Héritier Masimengo, réfugié à 6 ans, joueur de soccer universitaire à 21 ans

Héritier Masimengo
Photo : Radio-Canada / Ian Bonnell
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Héritier Masimengo rêve d'être un joueur de soccer professionnel au Canada et de créer un centre de sécurité au Congo. À 21 ans, sa vie est pourtant déjà bien remplie. Il a fui la guerre au Congo, il a vécu dans des camps de réfugiés en Ouganda avant de se réfugier au Nouveau-Brunswick avec sa famille. Mais il sent qu'il doit encore quelque chose à la vie.
La saison de soccer des Aigles Bleus de l'Université de Moncton est terminée. Sur le terrain du stade, Héritier Masimengo, l'un des talentueux attaquants des Aigles Bleus, fait le bilan de sa quatrième année avec le Bleu et or, éliminé d'une participation au Championnat universitaire de l'Atlantique.
Au début, c'était difficile,
explique Masimengo. On n'a pas été chanceux. Il y a des matchs qu'on aurait dû gagner. Le manque d'expérience et aussi le manque de confiance ont joué en notre défaveur.
En quatre ans avec les Aigles Bleus, il y a eu des hauts et des bas. Parfois ralenti par des blessures, il sent qu'il n'a pas toujours pu exprimer son talent. Il aurait pu se décourager, mais il se sentait en mission de réussir, car les victoires sont importantes et les défaites font mal. Quand on connaît son parcours, on comprend que tout est relatif.
Héritier Masimengo est né en 1998, à Goma, dans la République démocratique du Congo. Un pays ravagé par la guerre, les épidémies, la violence, la malnutrition. On l'appelle la Deuxième Guerre du Congo, l'un des conflits les plus meurtriers depuis la Deuxième Guerre mondiale.
J'ai passé trois ans dans un camp de réfugiés. Après qu'on a quitté Goma, on est parti en Ouganda, à Kampala.
« Je me rappelle toujours les sons des bombes, en fait, ça me réveille toujours. Et ces sons-là, même quand je suis arrivé au Canada, j'ai dû vraiment m'ajuster aux petits bruits. »
Les temps sont durs dans le camp de réfugiés. Son frère aîné, Silvain, perd la vie à cause d'une maladie sanguine et par manque de soins médicaux.
Cette mort, il ne l'a comprise que bien plus tard.
Au Congo, on a une grande famille, il y a des gens partout,
explique Héritier. Donc, tout le monde, c'est comme des frères et des soeurs. Mais, une fois que j'ai grandi, j'ai réalisé que j'ai perdu quelqu'un de proche, de très, très proche. C'est mon sang. Ça m'a vraiment touché, car c'est maintenant moi le grand frère.
Après Goma et Kampala, les Masimengo sont acceptés comme réfugiés au Canada. Après une escale d'une semaine à Toronto, la famille choisit Moncton, prête à commencer une nouvelle vie.
À Moncton, on était dans les maisons du gouvernement
, se souvient Héritier. Mais le quartier n'était pas très favorable pour voir des enfants grandir. On voyait un peu trop de trucs un peu bizarres.
Dans un reportage de 2004, Héritier et sa famille sont filmés dans le cadre de la Fête des flocons, une activité de l'Association multiculturelle du Grand Moncton (MAGMA). C'est leur premier Noël.
Héritier conserve très peu de souvenirs de ses premiers temps à Moncton, où il tente de devenir un enfant comme les autres. Il sait cependant que son père, devenu shérif, et sa mère, qui travaille dans un foyer de soins, ont fait beaucoup d'efforts pour trouver un emploi et subvenir aux besoins de la famille.
Un nouveau départ à Dieppe
Cette persévérance inspire Héritier. Mais, le moment charnière de sa jeune vie est survenue lors d'un déménagement dans la ville voisine, Dieppe.
C'est là que ma vie a commencé au Canada, à Dieppe,
lance-t-il. J'ai vraiment aimé les Acadiens, la façon dont ils réunissent les gens. Et moi, je viens d'une famille où les gens étaient trop nouveaux. Donc, ils ne connaissaient pas vraiment comment la société marche.
Des gens se sont regroupés pour l'aider à jouer au soccer à Dieppe.Donc, ça m'a même motivé plus, je voulais même faire plus pour les autres. Et, donc, du coup, je voulais marquer plus de buts, pour montrer que oui, merci pour ce que vous faites.
L'autre fait marquant de sa jeune vie au Canada: les Jeux de l'Acadie, en juin 2010. Cette grande fête du sport est le plus important événement de la jeunesse acadienne. Encore aujourd'hui, les Jeux occupent une place importante dans son coeur. C'était le début de son intégration à la société acadienne.
« Ç'a montré que les Acadiens ont un grand grand coeur. Ils m'ont entré dans leur communauté. Et ils ont bien parlé de moi. Ils n'ont pas eu beaucoup de jalousie. »
Il n'y avait peut-être pas de jalousie, mais il y a eu du racisme. Encore là, cette société d'accueil le surprend.
« Je marquais des buts et ça, des fois, il y a des gens qui n'aimaient pas ça. Donc, ça lançait des commentaires racistes et inutiles. Ça m'a fait vraiment mal. Mais, j'ai vraiment aimé le soutien de mes coéquipiers. C'est ce qui m'a vraiment touché. C'est le fait qu'ils m'ont soutenu. Et ils m'ont défendu. »
Il se souvient d'une fois où son entraîneur, Michel Léger, s'est tenu debout devant les propos racistes.
Une fois, il est parti et il m'a amené voir la personne. Il a expliqué à la personne ce qui se passait
, ajoute-t-il. Ce n’est pas que les personnes sont mauvaises, c'est qu'elles ne sont pas bien éduquées dans ce domaine.
C'est sur cette fondation solide des valeurs qu'il construit son avenir ici, qu'il tisse des liens facilement. C'est à l'Université de Moncton qu'il part à la conquête de ses rêves. Il veut devenir criminologue et joueur de soccer professionnel.
En fait, ça, c'est mon plus grand rêve. C'est mon plus grand rêve depuis que je suis tout petit.
Les succès des Wanderers d'Halifax, dans la Première ligue canadienne de soccer, l'encouragent encore plus à persévérer. Je ne croyais pas qu'une telle ambiance au Canada
, s'exclame-t-il.
Son autre rêve, c'est dans son Congo natal qu'il veut le réaliser. Et c'est là que la criminologie entre en jeu.
« J'aimerais aussi un jour créer un centre de sécurité au Congo pour les gens qui ne sont pas protégés. Moi, j'ai été parmi ces gens-là où la sécurité était très corrompue. Un jour, j'aimerais prendre l'expérience que je peux avoir ici. »
Plus de 15 ans après avoir vu le père Noël une première fois lors de la Fête des flocons, à son arrivée à Moncton, plus de 15 ans après avoir quitté les camps de réfugiés du Congo et de l'Ouganda, s'il se permet d'avoir de grands rêves et de belles ambitions, il sent qu'il le doit à sa société d'accueil.
« C'est grâce aux Acadiens qui ont su nous donner de l'espoir. On a réussi avec le peu qu'on avait. On était dans un camp de réfugiés, tout d'un coup, on est ici au Canada. L'amour est ici. Les Acadiens ont beaucoup d'amour. Tu ne peux pas trouver ça n'importe où, dans n'importe quel autre pays. »