Un enseignant de la Péninsule acadienne s'est senti lâché par son syndicat

L'ex-enseignant Michel Duguay estime qu'il n'a pas bien été représenté par son syndicat.
Photo : Radio-Canada / René Landry
Michel Duguay, ex-enseignant à la Polyvalente Louis-Mailloux de Caraquet, estime qu'il n'a pas été bien défendu par son syndicat. Il affirme qu'un différend avec le directeur de son école, représenté par le même syndicat, lui a empoisonné la vie jusqu'à le forcer à la retraite.
Dans son petit atelier où il peint des toiles, Michel Duguay saisit un grand sac et en déverse le contenu brusquement sur une table, comme par dépit. Un monticule de plusieurs dizaines de petits pots de médicaments se retrouvent sur cette table.
Je vais vous montrer ce que ça fait deux ans et demi de calvaire, trois ans à prendre des pilules, lance-t-il. C'est la solution qu'on te donne pour régler ton problème.
« Tu es fier de ton travail. Mais là, tu tombes à... Pouf! Il n'y a plus rien. Tu n'as plus de point de repères. »
Michel Duguay est amer. Il enseignait le français depuis 26 ans à la Polyvalente-Louis-Mailloux, à Caraquet, jusqu'à ce qu'un conflit, en apparence anodin, dégénère. Il affirme que sa santé en a pris un coup, comme en témoigne sa médication.
Le conflit
Tout a commencé en 2015. Le directeur de son école s'est mis à reprocher à Michel Duguay de quitter sa classe quelques minutes trop tôt. Il s'est mis aussi à remettre en question ses absences pour maladie, dont une lors d'une réunion de parents.
Cette série de petites infractions lui a valu une réunion avec ses patrons pour discuter d'une possible mesure disciplinaire.
Puisqu'il se sentait traité injustement, l'enseignant a déposé une plainte pour harcèlement contre son directeur.
Il explique qu'il aurait pu changer d'école et passer à autre chose, comme cela est souvent le cas dans des affaires similaires. Mais il a tenu à se battre.
Mais Michel Duguay frappe un premier obstacle : les mois passent et rien n'avance. Le syndicat n'était vraiment pas actif. Il n'avançait que si je le menaçais.
Un syndicat pour les employés et les patrons
Quelque chose cloche aux yeux de Michel Duguay : dans ce litige, son directeur est représenté par le même syndicat que le sien, soit la Fédération des enseignants du Nouveau-Brunswick.
Les syndiqués, la partie dirigeante, ou les boss, ne peuvent pas être dans le même syndicat que les employés
, pense-t-il.
« C'est ridicule. Je pense que ça peut faire place à des conflits d'intérêts, un manque de transparence. »
Michel Duguay est persuadé que son histoire est la preuve que la Fédération des enseignants ne peut pas représenter à la fois les employés et les superviseurs.
[Le syndicat me disait] "nous autres on va régler ça : accepte de changer d'école. C'est ça la solution la plus simple. Puis, tout le monde va être heureux." Mais, ce n'est pas ça que je voulais.
Le point de vue de la Fédération des enseignants
La Fédération des enseignants du Nouveau-Brunswick (FENB) ne veut pas se prononcer publiquement sur le cas de Michel Duguay. Mais, de façon générale, elle ne voit aucun inconvénient à représenter à la fois un membre de la direction d'une école et un enseignant, même si les deux sont en conflit.
Les directions d'écoles font partie de nos associations. Ce sont des collègues de travail de l'école
, explique Gérald Arseneault, coprésident de la FENB . La direction de l'école n'est pas l'employeur. C'est le district scolaire qui est l'employeur.
Gérald Arseneault pense que le syndicat a la bonne recette pour éviter les conflits d'intérêts dans la défense de ses membres.
Ce n'est pas la même personne qui s'occupe d'un dossier et de l'autre, précise-t-il. Une personne va représenter l'enseignant et une autre va représenter la direction de l'école. Mais, c'est très, très rare que cela se produit.
Une réunion annulée à la toute fin
Après trois ans, Michel Duguay reçoit une indemnisation du District scolaire. C'est le syndicat qui a négocié, pour lui, un dédommagement, qu'il juge insuffisant, en échange du retrait du grief déposé en son nom.
Une rencontre avec un médiateur avait précédemment été organisée par le syndicat pour discuter d'une compensation. À ce stade, le conflit durait depuis déjà trois ans. Mais peu de temps avant la réunion, Michel Duguay reçoit un appel qui le bouleverse.
La rencontre est annulée et son syndicat accepte d'emblée l'indemnisation offerte par le district scolaire.
Le syndicat a retiré le grief en échange de 35 000 $. Je leur disais, "eh bien, O.K. j'accepte pas ça. Je ne peux pas accepter ça pour deux ans de salaire".
« Vous me dites que c'est ce qui est de mieux, c'est ce que la fédération a pu retirer de mieux? »
Un rapport qui vient changer la donne
L'indignation de Michel Duguay est montée d'un cran en septembre.
Le conflit de travail a connu une escalade jusqu'à se retrouver sur le bureau du Conseil du trésor du Nouveau-Brunswick, qui gère les ressources humaines de la province. Après quatre demandes d'accès à l'information, M. Duguay met la main sur un rapport d'enquête sur son histoire, commandé par le Conseil du trésor. Le rapport de 2016 le blanchit de toute faute professionnelle.
Lorsque le rapport a été écrit, le conflit durait depuis presque un an. Le syndicat avait ce document en sa possession depuis 2016, mais ne l'a jamais communiqué à l'enseignant. Pour y avoir participé, Michel Duguay savait que l'enquête avait eue lieu, mais personne ne lui avait jusque-là montré ses conclusions.
On peut y lire que les infractions alléguées par la direction,à première vue, laissent l'impression de gestes d'insubordination ou d'un manque de collaboration de la part de l'employé.
Toutefois la preuve soumise [...] est à effet que pour chacune de ces absences, il avait avisé un membre de la direction, et que les absences avaient été acquiescées [sic].
Radio-Canada a demandé à l'enquêteur en question, Edouard Allain, s'il était disponible pour répondre à nos questions sur les conclusions de son rapport. Il a refusé en invoquant des obligations déontologiques.
Concernant le fait que Michel Duguay a été convié en réunion disciplinaire, l'enquêteur ajoute que de telles rencontres sont habituellement limitées à des problèmes sérieux de rendement ou de comportement.
« Il est normal qu'un enseignant soit stressé en recevant un tel avis. »
En revanche, l'enquête n'a pas tranché sur la validité de la plainte déposée ensuite par Michel Duguay contre son directeur. L'enquêteur indique que l'enseignant n'a pas aidé sa cause
, mais précise qu'en faisant traîner le dossier, l'employeur a manqué à son devoir.
Toutes les parties en cause ont contribué à faire en sorte qu'une situation malheureuse au départ, qui aurait probablement pu se résoudre assez facilement, soit devenue un cauchemar sur le plan financier, familial, aussi bien que physique et mental pour un employé en situation de stress
, peut-on lire dans le rapport.
Pour Michel Duguay, c'est une trahison. Il ne comprend pas pourquoi le syndicat, s'il voulait vraiment le défendre, a gardé le silence sur ce document qui aurait pu être une carte maîtresse pour lui dans sa quête d'indemnisation.
En étant pris entre deux de ses membres, un enseignant et un directeur, le syndicat a tenté de jouer un rôle neutre, estime Michel Duguay. Il aurait préféré avoir un syndicat qui le défende plus activement, comme c'est le cas chez plusieurs organismes.
« Finalement, je sentais que le syndicat n'était pas dans mon équipe. »