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Àbadakone au MBAC : la flamme des possibilités

Une oeuvre de perles sur peau de cerf.

L'oeuvre « Mais il n'y a pas de cicatrice? » (Catherine Blackburn, 2017) rappelle la forme d'une empreinte digitale. L'artiste voulait représenter une ecchymose, symbole de la violence vécue dans les pensionnats autochtones au Canada.

Photo : Radio-Canada / Christelle D'Amours

Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Le Musée des beaux-arts du Canada inaugure une deuxième exposition rassemblant les oeuvres d’artistes autochtones et indigènes de partout dans le monde. Àbadakone - Feu continuel se veut une conversation humaine, sans colonisateur ni colonisé. Encore faut-il accepter de ne pas tout comprendre.

En montant la grande passerelle vitrée pour se rendre à la salle d’exposition du Musée des beaux-arts du Canada (MBAC), une série de mots accueille les visiteurs. Imprimés à même le sol en grosses lettres colorées, les inscriptions en langue crie des Plaines s’imposent comme des mots de bienvenue, mais aussi de revendication.

Ce sont les mots d’espoir et d’encouragement qu’offre l’artiste crie Joi T. Arcand aux siens, ainsi qu’à toutes les communautés autochtones qui portent leurs langues à bout de bras dans un pays qui leur a été arraché.

Des inscriptions découpées en vinyle sont collées sur un plancher de pierre dans un grand hall vitré.

« Ōtē nīkānōhk », Joi T. Arcand, 2018.

Photo : Radio-Canada / Christelle D'Amours

Certains visiteurs comprendront ces écrits, mais la majorité d'entre eux y verront des symboles fluo qui n’ont délibérément pas été traduits dans les deux langues officielles du pays. L’artiste l'a voulu ainsi et met les allochtones au défi de s’ouvrir à l’inconnu.

Mettez-vous à la place d’autochtones qui ne comprenaient pas la langue anglaise ou française et qui, dans une posture inverse, étaient complètement démunis, fait valoir la sous-directrice des expositions et du rayonnement du MBAC, Anne Eschapasse. Ça envoie un message très fort de renverser cette proposition et de nous mettre dans une posture que beaucoup de peuples autochtones ont vécue.

Visiter Àbadakone - Feu continuel, c’est découvrir une centaine d’oeuvres créées par des artistes indigènes issus de communautés, nations, ethnies ou tribus de tous les continents. C’est aussi accepter de ne pas tout comprendre, d’être surpris ou même déstabilisé par les histoires racontées.

L’exposition se veut une rencontre entre les communautés indigènes réunies pour parler un langage universel qui n’a pas besoin de mots. C’est aussi une grande conversation d’humains à humains qui fait fi des différences.

« On n’est pas là forcément pour apporter des réponses. On crée des opportunités de rencontre. Chaque artiste est une main tendue qu’on prend ou qu’on ne prend pas. »

— Une citation de  Anne Eschapasse, sous-directrice expositions et rayonnement au MBAC

Il suffit d’ouvrir la porte au dialogue.

Tradition

En parcourant les salles tantôt lumineuses, tantôt sombres de l’installation, le visiteur peut reconnaître des techniques ancestrales. Le tissage et le tannage de peaux côtoient toutefois des projections multimédias ou encore une maison longue éclairée à la DEL et animée par une vidéo dans laquelle le public pourra entre autres reconnaître le président des États-Unis Donald Trump (Nous tendons les perches de Skawennati, 2016).

Une installation de métal éclairée au DEL et un écran montrant un personnage 3D coloré.

« Nous tendons les perches » (installation au DEL) et « Le retour du Pacificateur » (vidéo), Skawennati, 2016.

Photo : Radio-Canada / Christelle D'Amours

Àbadakone est avant tout une représentation d’art contemporain, mais le mélange entre la tradition et la modernité est frappant.

La « continuité » est d’ailleurs l’un des thèmes principaux de l’exposition, rappelant que les techniques ancestrales peuvent survivre au passage du temps. Les « mocassins » de Barry Ace offrent notamment ce contraste entre paire de souliers à la mode, peau de loutre et perles faites de composantes électroniques.

Une paire de mocassins de cuir avec perles artistiques.

« Nigik Makizinan - mocassins de loutre », Barry Ace, 2014.

Photo : Radio-Canada / Christelle D'Amours

Ce sont les aînés de la communauté Anishnabeg de Kitigan Zibi, en Outaouais, qui ont offert le nom à l’exposition. Àbadakone signifie « le feu continue de brûler », tout comme le coeur et l’esprit des communautés autochtones.

Le titre s’inscrit dans la foulée de Sakahàn (« allumer un feu »), la première exposition d’art indigène international présentée en 2013 au Musée des beaux-arts du Canada.

Àbadakone - Feu continuel en chiffres :

  • 2e exposition d’art indigène international du MBAC

  • 4 oeuvres créées in situ

  • 16 pays représentés

  • 40 nations, ethnies et tribus

  • 70 artistes réunis

  • 100 oeuvres d’art exposées

Relations

Peu importe leur provenance, les oeuvres se parlent et se répondent.

Les petites maisons tissées par l’artiste haïda Lisa Hageman Yahgujanaas, originaire de la Colombie-Britannique (Il pleut de l’or, 2012-2017) rappellent étrangement les pictogrammes de La récolte du riz peints en 2012 par l’artiste Warli Balu Jivya Mashe (Maharashtra, Inde).

Ses petits coups de pinceau à l’acrylique et bouse de vache, traçant presque des pointillés, résonnent aussi avec le style des murales créées par un collectif de femmes indiennes.

Comment des communautés indigènes, aussi éloignées soient-elles, ont-elles pu développer des façons aussi similaires de se raconter?

C’est quelque chose qui relève de la conscience humaine, comme l’ADN. Il y a peut-être l’impact de la migration aussi, et des gens qui apprennent des autres, répond le conservateur du Musée de Sanskriti, en Inde, Gustav Imam.

Ce dernier a coordonné la création in situ de quatre grandes fresques installées sur les murs du MBAC. Elles représentent principalement des animaux et des fleurs. Il s’agit d’un art traditionnel transmis de mère en fille qui colore les maisons indiennes lors des mariages et de la saison des récoltes.

Un couloir orné de grandes murales peintes.

Sur les murs : « Khovar » et « Sohrai » 2019, peintures murales du collectif Tribal Women Artist Cooperative de l'Inde. Au fond du couloir : le tissage « AKA », 2019 du collectif Mata Aho de la Nouvelle-Zélande.

Photo : Radio-Canada / Christelle D'Amours

Les artistes de la Tribal Women Artist Cooperation, fondée à Hazaribagh en Inde, peignent ces murales avec des pigments minéraux. Les pierres proviennent de lacs et de terres soutirés à leurs communautés par l’industrie minière. Le collectif a entrepris ce projet contestataire en 1993 pour défendre leurs droits territoriaux presque inexistants en Inde.

Les communautés indigènes de partout ont des choses à communiquer au monde. Elles ont toutes la crainte de perdre leurs traditions ou de se faire emporter par les courants sociaux, explique Gustav Imam.

Un groupe sourit devant une murale peinte colorée.

Le conservateur Gustav Imam en compagnie des artistes Philomina Imam, Yvonne Imam et Putli Ganju.

Photo : Radio-Canada / Christelle D'Amours

Il ajoute qu’une exposition comme Àbadakone est très importante pour créer des liens durables à l’échelle planétaire. C’est une opportunité de rencontrer d’autres groupes indigènes, comme ceux de l’Amérique du Nord ou du Sud, pour voir comment ils s’adaptent aux changements, mentionne-t-il.

Affirmation

Certaines oeuvres permettent de rêvasser dans la douceur du bruit des vagues, comme Proximal I, II ,III, IV, V et Transatlantique de l'artiste visuelle originaire de la région Caroline Monnet.

D’autres heurtent de plein fouet. Ruth Cuthand dénonce notamment le déplacement forcé dans les réserves et l’apparition de maladies ayant décimé des populations autochtones entières. Le perlage coloré de l'artiste crie originaire de la Saskatchewan permet de reconnaître les molécules de la variole, de la grippe espagnole et de la pneumonie.

Les molécules de maladies sont représentées par des tableaux de tissages de perles.

« La variole », « La grippe espagnole » et « La pneumonie », Ruth Cuthand, 2011-2013.

Photo : Radio-Canada / Christelle D'Amours

Ce qui est étonnant, c’est la résonance de beaucoup de thèmes qui sont traités dans cette exposition : le changement climatique, l’éducation, l’immigration, la liberté sexuelle, souligne également Mme Eschapasse, du MBAC.

Par leurs oeuvres, les artistes veulent entrer en dialogue avec leurs collègues, mais surtout avec le grand public. Cela fait longtemps que l’on dit : "On est là!", rappelle Gustav Imam, espérant que, cette fois, les voix seront entendues.

« Les artistes parlent un langage commun que tous les êtres humains peuvent comprendre. »

— Une citation de  Gustav Imam, conservateur au Musée Sanskriti et coordonnateur du projet Tribal Women Artists Cooperative

Notre forme d’expression nous permet de connecter avec toutes les communautés du monde, qu’elles soient indigènes ou pas, ajoute M. Imam. Il y a quelque chose de magnifique dans l’art. Il s’exprime, puis le dialogue commence lorsque les gens posent des questions comme : ''Qu’est-ce que ça représente?''

Ouvrir la porte d’Àbadakone, c’est aussi alimenter cette flamme remplie de possibilités.

POUR Y ALLER
Àbadakone - Feu continuel
Jusqu'au 5 avril 2020
Musée des beaux-arts du Canada

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