indiquer que les négociations avaient permis d'enchâsser la nécessité que 70 % des métaux contenus dans les voitures nord-américaines, notamment l'aluminium, proviennent de l'Amérique du Nord.
Selon Mme Freeland, il s'agit là d'un grand avantage pour le Québec, qui est le principal producteur de ce métal en Amérique du Nord.
Nous n'avons pas changé les dispositions à propos de l'aluminium dans le cadre du nouvel accord
, a assuré la ministre.
« Nous nous sommes battus en compagnie des travailleurs, des représentants de l'industrie, des représentants du gouvernement du Québec, et nous avons gagné. »
C'est une situation gagnant-gagnant-gagnant
, a-t-elle ajouté, en parlant des négociations qui ont permis de signer une version modifiée de l'accord.
Pas de gains, mais pas de pertes
Selon Richard Ouellet, professeur en droit international économique à l'Université Laval, il n'y a effectivement pas de pertes en ce qui concerne les dispositions touchant l'industrie canadienne de l'aluminium, mais il n'y a pas de gains non plus.
Ainsi, si l'industrie de l'acier obtient un resserrement progressif des règles concernant les pays d'origine, histoire de s'assurer que les voitures nord-américaines contiennent au moins 70 % d'acier provenant de ce continent, il n'existe pas de dispositions similaires pour l'aluminium, mentionne M. Ouellet.
On n'a pas concédé quelque chose; c'est un fait qu'il y a un gain dans le secteur de l'acier qui n'est pas tout à fait là dans le secteur de l'aluminium
, a-t-il précisé sur les ondes de RDI économie.
De son côté, Jean Simard, président et chef de la direction de l'Association de l'aluminium du Canada, reconnaît que la règle des 70 % de métaux nord-américains dans les voitures du continent est positive, mais qu'il faudrait aller encore plus loin en définissant, de façon plus approfondie, la notion d'aluminium produit dans le contexte de l'accord
.
Selon M. Simard, la méthode d'application de cette disposition de l'accord ne correspond pas à la réalité des constructeurs automobiles. Un constructeur n'achètera pas de métal directement du producteur, mais plutôt des grands laminoirs qui sont situés aux États-Unis et qui peuvent s'approvisionner un peu partout dans le monde
, a-t-il souligné, lui aussi sur les ondes de RDI économie.
« Il n'y a aucune assurance, pour les producteurs d'aluminium du Canada, que le marché va répondre à ce signal politique et modifier un comportement pour se procurer du métal fabriqué ici. »
M. Simard soutient que les producteurs se sont battus, en vain, pour imposer des normes concernant l'origine régionale du métal utilisé par les constructeurs automobiles.
Ce que l'on visait, entre autres, c'était de corriger ce que l'on appelle la faille mexicaine, où le Mexique s'est constitué un marché en utilisant du métal importé de Chine à moindre prix, qu'ils transforment pour l'utiliser dans des produits qui entrent ensuite dans la composition de voitures vendues sur le marché nord-américain
, a poursuivi M. Simard.
La Chine entre aux États-Unis via le Mexique
, a-t-il dit.
[La ministre Freeland] a raison : on n'a rien changé. On demandait de changer [les règles touchant l'aluminium]; on n'a rien eu.
M. Simard a aussi mentionné que les alumineries québécoises avaient déjà commencé à perdre des plumes face aux fournisseurs américains, et donc potentiellement chinois.
Il demande aux gouvernements provincial et fédéral d'assurer la compétitivité de notre industrie dans un marché qui vient de subir un changement affectant nos parts de marché
.
M. Simard exige également que le Mexique soit mis sous pression pour respecter les règles du jeu
.
Une préoccupation relayée par le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, qui a prévenu en après-midi que son parti n'appuiera pas le nouvel accord commercial s'il sacrifie les travailleurs de l'aluminium, une industrie majeure au Québec.
Un accord avantageux, dit la ministre
Par ailleurs, tous les changements apportés pour obtenir l'aval de la majorité démocrate à la Chambre des représentants, principalement des points portant sur les conditions de travail et la protection de l'environnement, sont en faveur de l'intérêt national canadien
, a précisé la ministre Freeland.
Parmi les différentes nouveautés à l'avantage du Canada, Mme Freeland a évoqué le nouveau mécanisme de règlement des différends, qui survient à un moment opportun, dit-elle, alors que le système de gestion des différends de l'Organisation mondiale du commerce est remis en doute
.
Conclu en 1994, le premier Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) entre le Canada, les États-Unis et le Mexique a créé une vaste zone de commerce protégée regroupant près de 500 millions d’habitants.
Trump se réjouit
Son vis-à-vis américain lors des négociations, le représentant américain au Commerce, Robert Lighthizer, a pour sa part souligné le travail concerté de l'administration Trump, des démocrates et des dirigeants syndicaux américains qui a conduit à la conclusion de cet accord historique.
« Ce n'est rien de moins qu'un miracle que nous y soyons tous parvenus ensemble. »
À la Maison-Blanche, le président Donald Trump a brièvement manifesté sa satisfaction avant la signature du nouvel accord commercial qu'il a obtenu à la suite des pressions exercées par son administration sur le Canada et le Mexique au début de son mandat.
« Ce sera le meilleur et le plus important accord commercial jamais conclu par les États-Unis. Bon pour tout le monde - agriculteurs, fabricants, énergie, syndicats - un soutien formidable. »
Il s'agit en effet d'une victoire pour le président qui a donné l'impulsion à la renégociation de l'ALENA qu'il menaçait de déchirer en 2016 si le Canada et le Mexique refusaient de le rouvrir.
Nous allons finalement mettre un terme au pire accord commercial de notre pays, l'ALENA!
, a-t-il ajouté.
Un accord amélioré, selon Nancy Pelosi
À Washington, la présidente de la Chambre des représentants, la démocrate Nancy Pelosi, a affirmé que le nouvel accord servira de modèle aux futurs accords commerciaux des États-Unis.
Selon elle, il n'y a aucun doute
que l'ACEUM est meilleur que l'ALENA
et infiniment meilleur
que ce qu'avait initialement proposé l'administration Trump.
Lors d'un événement organisé lundi soir par le Wall Street Journal, Mme Pelosi a affirmé que cela ne lui posait aucun problème d'approuver un accord originalement négocié par l'administration Trump, quitte à ce que ce dernier en revendique la victoire.
Il y a des gens ça et là qui disent : "Pourquoi donnerais-je une victoire au président Trump?" Eh bien, pourquoi pas? C'est la bonne chose à faire pour notre situation commerciale, pour nos travailleurs
, a-t-elle laissé tomber.
La conclusion d'un accord permet aussi à Mme Pelosi de souligner que le travail législatif de la Chambre des représentants se poursuit, malgré les efforts des démocrates visant à destituer le président Trump.
En ce qui concerne la ratification de l'ACEUM, le président du Comité des voies et moyens à la Chambre des représentants, Richard Neal, a laissé entendre que l'ACEUM sera rapidement soumis à l'approbation du Congrès, étape incontournable pour sa ratification.
Le gouvernement Trudeau avait quant à lui indiqué en juin que le nouvel ALENA serait soumis au Parlement canadien pour ratification en même temps qu'au Congrès des États-Unis.
Une première version de l'ACEUM avait été signée en novembre 2018 et ratifiée par le Mexique, mais la Chambre des représentants réclamait diverses modifications avant de l’approuver.
Une fois ratifié, l'ACEUM remplacera l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qui encadre les relations entre les trois pays depuis bientôt 26 ans.