Élise Gravel, artiste engagée et chouchoute des enfants

L'illustratrice Élise Gravel
Photo : Avanti Groupe / Karine Dufour
C’est l’idole de bien des enfants au Québec et de leurs parents. Depuis 2003, Élise Gravel a publié plus d’une cinquantaine de livres (La tribu qui pue, Une patate à vélo, Olga, etc.) en français et en anglais. C’est l’une des illustratrices québécoises les plus en vue dont le succès dépasse maintenant les frontières de la province. Portrait d’une artiste engagée qui utilise ses crayons tant pour faire rire que pour aborder des sujets sensibles.
Connue pour ses populaires albums, Élise Gravel l’est aussi pour ses affiches engagées sur divers sujets d’actualité qui l’inspire et qu’elle offre sur son site Internet. Les personnes réfugiées, la pauvreté, Greta Thunberg, les stéréotypes attribués aux filles et aux garçons, le respect de la différence et le consentement sont quelques-uns des sujets qu’elle y aborde. J’ai envie d’expliquer aux tout-petits ce droit d’être eux-mêmes
, justifie-t-elle.
Ce sont ses affiches engagées qui ont fait leur chemin jusqu’aux États-Unis. C’est après en avoir vu une sur les personnes réfugiées qu’une éditrice américaine lui a demandé un livre sur le sujet. Écrit d’abord en anglais, C’est quoi un réfugié? vient de sortir en français à La courte échelle.
Toutefois, Élise Gravel avoue d’emblée avoir d’abord refusé de faire ce livre, le premier où elle n’insère pas son humour qui a tant séduit les enfants.
« Ça ne cadrait pas avec mes "jokes de pets" habituelles. Je ne pouvais pas mettre d’humour dans ce sujet. Je pensais que ça n’allait pas avec moi, que c’était trop délicat comme sujet et que je risquais de me faire attaquer de tous bords, tous côtés. L’éditrice a beaucoup insisté d’une manière qui m’a touchée, en disant qu’il fallait faire quelque chose avec le fait que Donald Trump est président. Elle m'a dit : “C’est vraiment grave et ton livre pourrait avoir une portée pour aider.” J’ai donc accepté. »
Finalement, elle est heureuse de ce livre qui colle à son style. Elle s’est quand même permis d’insérer un peu d’humour dans la partie où de vrais enfants réfugiés témoignent. Ces histoires, elle les a recueillies en faisant du bénévolat dans les classes d’accueil.
Les personnes réfugiées, un sujet qui la touche
Le thème des personnes réfugiées et de l’immigration lui tient à cœur. C’est d’abord à cause de la montée de la droite et de l’extrême droite un peu partout dans le monde qu’elle aborde le sujet.
« La façon dont on traite les migrants et les réfugiés me brise le cœur, dit-elle. Les gens qui sont traités comme des chiens ou des animaux, ça va toujours être quelque chose qui me scandalise. »
Toutefois, comme ces sujets sont délicats, l’artiste précise qu’elle doit faire très attention aux mots et aux formulations qu’elle utilise. Je ne veux pas véhiculer de fausses informations, je ne veux pas offenser les gens. Je fais attention à tous les angles, aux faits, à mon point de vue, pour ne pas être attaquée. Je ne suis pas habituée; je suis totalement libre.
En plus, étant très active sur les réseaux sociaux, Élise Gravel sait qu’un tel sujet l’expose à la critique.
« Je me fais toujours rentrer dedans. C'est par une minorité, comparativement aux gens qui aiment ça, mais c’est ceux qui parlent le plus fort. Certains attaquent violemment. Parfois, les commentaires sont agressifs, vulgaires et dangereux, du monde de l’extrême droite. Je n’ai jamais eu ce genre de commentaires avant. Je ne suis pas une activiste avec la couenne dure, je suis vraiment mauviette avec ça. »
À écouter et regarder
Engagée depuis l’enfance
L’engagement social est naturel pour Élise Gravel. En fait, il lui vient de sa famille. Ma mère m’emmenait dans beaucoup de manifestations, elle était très active dans son syndicat. Mes parents parlaient de politique et d’injustice sociale
, explique l’illustratrice.
Puis, Élise Gravel a fait du bénévolat dans sa jeunesse jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’elle pouvait faire du contenu engagé dans ses dessins.
« J’ai une énorme tribune. À travers les dessins qui s’adressent aux enfants, je peux influencer la prochaine génération. C’est elle qui va vivre avec de plus en plus de migration de masse due aux changements climatiques et toutes sortes de choses. Il faut tout de suite préparer ces jeunes à vivre en harmonie avec ce qui va se passer. »
D’ailleurs, l’éditrice américaine qui l’a poussée à faire le livre sur les personnes réfugiées pour Random House Children’s Books lui demande d’autres livres plus engagés et sérieux. Son prochain sera sur le genre et l’orientation sexuelle pour les tout-petits. Il manque de ressources sur ces sujets
, soutient-elle.
Plus lucratif de publier aux États-Unis
Il y a quelques années, Élise Gravel a commencé à percer le marché américain avec plusieurs maisons d'édition et une agente, puisqu'il est obligatoire d'en avoir un ou une dans ce pays. Une vingtaine de ses livres sont déjà publiés en anglais, dont ceux des séries Olga et Les petits dégoûtants.
D’ailleurs, Élise Gravel a constaté que le marché américain est plus lucratif que celui d'ici. Elle reçoit notamment plus d’argent des maisons d’édition avant de commencer un livre, ce qui est en fait une avance sur les droits d’auteur qu’elle touchera pour les ventes de ses livres.
Elle dévoile les chiffres de ces avances que les maisons d’édition lui donnent au Québec, aux États-Unis et en France. Elle donne aussi les pourcentages de droits qu’un ou une artiste touchera sur les ventes de ses livres. Elle précise que ce sont les chiffres qu’elle connaît pour une personne qui commence et qu’ils peuvent grandement varier.
Les chiffres
- Au Québec, les maisons d’édition offrent une avance de 2000 $ à 3000 $. Les droits d’auteur sont de 10 % du prix de vente du livre.
- En France, l’avance est de 1500 € (2180 $) et les droits d'auteur sont de 6 %.
- Aux États-Unis, l’avance est de 5000 $ à 40 000 $ (6500 $ CA à 52 000 $ CA), et les droits d'auteur sont de 10 à 12 % selon le tirage.
La télévision, pas une priorité
Le dessin et l'écriture sont les priorités d’Élise Gravel. Bien qu'elle ait percé le marché américain, elle n’a aucunement le désir de devenir une marque et de développer des produits dérivés.
L’illustratrice a le même sentiment quand il est question d'adaptations pour le petit écran : Ça ne me tente pas personnellement, mais mon agente aux États-Unis pousse beaucoup, car ça augmenterait ma visibilité. Je n’ai pas envie du tout de m’impliquer dans la création d’émissions, mais je n’ai pas envie non plus qu’on fasse quelque chose sans que je m’implique. C’est difficile, car ce sont des aspects de ma carrière que je dois gérer.
Elle ajoute que des gens travaillent actuellement sur d’éventuels projets télévisuels, mais que ses conditions sont strictes et qu’elle doit donner son aval quant à ceux-ci avant qu'ils aillent plus loin.
Plus de bénévolat, moins de travail
La carrière d’Élise Gravel va bien et elle est l’une des auteures jeunesse les plus populaires au Québec. Elle n’a toutefois pas l’ambition d’en faire plus. En fait, elle entend même diminuer sa production dans les prochaines années, et faire moins de livres et plus de bénévolat, notamment dans les écoles québécoises auprès de jeunes enfants réfugiés. Elle le fait déjà et décrit cela comme un véritable coup de cœur.
« C’est super valorisant et gratifiant. Ça me fait du bien. Ce n’est pas relié à mon ego. Je suis seule avec des enfants qui ne me connaissent pas. C’est relaxant de ne pas être une vedette et de simplement faire du bénévolat. »
Elle entend aussi se reposer plus, être moins axée sur les médias sociaux et les commentaires agressifs, et être plus zen. Je peux me le permettre, car je vis maintenant de mon art et de mes livres
, conclut-elle.