Don de sang des homosexuels : les libéraux ont manqué à leur promesse

Justin Trudeau lors du défilé de la fierté gaie de Montréal le 14 août 2016
Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Les néo-démocrates, les verts et des militants de la communauté LGBTQ accusent Justin Trudeau d’avoir manqué à sa promesse d’abolir, d’ici la fin de son mandat, la règle qui interdit les dons de sang des hommes ayant eu une relation sexuelle avec un autre homme.
Dans le château fort libéral de Toronto–Centre, qui regroupe la plus grande population LGBTQ au pays, la candidate verte Annamie Paul accoste des électeurs qui disent avoir déchanté.
Cette interdiction nous fait passer pour des machines à sexe
, déplore un résident gai qui se dit ouvert à appuyer la candidate.
Oui et c’est pourquoi on s’engage à l’abolir
, lui répond-elle.
Justin Trudeau s’était engagé à faire de même lors de la campagne électorale de 2015.
« Cette politique est discriminatoire [...] ne tient pas compte des preuves scientifiques et doit prendre fin. »
Le règlement, hérité de la crise du sang contaminé des années 1980, a plutôt été assoupli à un an d’abstinence en 2016, puis à trois mois, en juin dernier.
La promesse ne s’est donc pas matérialisée.
En 2016, Justin Trudeau s’était dit (Nouvelle fenêtre)un peu déçu
. En fin de compte, disait-il, la décision ne revenait pas au gouvernement fédéral, mais à la Société canadienne du sang et à Héma-Québec.
Les libéraux n’ont pas tenu leur promesse et ont laissé tomber la communauté
, lance le candidat gai néo-démocrate Brian Chang, qui tente aussi de détrôner le ministre des Finances Bill Morneau dans Toronto–Centre.
Brian Chang déplore ne pas avoir le droit de donner du sang à son propre conjoint, qui est du même groupe sanguin, même si les deux hommes ont une relation monogame. C’est une politique qui n’est pas ancrée dans la science. Le NPD veut une politique qui se base sur le comportement des individus.
Pour Annamie Paul, les libéraux ont laissé traîner le dossier. C’est clair que c’est une règle discriminatoire et ils ont passé à côté de leur chance de l’éliminer.
Le bureau du premier ministre n’a pas répondu à nos demandes d’entrevue.
Nous avons réalisé des progrès
, a indiqué Bill Morneau par courriel. Depuis 2016, la période d’abstinence a été réduite de cinq ans à trois mois. La ligne d’arrivée est en vue et un gouvernement libéral réélu continuera à travailler dur et à investir dans la recherche afin d’établir une politique fondée sur le comportement.
Impatience
Le militant LGBTQ Christopher Karas accuse lui aussi le premier ministre d’avoir fait des promesses en l’air et y voit un parallèle avec le scandale du blackface.
Selon lui, la politique de don de sang est homophobe et raciste.
« Je crois que, pendant longtemps, Justin Trudeau nous a laissés croire qu’il représentait un Canada différent, mais en réalité il n’avait pas l’intention de changer les choses. »
M. Karas se bat depuis 2016 devant la Commission canadienne des droits de la personne pour que la Société canadienne du sang sélectionne ses donneurs en fonction des comportements et non de l’orientation sexuelle.
Cette politique contribue à la stigmatisation des hommes gais, mais elle est aussi raciste parce qu’elle exclut des gens qui viennent de pays d’Afrique
. Une chercheuse de l’Université Laurentienne, à Sudbury, OmiSoore Dryden, se penche d’ailleurs en ce moment (Nouvelle fenêtre) sur cette question.
La Commission des droits de la personne doit bientôt trancher, puisque la médiation entre Christopher Karas, Santé Canada et la Société canadienne du sang n’a pas abouti.
Elle pourrait soit rejeter la plainte, soit l'adresser au Tribunal des droits de la personne, qui pourrait statuer que la politique est discriminatoire et obliger Santé Canada à l’abolir.
C’est d’ailleurs la recommandation des membres du Comité permanent de la santé, qui ont sommé Ottawa en juin d’adopter des politiques d’évaluation des donneurs fondées sur des données probantes, neutres sur le plan du genre et fondées sur les comportements
.
La porte-parole du Parti conservateur en matière de santé, Marylin Gladu, siège à ce Comité, mais n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.
Patience
La Société canadienne du sang a refusé d’accorder une entrevue à Radio-Canada. Sur son site, l’agence explique que l’exclusion temporaire à trois mois tient compte des données scientifiques
.
Héma-Québec rappelle pour sa part que la Commission d’enquête sur l’approvisionnement en sang au Canada, tenue à la suite du scandale sur le sang contaminé, avait recommandé que le principe de sécurité prime sur les autres principes et politiques
.
Depuis 2017, les deux agences financent 15 projets de recherche qui visent à faire évoluer les critères d’admissibilité actuels, par le biais d’un financement de Santé Canada.
En novembre, les conclusions de certaines de ces études seront présentées à Ottawa lors d’une réunion d’experts de Santé Canada, d’Héma-Québec et de la Société canadienne du sang, notamment.
C’est toujours trop long, on s’entend là-dessus
, explique le directeur adjoint de la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida, Michel Morin, qui a participé à une étude sur le don de plasma par les hommes gais au Québec.
En même temps, on veut que ce qui est présenté soit blindé, qu’après ça, Santé Canada nous dise, oui, vous avez raison
.
La politique, dit-il, ne devrait jamais s’immiscer dans le processus scientifique.
La crise du sang contaminé des années 1980 a coûté la vie à environ 800 Canadiens. Au total, plus de 1100 personnes ont contracté le VIH et 20 000 ont contracté le virus de l’hépatite C.
Ce qui se fait ailleurs
Le processus aurait pourtant pu être raccourci si la Société canadienne du sang et Héma-Québec s’étaient fiés aux recherches déjà effectuées ailleurs, estime le directeur général de la Société canadienne du sida, Gary Lacasse.
Dans les dernières années, une poignée de pays étrangers, dont le Portugal, l’Italie, l’Espagne et Israël, ont aboli complètement l’interdiction de donner du sang pour les hommes qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes.
On a les outils pour s’assurer que les dons de sang sont sécuritaires au Canada. Le comportement est utilisé dans plusieurs pays dans le monde et ça a été prouvé que les risquent n’augmentent pas
.
Gary Lacasse déplore que les libéraux aient attendu jusqu’en 2017 pour financer les projets de recherche sur les critères d’admissibilité actuels. Ils auraient pu, dès le début de leur mandat, ouvrir ces concours. Plusieurs de ces études viennent juste de commencer
.