ChroniqueThom Yorke : vibrer sur scène sans Radiohead

Thom Yorke était en concert le 26 septembre 2019 à la Place Bell de Laval.
Photo : Getty Images / Christopher Polk
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le monde de la musique populaire est farci d’auteurs-compositeurs et interprètes qui ont quitté ou sabordé leur groupe afin de faire cavalier seul. Et il y a ceux qui mènent une carrière fructueuse en solitaire, en marge de leur collectif de légende. Thom Yorke est de ceux-là.
Depuis 2006, l’Anglais a lancé trois albums et une bande originale de film en alternance avec ceux de Radiohead. Quatorze mois après s’être produit deux soirs au Centre Bell avec ses collègues britanniques, le leader du groupe formé dans le comté d'Oxfordshire était de retour au Québec, cette fois, un peu plus au nord, à la Place Bell, à Laval.
Du point de vue du spectateur, l’intérêt d’aller voir et entendre un artiste de la trempe de Yorke hors de sa zone originelle de confort est quelque peu paradoxal.
Côté jardin, on espère suffisamment de références musicales du terroir de Radiohead afin d’avoir une forme d’ancrage avec ce passé que l’on adore. Côté cour, on souhaite un clivage assez prononcé afin de découvrir une autre facette de Yorke et ne pas se farcir un concert qui donnerait l’impression d’être du Radiohead de deuxième ordre. Au fil d’arrivée, il est difficile de ne pas être charmé tant Yorke réussit à naviguer avec aisance entre ses racines et ses nouveaux terrains de jeu.
Lorsqu’il s’amène dans la pénombre afin de prendre place au piano et que sa voix semble percer les ténèbres durant l’interprétation d’Interference, on baigne dans du Radiohead pur jus. Mais quand il nous sert Pink Section, nous sommes dans l’univers de Thom avant tout.
En dépit de l’évolution importante de la musique de Radiohead en plus d’un quart de siècle, le groupe demeure un band de rock alternatif qui intègre d’autres formes de musique, comme l’électronique. Pour sa part, Yorke propose avant tout de la musique électronique souvent dansante qui est épicée d’effluves rock. Importante nuance stylistique.
D’ailleurs, on se dit que le guitariste Jonny Greenwood s’emmerderait pas à peu près au sein du trio de Yorke qui fait la part belle aux claviers, aux boucles et aux bruitages. N’empêche, ce dernier se fait drôlement plaisir durant A Brain in a Bottle et Harrowdown Hill avec des lignes de guitares mordantes et incisives.
Cela dit, on ne va pas confondre Greenwood et Yorke à la guitare – pas du même calibre –, d’autant plus que celui qui a mis en marché Anima au mois de juin s’en tient à son répertoire. Contrairement à Sting qui joue toujours une poignée de titres du groupe The Police durant ses concerts ou à Bruce Springsteen qui peut interpréter des chansons écrites pour son E Street Band dans ses spectacles individuels, Yorke ne propose rien de Radiohead.

Thom Yorke en concert
Photo : Getty Images / Christopher Polk
Prendre le plancher
Avec l’écran en arrière-plan et les instruments reposant sur des plateformes assez loin des spectateurs massés au parterre, Yorke a tout le devant de la scène pour s’épivarder à la puissance 10.
Le Britannique prend – littéralement – le plancher, bien plus souvent qu’avec Radiohead. Déplacements latéraux, pas de danse syncopés, frénétiques et robotiques, déhanchements parfois lascifs. On a même l’impression que ce qui était jadis totalement spontané est presque chorégraphié par moments. Cela dit, c’est toujours un plaisir de voir l’ami Thom s’éclater ainsi.
De forme concave, l’écran réfléchit des formes géométriques (ronds, triangles) de couleur, des rayures multicolores – horizontales ou verticales – et des motifs psychédéliques, monochromes ou en noir et blanc, selon les besoins.
Presque toutes enchaînées sans temps mort, les chansons tirées d'Anima, de Tomorrow’s Boxes (2014) ainsi que de l’album The Eraser (2006) tentaient de se démarquer les unes des autres par les rythmiques ou les enveloppes sonores : groove assumé pour Black Swan, pulsions irrésistibles avec The Clock, claviers aériens pour Amok.
Sans la force de frappe multipliée des guitares et la présence d’une basse et d’une batterie organique comme c’est le cas avec son groupe, les offrandes de Yorke peuvent être sérieusement remuantes, mais jamais n’atteignent-elles la puissance fédératrice d’un Radiohead à son sommet.
Et ça pouvait se mesurer sur les quelque 4000 ou 5000 personnes présentes. Ça dodelinait de la tête dans les gradins – sans se lever – et ça dansait gentiment au parterre, sans plus. La foule était en mode « écoute ». Jamais vu un public aussi calme pour un concert populaire à la Place Bell depuis son inauguration.
Mais on ne va certes pas se plaindre d’un public trop calme, tant on croise des publics bavards certains soirs.
Et cette qualité d’écoute tombait à point à l’ultime rappel, quand Yorke a conclu un concert de plus de deux heures avec la splendide Unmade, tirée de sa bande originale du film Suspiria, en mode piano-voix.