Le marché noir du cannabis toujours dominant au Canada

Un trafiquant a abandonné le commerce du cannabis pour se concentrer sur la cocaïne.
Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le 17 octobre 2018, le Canada devenait le premier pays du G20 à légaliser le cannabis. Justin Trudeau voulait ainsi enlever cette drogue des mains du crime organisé et éradiquer ses profits. Mais un an plus tard, force est d’admettre que le marché noir n’a pas dit son dernier mot.
Dans son appartement montréalais, un trafiquant accepte de nous rencontrer, à condition de préserver son anonymat.
Dans son garde-robe, il cache une réelle pharmacie de substances illicites : LSD, DMT, champignons magiques, amphétamines, haschisch et cannabis.
À l’approche de la légalisation, l’an dernier, il était prêt à abandonner le commerce de cannabis pour se concentrer sur d’autres substances. Mais 12 mois plus tard, l’herbe est toujours aussi rentable.
« Mes revenus sont identiques, dit le vendeur. N’importe quel gros fumeur sait qu’il économise en allant sur le marché noir. »
Dans un coffre en plastique, il entrepose une vingtaine de sacs de cannabis qui renferment autant de variétés. S’il n’observe pas de changement dans son chiffre d’affaires, il remarque toutefois que la qualité des produits sur le marché noir s’améliore.
« Je ne vois plus passer de scrape comme avant. Il y a un effort pour se distinguer de la SQDC [Société québécoise du cannabis]. Peut-être que les jardiniers moins talentueux ont pris leur retraite. »
Mainmise du marché noir
Au total, le marché du cannabis serait évalué à plus de 5 milliards de dollars au pays. Selon Statistique Canada, 60 % de la consommation se fait toujours de manière illégale. La SQDC
estime quant à elle que 82 % de l’industrie est encore aux mains du marché noir.Au cours de la dernière année, David Decary-Hétu, professeur de criminologie à l’Université de Montréal, s’est entretenu avec de nombreux trafiquants, en plus d’étudier le darknet, le web caché. Il observe lui aussi que le marché noir est toujours dominant au Canada.
« C’est dû à la faible distribution du produit légal, croit-il. Ça demeure assez difficile d’en acheter puisqu’il y a peu de magasins. Il va toujours y avoir un marché noir, que ce soit pour des mineurs ou pour des gens qui veulent se procurer du cannabis en soirée. »
On compte aujourd’hui 22 succursales de la SQDC au Québec. Ce nombre devrait passer à 43 d’ici mars 2020, selon le président-directeur général, Jean-François Bergeron. La première année de la société d’État a été marquée par les ruptures de stock, la réduction des heures d’ouverture et les files d’attente devant les commerces. M. Bergeron estime néanmoins pouvoir réaliser un profit de 20 millions de dollars au terme du premier exercice financier complet en mars prochain.
M. Decary-Hétu observe que le coût élevé du cannabis légal donne le beau jeu aux acteurs du marché noir. Selon Statistique Canada, le prix moyen du cannabis légal est aujourd’hui de 10,23 $ le gramme, alors que la même quantité se vend 5,59 $ sur le marché noir. Pour contrer les bas prix des vendeurs illicites, la SQDC offrira dès demain un produit de 28 grammes à 125,70 $, soit 4,49 $ le gramme.

Le 17 octobre 2018, le Canada devenait le premier pays du G20 à légaliser le cannabis. Justin Trudeau voulait ainsi enlever cette drogue des mains du crime organisé et éradiquer ses profits. Mais un an plus tard, force est d’admettre que le marché noir n’a pas dit son dernier mot.
Se tourner vers la vente d'autres drogues
Depuis la légalisation, la Loi sur le cannabis prévoit des peines de prison qui peuvent aller jusqu’à 14 ans pour les trafiquants, alors qu’elles étaient de trois ans maximum avant le 17 octobre 2018. « On réalise que le gouvernement est devenu un compétiteur du marché noir », remarque le criminologue.
C’est exactement ce qui a poussé un trafiquant à laisser tomber le commerce du cannabis pour se concentrer sur d’autres drogues, principalement la cocaïne. Il a insisté pour conserver son anonymat.
« Va voler dans les poches du gouvernement et c’est certain que tu te prends une grosse peine, dit-il, assis sur le fauteuil d’un motel bon marché. Les risques sont maintenant beaucoup trop hauts pour ce que ça rapporte. »
Un phénomène qui est d’ailleurs centenaire. Au terme de la prohibition de l’alcool, en 1933, la mafia américaine s’est rapidement tournée vers la vente de narcotiques, souligne le chercheur Heyu Xiong de la Northwestern University dans son étude Displacement in the Criminal Labor Market : Evidence from Drug Legalizations. Il s’est attardé aux conséquences de la légalisation du cannabis dans les États du Colorado, de Washington et de l’Oregon.
« Je fournis la preuve que la légalisation de la marijuana incite les vendeurs à se tourner vers d’autres substances interdites, écrit-il dans son étude publiée en octobre 2018. En conséquence, la libéralisation dans un marché de la drogue a pour conséquence involontaire d’augmenter l’offre dans d’autres marchés illicites. »
Le nouveau trafiquant de cocaïne soutient d’ailleurs qu’il fait plus d’argent que jamais en vendant des drogues plus fortes que le cannabis. « Je me concentre sur des substances qui rendent accro. Mes clients sont dépendants, ils sont prêts à faire n’importe quoi pour leur cocaïne. »
Questionné quant à la qualité de ses produits, il n’a aucun remords à vendre des drogues potentiellement dangereuses et addictives pour sa clientèle. « Si ce n’est pas moi qui le fais, ce sera quelqu’un d’autre. Mes poches passent avant celles de mes compétiteurs. »