Difficile de diminuer la mortalité des animaux qui traversent nos routes

Plusieurs passages construits pour faciliter la traversée des animaux n'ont pas eu l'effet escompté.
Photo : Radio-Canada / Pier Gagné
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
L’idée d’aider les reptiles, les amphibiens ou les mammifères à traverser les routes en toute sécurité gagne en popularité au Québec. Plusieurs des passages construits à cet effet au cours des dernières années n’ont toutefois pas eu l'effet escompté, selon ce que La semaine verte a pu observer.
L’écologie routière est une science relativement nouvelle qui vise à atténuer l’impact des routes sur les habitats fauniques.
Ses enseignements ont notamment été appliqués à Bolton-Est, en Estrie, où la route 245 est empruntée chaque jour par 2000 véhicules et différentes espèces de tortues qui tentent de rejoindre les plans d’eau environnants.
Plusieurs d’entre elles sont mortes sur ce tronçon de route au fil des ans, une situation préoccupante lorsqu'on sait que leur statut est précaire, explique Clément Robidoux, biologiste pour l’organisme de conservation de la faune Corridor appalachien.
« Quand on dépasse 5 % de mortalité chez les adultes, ça peut être vraiment néfaste pour une population qui peut décliner très rapidement. »
En 2017, l’organisation a convaincu le ministère des Transports du Québec (MTQ) de construire un passage terrestre et un passage aquatique pour aider les tortues à passer sous la route et tenter ainsi de préserver l’espèce.
Le bilan des deux premières années d’opération, en 2018 et 2019, effectué à l’aide de caméras numériques, montre que le passage aquatique est plus efficace que le passage terrestre en ce qui a trait à la circulation des tortues.
Les aménagements qui ont été réalisés au niveau de l'étang Peasley ont permis de réduire la mortalité
, se félicite Clément Robidoux.
Mais, là où le bât blesse, c’est que le biologiste a depuis observé une diminution de la présence de tortues vivantes sur ce tronçon de route.
Peut-être parce que les populations visées étaient déjà décimées au moment de la mise en place du projet?
L’équipe observait la présence de tortues écrasées à cet endroit depuis 2012 déjà, mais elle a dû étoffer le dossier avant de le présenter au MTQ.
On peut effectivement penser que le nombre de tortues a diminué ici
, se désole le biologiste.
L’organisme espère maintenant que des tortues d’autres secteurs viendront recoloniser l’endroit et donner un petit coup de pouce aux chances de survie de l’espèce.
Un tsunami d’infrastructures
La route 175, qui traverse la réserve faunique des Laurentides et longe le parc national de la Jacques-Cartier, a été le théâtre du plus gros projet d’écologie routière de la province entre 2006 et 2011.
La route était à l’époque l’une des plus meurtrières du Québec pour les automobilistes, à un point tel qu’on l’avait surnommée la route des coroners
.
Au milieu des années 2000, le MTQ l’a élargie à quatre voies pour la rendre plus sécuritaire.
La stratégie a porté fruit, mais la faune de la forêt boréale en a souffert, explique Jochen Jaeger, professeur au Département de géographie, urbanisme et environnement de l’Université Concordia.
« C’est une barrière pour les animaux qui deviennent captifs de parcelles de plus en plus petites. Ils finissent par être tués sur la route. »
Le chercheur cite une étude qui fait un lien direct entre la diminution de la biodiversité sur la planète et la construction d’un tsunami d’infrastructures
.
Le ministère des Transports du Québec a tenté d’aplanir les obstacles en construisant 33 passages pour la petite et moyenne faune sous la route. Une première au Québec.
Le bilan de l’opération qu'en dresse Jochen Jaeger montre que la plupart des passages sont utilisés par plusieurs espèces animales.
Mais, paradoxalement, la mortalité animale n’est pas réduite pour autant sur ce tronçon de route.
Les clôtures qui ont été installées de part et d’autre des passages pour canaliser les déplacements des animaux vers les orifices ne sont pas assez longues.
Ainsi, certaines espèces ont tendance à se précipiter sur la route pour quitter rapidement les sections clôturées et sont happées par les véhicules.
Et il n’est pas prévu de rallonger les clôtures en raison du contexte budgétaire
, explique Jochen Jaeger.
Jochen Jaeger s’en désole, surtout que beaucoup de porcs-épics et de renards roux meurent sur cette route – une préoccupation à l’égard de l’échelle de leur population.
« On est dans une réserve faunique et à proximité d’un parc national. Si on n'apporte pas de mesures correctives ici, où va-t-on le faire? »
Aucune trace du passage à amphibiens
Daniel Bergeron, qui a tracé la voie des passages à amphibiens, avait observé qu’au printemps, 91 % des amphibiens mouraient écrasés sur la route 220 au lac Brompton, en Estrie.
Le biologiste avait réussi à convaincre le MTQ de construire des ponceaux en béton sous la route pour permettre aux grenouilles, rainettes crucifères, salamandres et autres de traverser en toute sécurité.
Des barrières de déviation complétaient l’installation en dirigeant les amphibiens vers les passages.
« C'était le premier projet du genre au Canada et le deuxième en Amérique du Nord. C'était vraiment innovateur comme projet, »
Les installations ont rempli leur mission avec succès pendant longtemps.
Mais peu à peu, les barrières de déviation ont été ensevelies sous la végétation, tout comme les ponceaux.
A la fin de l’été dernier, le ministère des Transports a dû intervenir d’urgence et tout démanteler, car les ponceaux faisaient gondoler la chaussée et rendaient la circulation automobile dangereuse.
Il ne reste plus aucune trace du passage à amphibiens qui a jadis attiré l’attention du pays tout entier. Le MTQ en est à évaluer s’il pourra, ou non, reconstruire ces installations.