Pénurie de main-d'œuvre: « Il faut être fou pour choisir le métier de pêcheur! »

Chelsey Ellis et Jonathan Chiasson ont une passion commune et ressentie pour le métier de pêcheur.
Photo : Chelsey Ellis
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
« Moi, mon coeur est vraiment à la pêche aux crabes », lance Jonathan Chiasson, un Québécois qui vit sur son catamaran sur le fleuve Fraser, près de Vancouver. L’étincelle dans ses yeux éclipse presque son sourire. Le pêcheur de 38 ans avoue que, pour lancer un filet à l’eau, il faut être un peu « spécial », mais « spécial positif », précise-t-il, à travers un fou rire. « C’est juste que, pas n’importe qui peut faire ce métier. »
Ce métier particulier, de moins en moins de jeunes Canadiens le choisissent. Les longues périodes en mer à effectuer un travail qui demande une grande endurance peuvent en rebuter plusieurs. D’autant plus que le salaire incertain dépend du succès de la récolte.
Mais, pour Chelsey Ellis, les 54 jours passés au large de Nanaimo à pêcher la crevette constituent l’un de ses meilleurs souvenirs à vie. Je n’ai jamais eu autant de plaisir
, admet la jeune pêcheuse de 32 ans.
Naviguer dans un monde dominé par les hommes n’est pas un défi pour cette fille de pêcheur de l’Île-du-Prince-Édouard. Tout dépend de l’attitude de ses collègues et du respect qu’on lui porte. Mais donner des directives à des hommes plus âgés porte parfois un coup à leur ego
, ce qui peut créer des problèmes sur le bateau. Ça ne cadre pas avec leur réalité.
Et la réalité sur le bateau est tout sauf celle d'une croisière.
Sur le pont des navires qui tanguent sur l'océan, les vagues cassent sous les cris répétés de l'équipage. On se tasse, la vague passe, et on continue
, raconte Jonathan Chiasson.
« C’est physique. C’est mental. J’ai vu des durs qui, après deux jours, pleurent comme des bébés. »
À 125 livres, je fais ce que je peux!
dit Chelsey Ellis en riant. La clé, c'est l'état d'esprit, parce que, si on pense qu'on ne peut pas faire quelque chose, c'est beaucoup plus difficile, explique-t-elle.
Les journées sont longues, et le sommeil, rare. L'adrénaline qu'on ressent se compare à l'euphorie du coureur, selon Mme Ellis. La nuit venue, les pêcheurs étendent leur corps « brûlé » sur les lits superposés après des périodes de pêche intense pouvant aller jusqu'à 20 heures d'affilée.
Ça te laisse 4 heures pour dormir... mal!
s'exclame Jonathan Chiasson.
Il y aurait moins de 900 pêcheurs accrédités dans la province, selon les dernières données de WorkBC. C'est qu'il faut être fou
pour faire le métier, estime M. Chiasson, ou à tout le moins, véritablement passionné
.
« Tu ne peux pas faire ça pour l’argent, il faut que tu aimes ça. Travailler 8 heures dans un job que tu n’aimes pas, c’est long, hein? Imagine 24! »
Les communautés côtières qui comptaient autrefois des dizaines de pêcheurs en ont peut-être au mieux une poignée, note Evelyn Pinkerton, professeure à l'École de gestion des ressources et de l'environnement de l'Université Simon-Fraser.
Ce n'est pas un métier prestigieux
, avance Mme Ellis. Elle a grandi l’Île-du-Prince-Édouard. Tout le monde connaît les pêcheurs. Ce sont nos entraîneurs de hockey, les leaders dans nos communautés
, dit-elle.
La perception est différente en Colombie-Britannique. Les gens n'achètent pas sur les quais et ne traînent pas avec les pêcheurs comme nous le faisons sur la côte est
, affirme-t-elle.
Lorsqu’il tire les filets de flétans sur la côte de Haida Gwaii, entouré des montagnes enclavées sur le petit archipel, et que les cachalots remontent à la surface, tout près des bateaux, Jonathan Chiasson trouve que les mauvais côtés du métier disparaissent en fumée. Même si je me dis que ma vie est terrible parce que j’ai mal partout, je m'arrête deux secondes et je me rends compte de la chance que j'ai.
Et là, c'est : va te chercher un café, allume-toi une cigarette, et à go, on repart!