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Coups de théâtre en quatre pièces

Les livres sont présentés debout sur une marche d'escalier tapissée de moquette rouge. On aperçoit les lumières incrustées dans le plafond en arrière-plan.

Quatre pièces de théâtre à lire.

Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard

Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Côté jardin : identité de genre et pratiques BDSM. Côté cour : lignes de faille et relations amoureuses à l'ère du virtuel. De La loi de la gravité à Et si un soir, en passant par Havre et Kink, le théâtre fait tomber le quatrième mur en se livrant sur papier.

Le public a plutôt l'habitude de consommer un texte dramaturgique assis dans une salle, grâce à une prise de parole incarnée et présentée dans un décor, sur une scène. Lire une pièce dans le bus, au café ou dans son lit permet toutefois de vivre ces coups de théâtre dans une autre dimension, plus personnelle, dans un rapport direct aux mots de leur autrice ou de leur auteur.


La loi de la gravité : quêtes identitaires

Le livre est posé sur une table à la surface de bois clair, dans un espace vitré, avec un sol en béton. Sur la couverture, on voit la silhouette d'une personne se retenant à une rampe, sur un pont.

La pièce d'Olivier Sylvestre a d'abord été présentée en anglais, à Montréal, un mois avant d'être montée dans sa version originale à Paris, en 2017.

Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard

L'adolescence est souvent synonyme de quête identitaire. Cette quête peut prendre des allures de crise identitaire quand on se sent différent(e)s des autres et qu'on vit en banlieue ou en milieu rural.

Dom et Fred ont 14 ans.

Le premier est né « fille », mais a commencé à écrire ses statuts sur les réseaux sociaux à titre de « il » depuis quelque temps. Je veux pouvoir changer quand ça me tente, être l'un pis l'autre en même temps, ni l'un ni l'autre quand ça me tente plus, explique Dom à son nouvel ami.

Fred, lui, vient d'arriver à Presque-La-Ville, a déjà fait de la gymnastique artistique et ne sait pas trop à quel pronom s'identifier. Tous les jours... y a un comédien qui prend possession de mon corps [...] un gars qui joue au gars, soutient-il.

Les deux ados rêvent de s'installer en ville, de l'autre côté du pont, pour prendre leurs distances du petit milieu au sein duquel ils sont en train d'étouffer. Leur promesse de le traverser ensemble, à la fin de leur année scolaire, sera cependant mise à l'épreuve.

À travers les trajectoires de Dom et Fred, Olivier Sylvestre explore avec finesse et tendresse les psychés de ces deux êtres (é)mouvants et lucides dans ce qu'ils/elles sont, et qui n'aspirent qu'à une chose : s'ancrer dans leur normalité et leur authenticité les plus intimes face à leur entourage, dans toute la fluidité de leur identité.


Havre : combler les vides

Le livre est posé debout sur un coussin de cuirette rouge, dans un escalier.

Le texte de Miskha Lavigne vient d'être couronné du Prix littéraire du Gouverneur général, dans la catégorie théâtre.

Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard

Elsie vient de perdre sa mère, écrivaine connue et célébrée, dont le succès l'avait privée de sa présence. Matt a été adopté et rentre d'un séjour à Sarajevo au cours duquel il espérait retracer ses parents biologiques.

Elsie réside dans un immeuble de la Côte-de-Sable dont le balcon donne sur l'énorme trou apparu subitement dans la rue et qui vient d'avaler une voiture. Matt travaille comme ingénieur pour la ville et œuvre à colmater cette brèche béante. Mais pas avant d'avoir découvert, dans le véhicule rescapé au fond du trou, un exemplaire d'un roman, Havre, celui-là même qui avait propulsé la carrière de la mère d'Elsie...

Leur rencontre savamment orchestrée donne l'occasion à Mishka Lavigne de sonder ces moments charnières marquant un avant et un après dans une vie. Ces moments qui définissent les êtres, laissent des traces.

La relation naissante entre ses deux personnages permet également à l'autrice d'Ottawa-Gatineau de téléscoper leur destin. Elle creuse des parallèles entre leurs trajectoires, tisse des liens entre eux. Elle crée ainsi autant de points de convergence et de frictions qui les confrontent à leur histoire familiale et à leurs lignes de failles respectives, faisant évidemment écho au trou dans la chaussée.

Car à l'instar de la rue, Elsie et Matt vivent avec des vides qu'ils cherchent à combler tant bien que mal. Ils portent des cicatrices plus ou moins visibles qui les rendent vulnérables sous la surface. C'est fragile une ville / sous le béton et l'asphalte et les gratte-ciel, évoque Mishka Lavigne.

Cette dernière évite habilement - et fort heureusement! - l'écueil d'une finale à l'eau de rose en privilégiant une présence amicale aux effets miroirs rassurants plutôt que confrontants entre ses deux protagonistes.

Havre est le premier texte signé par une dramaturge pratiquant hors Québec à remporter le Prix littéraire du Gouverneur général en théâtre en 15 ans, soit depuis l'Acadienne Emma Haché, en 2004.


Kink : incursion dans le donjon

Le livre est posé debout sur une banquette de cuirette gris métallique, avec une fenêtre donnant sur des édifices illuminés dans la nuit, en arrière-plan.

La pièce de Pascale St-Onge et Frédéric Sasseville-Painchaud invite lectrices et lecteurs à les suivre dans leur découverte et leur appréciation du milieu BDSM.

Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard

Le sous-titre de la pièce l'indique clairement : Kink s'avère une Initiation poétique au BDSM (bondage, discipline, sadomasochisme) dont Pascale St-Onge et Frédéric Sasseville-Painchaud parviennent à maîtriser le côté assurément intime. Car si l'une et l'autre acceptent de dévoiler ce qui les allume sexuellement (et leurs limites respectives), ils se mettent surtout à nu dans leur manière d'assumer et de vivre cette facette de leur personnalité.

De toute façon, elle se le répète souvent / Quand je serai en amour / Je n'aurai pas besoin de ça, pense-t-elle.

Pascale St-Onge raconte comment elle deviendra le petit chaperon rouge [qui] s'enfonce déjà dans les bois.

Frédéric Sasseville-Painchaud mentionne qu'il a construit un château fort dans sa tête / Un espace où vivre / Ça. C'était avant de s'inscrire sur un site spécialisé. Depuis, il lui arrive de comptabiliser, au petit matin, Chaque marque comme un trophée / Des petites victoires sur [s]a chair.

Il est question de fantasmes, de pulsions, de risques, de domination, de douleur, dans Kink, mais aussi de vulnérabilité, de bienveillance, de respect (notamment de soi-même), de communication. Il est surtout question, ici, de consentement.

Piquent-ils la curiosité en proposant une incursion aussi sincère que crue dans le milieu BDSM dans lequel elle et lui évoluent? Oui. Titillent-ils les sens en permettant au lecteur de les accompagner dans leur quête d'assouvissement jusque dans le donjon, par exemple? Pas du tout ou peut-être un peu, voire beaucoup, selon la personne qui acceptera de les y suivre.

Tour à tour lyrique et explicite, le texte de Pascale St-Onge et Frédéric Sasseville-Painchaud n'a rien de racoleur ni d'exhibitionniste. Il se lit plutôt comme une invitation consensuelle à jouer avec elle et lui pour mieux cerner sa propre curiosité érotique.


Et si un soir : apprendre à (s')aimer

Le livre est debout sur une marche, dans un escalier de tapis rouge serpentant vers le haut.

L'Ottavienne Lisa L'Heureux a remporté le Prix littéraire Trillium grâce à ce texte, cette année.

Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard

Aussi moderne que poétique, Et si un soir met en scène quatre personnages dont les désirs de véritables relations humaines cherchent à transcender la virtualité des écrans et la superficialité des rapports.

L'écran s'allume / L'espoir s'effrite / Toujours pas de message / De qui que ce soit / Insomnie, constate Mia qui, un autre soir, sera le témoin auditif des étreintes d'un couple De l'autre côté du mur / À travers mon linge / Suspendu en ordre de saison.

Contrairement au dicton voulant que la nuit, tous les chats soient gris, les personnages de Lisa L'Heureux profitent plutôt de la noirceur pour oser montrer leurs vraies couleurs. Même s'ils se cachent parfois derrière un masque et un clavier pour communiquer ou si elles misent sur une bouche capable de maquiller en sourires leur profonde solitude, Mia, Danielle, Anita et Joseph tentent de sortir de l'ombre avec un courage teinté de maladresse aussi crédible que touchant.

De sa plume gorgée de justesse et d'affection, Lisa L'Heureux fait le portrait d'une génération en quête de soi et de sens réel, concret, à donner à son intimité. L'Ottavienne rend compte avec acuité et lyrisme de la difficulté de s'aimer au grand jour.

Lisa L'Heureux a reçu le Prix littéraire Trillium 2019 pour cette pièce.

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