Traite de personnes : 1000 appels en 6 mois à la ligne nationale pour les victimes

La traite de personnes touche autant les résidents des régions rurales que ceux des villes.
Photo : Shutterstock
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
La première ligne d’urgence nationale sur le trafic de personnes n’a que six mois d’existence, mais s'impose déjà comme un outil essentiel pour aider les victimes, selon le Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes. Depuis son lancement, plus de 1000 signalements ont été reçus.
Si cette ligne avait existé quand j’étais une victime, toute seule dans ma chambre d’hôtel, si j’avais pu parler à quelqu’un, ça aurait fait une différence
, confie Kaitlin Bick, ancienne victime d’exploitation sexuelle de ses 15 ans à ses 24 ans environ.
Je n’avais aucune idée de ce qui m’arrivait. Je pensais que j'avais un mauvais petit ami.

Kaitlin Bick a été victime de la traite de personnes pendant une dizaine d'années. Le calvaire a commencé lorsqu'elle avait 15 ans et qu'elle est tombée amoureuse.
Photo : Radio-Canada
C’est pour des personnes comme elles que le Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes a mis en place la ligne d’urgence nationale à la fin du mois de mai.
Nous savions que la meilleure défense contre le trafic d'êtres humains est un public informé
, assure la présidente-directrice générale du Centre, Barbara Gosse.
Dans un rapport des consultations sur la traite des personnes (Nouvelle fenêtre) publié en 2018 par la Sécurité publique du Canada, il était également indiqué que le manque d’information du public faisait partie des trois priorités pour combattre ce crime.
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Plus de 1000 signalements
Les signalements se font au moyen d'appels, de clavardages, de formulaires en ligne et de courriels dans plus de 200 langues, y compris plusieurs langues autochtones.
Mais, surtout, ces signalements se font en toute confidentialité, rappelle Mme Gosse.

Barbara Gosse explique qu'elle ne s'attendait pas à ce que la ligne d'urgence reçoive autant d'appels, mais elle se réjouit de voir que cet outil a été mis en place pour répondre à un besoin majeur, selon elle.
Photo : Radio-Canada
La ligne d’urgence est un outil absolument nécessaire pour le pays, parce que pour beaucoup de victimes et de survivants, contacter la police est terrifiant.
Kaitlin Bick l'a vécu. Elle était toxicomane, vulnérable, et manquait d'estime de soi quand elle a rencontré ses trafiquants. Ils m'ont dit très clairement que ce que je faisais était illégal et que j'irais en prison. Appeler la police n'était donc pas vraiment dans mes options
, se souvient-elle.
D'autant plus que le trafic d’êtres humains est un cercle vicieux : des victimes deviennent souvent elles-mêmes les auteures de cette pratique. Kaitlin raconte avoir été chargée par ses trafiquants de recruter des jeunes femmes.

« Cela se produit dans nos communautés » est écrit en métchif ou mitchif, une langue mixte à base de cri et de français.
Photo : Affiche de prévention et de sensibilisation du Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes

Un dépliant de sensibilisation et de prévention fait par le Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes.
Photo : Affiche de prévention et de sensibilisation du Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes
Collecter des données
La traite des personnes est un crime secret et clandestin, systématiquement sous-déclaré à la police, ce qui rend les statistiques fiables difficiles à obtenir. L’objectif de cette ligne d’appel est aussi de collecter des données, explique Barbara Gosse.
Cela permettra de déterminer quels types de traite de personnes se produisent. Mais aussi où ces cas sont les plus élevés au pays et comment nos services peuvent fournir des informations aux forces de l’ordre afin de démanteler, si possible, les réseaux
, dit-elle.
Et ce travail a déjà commencé, souligne le responsable de la gestion des cas et des partenaires de l'organisme, Ram Rammaya.

Le responsable de la gestion des cas et des partenaires de l'organisme, Ram Rammaya, indique que la majorité des appels proviennent de victimes et de survivants.
Photo : Photo remise par le Centre canadien pour mettre fin à la traite des personnes
- Les appelants
La majorité des appels proviennent de victimes et de survivants.
Mais il y a aussi des appels de personnes qui voient des situations suspicieuses, comme des employés d’hôtel, de café, des fournisseurs de services sociaux
, rapporte M. Rammaya.
- Les lieux
Les appels ont montré que la traite de personnes se produit surtout dans les grandes villes, mais aussi dans les plus petites communautés. Les organismes d’application de la loi et les travailleurs de première ligne sont sollicités au maximum. Beaucoup de gens pensent que cela se produit à l'international, mais ce n'est pas le cas, ça arrive ici
, indique Mme Gosse.
Les services d’escorte, les locations de courtes durées, les hôtels, les salons de massages, les bars, les résidences privées et même devant les écoles sont des endroits où la traite se passe.
Les refuges et les établissements d’assistance sociale sont aussi des lieux où les trafiquants trouvent leurs victimes, précise Kaitlin Bick, qui travaille désormais auprès des populations vulnérables.
À Toronto, elle raconte que le terminal d’autobus au coin des rues Bay et Dundas est l'un des lieux de prédilection pour trouver des personnes tout juste débarquées dans la Ville Reine.
Il y a des gens qui attendent dehors et qui viennent vous demander : "Oh, mon dieu, es-tu perdue, as-tu besoin d’un ticket de bus? Tu ressembles à quelqu’un qui a besoin d’un ami"
, raconte-t-elle.
- Les populations à risque
Les personnes défavorisées socialement et économiquement sont plus à risque, mais surtout les femmes et les filles qui vont vers les grands centres urbains.
Selon les dernières données de Statistique Canada, 70 % des victimes sont des femmes de moins de 25 ans, tandis que 80 % des trafiquants sont âgés de 18 à 34 ans, dont 66 % sont des hommes.
- Des signes distinctifs
La ligne d’urgence a permis à l’équipe de déceler des signes clairs chez les victimes de la traite.

Les symptômes montrant qu'un individu est possiblement victime de traite de personnes.
Photo : Radio-Canada
Le Centre s’engage par ailleurs à publier un premier rapport de données annuelles à l’automne 2020.
Pendant et après l'appel
Le personnel du Centre a été formé pendant plus de 60 heures sur comment aider la victime
en fonction de ses besoins d'hébergement et services.
Le détective David Correa, de la police de Toronto et qui fait partie de l’équipe de lutte contre la traite de personnes, dit déjà remarquer une différence depuis que la ligne a été lancée. Un protocole et des stratégies ont été mis en place pour recevoir les recommandations du Centre et gérer le risque associé aux différents appels.
Les conseils qui proviennent du Centre sont très complets, très bien organisés. C’est très utile et cela nous permet d’accélérer les enquêtes
, considère-t-il.
Le détective précise que son unité n’a pas encore procédé à des arrestations liées à ces appels, mais que plusieurs enquêtes sont actuellement en cours.
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Ce que font les gouvernements
Cette ligne téléphonique a été financée par le gouvernement fédéral, qui s’est engagé à verser 14,5 millions de dollars sur 5 ans dans son dernier budget pour lancer le projet.
En septembre, Ottawa a revu son budget à la hausse pour lutter contre la traite des êtres humains, et investira 75 millions de dollars sur 6 ans.
De son côté, l'Ontario a annoncé fin novembre investir 20 millions de dollars dans cette lutte. L'Unité provinciale de lutte contre le trafic d'êtres humains, qui coordonne l'échange d'informations, recevra ainsi plus de 2 millions de dollars.
Entre 2009 et 2016, plus de 60 % des infractions liées au trafic de personnes au Canada ont eu lieu en Ontario, selon les données transmises par la police.
La GRC a pour sa part recensé 708 affaires pour lesquelles des accusations de trafic de personnes ont été déposées entre 2005 et mai 2019. De ce nombre, 685 étaient relatives à des affaires nationales majoritairement reliées à l'exploitation sexuelle.
La ligne est accessible et gratuite 24 heures sur 24 au 1 833 900-1010. Les personnes sourdes et muettes doivent composer le 711, puis demander au service de relais de les connecter à la ligne téléphonique. Un site Internet a été conçu pour être accessible aux aveugles et aux malvoyants.