Rare incursion dans l'univers de néonazis canadiens grâce à une fuite de données

Une personne tape sur un clavier.
Photo : getty images/istockphoto / djedzura
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Des dizaines de Canadiens, dont plusieurs qui affirment être des membres actifs des Forces armées canadiennes, ont participé à un forum d'extrême droite dont les données ont été divulguées en ligne cette semaine.
Le forum en question, Iron March, aujourd'hui supprimé, est un des lieux qui ont donné naissance au groupuscule terroriste Atomwaffen Division. Cette mouvance a été associée à plusieurs meurtres et crimes haineux aux États-Unis. Elle a étendu ses activités à d'autres pays, dont le Canada, le Royaume-Uni, et des pays de l'Europe de l'Est.
Cette fuite de donnée a été téléversée en ligne par un utilisateur anonyme portant le nom « antifa-data ». Près de 200 000 publications sur le forum ainsi que 22 000 messages privés, provenant de 1200 utilisateurs entre 2011 et 2017, ont été dévoilés. La fuite comprend aussi d'autres informations qui peuvent permettre d'identifier les utilisateurs, dont les adresses courriel et les adresses IP.
CBC/Radio-Canada a identifié 87 utilisateurs dont l'adresse IP provenait du Canada.
La fuite offre une vue inédite d'une communauté que même d'autres mouvances d'extrême droite considéraient comme trop extrême. De nombreuses publications contiennent des propos haineux contre les Premières Nations, les musulmans, les juifs et la communauté LGBT. Nombre d'entre elles font l'éloge de la violence contre les minorités et des personnalités publiques.
Des membres partout au Canada
Les utilisateurs canadiens d'Iron March provenaient d'un peu partout au Canada. Un utilisateur a utilisé une adresse courriel officielle d'une université de la Nouvelle-Écosse, l'Université Saint-Francis-Xavier, pour se joindre au forum.
D'autres ont utilisé leurs adresses courriel personnelles, ce qui a permis à CBC/Radio-Canada de les traquer en ligne. L'un d'entre eux est chanteur d'un groupe métal montréalais. Un autre travaille comme soudeur à Edmonton, en Alberta. Un utilisateur affirme être membre d'une Première Nation en Colombie-Britannique.
D'autres sont des gens plus connus de la mouvance suprémaciste blanche au Canada.
Un des commentateurs les plus en vue du forum écrivait sous le nom d'utilisateur Zeiger. Ce dernier, un Montréalais dont le vrai nom serait Gabriel Sohier Chaput, avait été identifié l'année dernière par le Montreal Gazette. En novembre, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) avait lancé un mandat d'arrestation à son endroit pour promotion de la haine.

Le forum Iron March, tel qu'il apparaissait le 7 août 2012.
Photo : Capture d'écran - Wayback Machine
Un autre utilisateur canadien prolifique écrivait sous le nom de plume Dark Foreigner. Vice l'a identifié comme étant l'un des propagandistes clés d'Atomwaffen Division. Son adresse IP provient d'Ottawa.
Le Canadian Anti-Hate Network, un groupe d'activisme antiraciste, avait accès aux publications du forum Iron March depuis deux ans, mais cette fuite leur permettra d'identifier « les pires des pires d'entre eux », selon son directeur, Evan Balgord.
« Nous allons en trouver le plus possible. Tout individu qui participait à ce forum est une menace à la sécurité publique. C'est un forum ouvertement néofasciste », a-t-il déclaré à CBC.
D'autres extrémistes identifiés par le passé par des activistes ont été contraints de se cacher ou de retirer leur contenu du web.
« Ils ont peur de faire face à des accusations criminelles, selon M. Balgord. C'est difficile d'en mesurer l'impact, mais nous croyons que ça empêche de nombreuses personnes de se radicaliser. »
Des soldats canadiens parmi le lot
Neuf des utilisateurs canadiens du site ont affirmé dans des publications ou des messages privés être des membres actifs des Forces armées canadiennes, ou ont exprimé le désir de s'enrôler.
Plusieurs d'entre eux tentaient d'encourager les autres utilisateurs canadiens de se joindre aux Forces ou à la réserve, dans le but d'obtenir de l'entraînement militaire. D'autres affirment que l'expérience les préparerait à une éventuelle révolution fasciste ou encore à une guerre civile raciale.
Cet été, les Forces armées canadiennes ont présenté un rapport interne où on s’inquiétait du fait que certains soldats canadiens étaient aussi membres de groupes haineux, dont Atomwaffen Division.
Un membre du forum, qui portait le nom d'utilisateur FascistSocietyofCanada (Société fasciste du Canada), et dont l'adresse IP le plaçait à Edmonton, affirmait être dans l'infanterie et vouloir recruter d'autres Canadiens dans la mouvance d'extrême droite.
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Un autre, celui-ci sous le nom de plume Moonlord, et dont l'adresse IP provenait de Calgary, cherchait activement à encourager ses confrères à se joindre à l'armée. « [Le gouvernement] va vous PAYER pour que vous vous prépariez à la guerre raciale. Il n'y a littéralement aucune raison de ne pas faire son service militaire », écrivait-il.
« [Le jour de la potence] sera d'autant plus amusant, puisque plusieurs d'entre nous sommes actifs dans les forces armées », a-t-il écrit dans une autre publication. Dans le jargon néonazi, le « Jour de la potence », ou Day of the Rope, est un événement souhaité où tous les ennemis de l'extrême droite seraient exterminés.
Joint par courriel, la Défense nationale du Canada a assuré ne pas tolérer que ses soldats soient membres de groupes extrémistes. « Des candidats dont le comportement ne respecte pas les valeurs du Canada, dont l'inclusion et le respect de la diversité, ne sont tout simplement pas les bienvenus dans les Forces armées canadiennes. Il n'y a pas de place pour eux dans une armée qui côtoie régulièrement des populations aux diverses croyances et cultures, tant chez nous qu'à l'étranger », a affirmé Daniel Le Bouthiller, chef des relations avec les médias.
Il a assuré que les nouveaux candidats font l'objet d'une évaluation serrée et doivent recevoir une formation sur les politiques des Forces armées quant à la discrimination et aux discours haineux.
« Les Forces armées ne sont pas immunisées aux problèmes sociaux. Les membres des équipes de recrutement savent que, malgré leurs efforts les plus sincères, certains candidats affiliés à des groupes qui font la promotion de la haine et de la discrimination réussissent parfois à se glisser. Toutefois, le processus d'évaluation est robuste et flexible et nous travaillons constamment à améliorer les façons dont nous identifions et barrons la route aux candidats indésirables », a précisé M. Le Bouthiller.
À propos de ce reportage
CBC a utilisé une application de géolocalisation des adresses IP pour déterminer l'emplacement de 1207 adresses IP contenues dans la fuite. De celles-ci, 87 provenaient du Canada.
CBC n'a pas pu confirmer que tous les utilisateurs avec ces adresses IP vivent véritablement au Canada, puisqu'il est possible de cloner une adresse IP. Par contre, nous avons pu confirmer le lieu de résidence de nombreux utilisateurs en épiant leurs publications et messages privés.