La mystérieuse histoire d’un grand tableau à l’église de Rivière-Ouelle

On ignore l'auteur et la date de création de l'Ex-voto Notre-Dame-de-Liesse.
Photo : Radio-Canada / Maxence Matteau
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Du haut de ses deux mètres et demi, il en impose au premier coup d'œil, tant par son atmosphère sombre et funèbre que par l'aura de mystère qui entoure sa conception... Un grand tableau, non signé et non daté, est gardé dans l’église de Rivière-Ouelle depuis le 18e siècle. Et le mystère demeure toujours.
L'église Notre-Dame-de-Liesse, à Rivière-Ouelle, recèle une œuvre fascinante : un joyau patrimonial de la Nouvelle-France qui demeure méconnu du public.
C'est un tableau qui est fascinant par son côté mystérieux. [...] On ignore la date précise [de sa création], on ne sait pas qui l'a fait, il se ramasse dans une église...
, mentionne de prime abord Jean Dechênes, sacristain de l’église.
On estime que l’Ex-voto Notre-Dame-de-Liesse a été peint vers le milieu du 18e siècle. Les experts ne s'entendent pas sur les origines du tableau ni sur sa valeur artistique, mais sa valeur historique, elle, demeure indéniable.
Un ex-voto est une œuvre dédiée à un saint, créée pour le remercier de faveurs rendues.
Il faut attendre 1861, soit plus d'un siècle après la date hypothétique de sa création, avant qu'on ne puisse lire un récit relatant l'histoire de l'œuvre. Elle apparaît dans une légende écrite par une importante figure du Canada français : l'abbé Henri-Raymond Casgrain, qui a grandi à Rivière-Ouelle.
L'histoire que raconte l'abbé Casgrain, ce serait en fait que ces trois personnages se seraient égarés en forêt pendant l'hiver, à la suite d'une boussole qui aurait été malencontreusement échappée dans la neige. Les deux compagnons du jeune homme en prière auraient fini par mourir de froid, et l'un des deux compagnons aurait été son père. [Celui-ci] aurait recommandé à son fils d'invoquer la bonne Sainte Vierge pour être sauvé miraculeusement, en prenant l'engagement justement d'offrir un ex-voto si jamais sa prière était exaucée
, raconte Claude La Charité, professeur en histoire littéraire à l’Université du Québec à Rimouski.
Le tableau a été attribué pendant longtemps au peintre français Paul Mallepart Grand Maison dit Beaucourt, décédé à Québec en 1756, mais cette hypothèse est dorénavant réfutée par plusieurs experts, faute de preuve tangible.
Importance patrimoniale
L'Ex-voto Notre-Dame-de-Liesse, par sa taille surdimensionnée et sa singularité, est l'un des plus importants tableaux du genre au pays, à en croire le Centre de conservation du Québec.
Des artisans de ce centre lui ont consacré près de 1200 heures de travail pour le restaurer au début des années 2000. Un travail d'orfèvre qui a coûté près de 80 000 $, indique la Fabrique, en grande partie financé par le Conseil du patrimoine religieux du Québec.
Selon l'historien de l'art Laurier Lacroix, cette restauration a permis de retrouver un tableau aux couleurs plus nuancées
et des collines qui peuvent rappeler les paysages du Kamouraska.
C'est que le tableau avait été surpeint au fil du temps, retouché sans en respecter les traits d'origine.
Pour les experts, cette toile témoigne d'un moment charnière de l'histoire. Autour des années 1730, les vêtements des colons, d'abord conçus selon la mode européenne, commencent à être modifiés et adaptés à la rigueur de l'hiver canadien.
Cet hiver apparaît sombre et menaçant, loin d'être bucolique, sous le pinceau de l'artiste anonyme.
« On a une sorte d'impression qui nous est léguée par quelqu'un qui a vécu au milieu du 18e siècle dans une colonie lointaine avec aucun confort... »
L'œuvre peinte à l'huile serait la plus ancienne représentation de l'hiver en Nouvelle-France conservée à ce jour.
Selon toute vraisemblance, l'ex-voto Notre-Dame-de-Liesse a toujours sommeillé dans l'église de Rivière-Ouelle. Il aurait donc échappé à deux démolitions, avant d'être à nouveau accroché aux murs de l’église construite en 1877.
Le tableau soulève des questions quant à la préservation et la mise en valeur du patrimoine, qu'il soit historiquement associé ou non au culte.
« Je pense qu'il y a un véritable risque de voir certaines de ces œuvres disparaître si on n'est pas plus vigilants. »
On n'a pas besoin d'avoir la foi, on n'a pas besoin d'être croyant ni pratiquant pour apprécier un tableau comme celui de la Rivière-Ouelle. Je pense que c'est une œuvre fascinante et énigmatique
, conclut M. La Charité.
Le tableau a notamment figuré dans une exposition consacrée aux arts à l’époque de la Nouvelle-France en 2012 au Musée national des beaux-arts du Québec.
Avec la collaboration de Maxence Matteau