Québec veut être plus conciliant avec les grands émetteurs de GES
Plusieurs industries, comme les cimenteries, bénéficieront d’un statut spécial et n’auront pas autant d'effort à faire que d'autres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

Le reportage de Catherine Gauthier
Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
À partir de 2024, les grands émetteurs de CO2 du Québec devront réduire leurs émissions d'environ 4 % par année. Mais les trois quarts de leurs efforts pourront être remboursés. Par ailleurs, l’aide financière de l’État sera bien plus importante qu’auparavant.
Radio-Canada a obtenu le projet de réforme du gouvernement caquiste, présenté en privé aux industries les plus polluantes de la province, les 12 et 18 septembre dernier.
Selon plusieurs sources, les grands émetteurs (ceux qui rejettent plus de 25 000 tonnes de CO2 par année) sont ressortis satisfaits de ces préconsultations, car le gouvernement s’assure d’être conciliant avec les secteurs industriel et minier.
Le gouvernement estime que demander plus d’efforts aux industries sans les soutenir risquerait de freiner leur productivité et de les désavantager par rapport à leurs compétiteurs nationaux et internationaux. La CAQ craint aussi de nuire à sa promesse d’augmenter le niveau de vie des Québécois.
Cette réforme s’inscrit dans la préparation du nouveau plan de Québec pour lutter contre les changements climatiques, qui devrait être dévoilé au début de l’année prochaine.
Pour la première fois, le plan proposé par le gouvernement du Québec est compatible avec l’objectif international de réduction des gaz à effet de serre de 2050.
Québec espère ainsi réduire davantage les émissions de CO2 des principaux établissements pollueurs, car leurs rejets sont repartis à la hausse, selon les plus récentes données de 2017.
Un effort minimal exigé, mais pas autant pour les cimenteries

L'usine de Ciment McInnis à Port-Daniel–Gascons
Photo : Radio-Canada / Isabelle Larose
Après 2023, Québec exigera des grands émetteurs qu’ils réduisent leurs émissions de CO2 de 3,7 % par année. Ils devront donc acheter davantage de droits d'émission, des permis de polluer, plutôt que de les recevoir gratuitement.
Certains bénéficieront toutefois d’un statut spécial et devront fournir un effort plus faible : de 2,34 %. Il s’agit des activités de production de ciment, de chaux, de silicium métallique et de ferrosilicium.
Québec estime que ces industries courent un risque « très élevé » de quitter la province si la tarification du carbone nuit à leur compétitivité.
Ainsi, la cimenterie McInnis de Port-Daniel pourra en profiter. Elle est entrée progressivement en activité et est présentée comme le principal émetteur de GES au Québec.
Dans une version précédente de cet article, il était écrit que ce groupe d'industries serait exempté de l'effort « minimal » de réduction des émissions, ce qui pouvait laisser penser qu'elles étaient exemptées de tous les efforts. Il est plus juste de parler d'une exemption pour l'effort supplémentaire.
Un nouveau système de consigne sur le carbone
À défaut de l’avoir encore fait pour le verre, le gouvernement québécois souhaite instaurer une « consigne » pour les grands émetteurs de GES.
C’est une des propositions phares de la réforme. 1% de l'effort minimal requis devra être autofinancé par les industriels. Le reste (2,7 % ou 1,36 %, selon le statut) devra être placé dans cette consigne.
Le gouvernement vendra ces droits dans le cadre de la bourse du carbone et réservera les sommes obtenues au nom de chacune des entreprises.
Pour avoir accès à ces sommes, les entreprises devront investir dans la transition climatique. Pour chaque dollar investi dans des projets admissibles, Québec leur remettra un dollar issu de ces sommes réservées.
Si dans les cinq ans, l’entreprise n’a pas présenté de projet, elle n’y aura plus accès à l'argent et celui-ci sera reversé dans le Fonds vert.
Le système de consigne devrait débuter en 2024, avec une mesure transitoire qui permettra d’appliquer le principe dès 2020.

Entrevue avec Pierre-Olivier Pineau à l'émission 24/60
De moins en moins de « droits de polluer » gratuits
Depuis 2013, au Québec, les émissions de GES ont un prix, fixé par la bourse du carbone, selon le principe du pollueur-payeur.
Mais la réalité est plus complexe. En fait, le gouvernement distribue des droits d’émission gratuits aux industries qui risquent d’être désavantagées par rapport à leurs compétiteurs nationaux ou internationaux qui, eux, n’ont pas l’obligation de financer leurs émissions.
C’est le cas des alumineries, des raffineries ou des entreprises du secteur de la métallurgie. On évite ainsi « les fuites de carbone », c’est-à-dire des entreprises qui délocaliseraient leurs activités et iraient polluer ailleurs.
En 2017, Québec a distribué 18,8 millions de tonnes de CO2 en allocation gratuites aux grands émetteurs, alors que ces derniers ont émis 18,3 millions de tonnes. On a donc plus donné de droits de polluer gratuits que la pollution qui a été générée au total.
Ceux qui émettent moins de CO2 que les droits qu’on leur a alloués peuvent les revendre à ceux qui en ont un besoin plus important que prévu. Tout cela dans le cadre de la bourse d’échanges.
Selon les documents remis aux industriels, il y aurait une baisse progressive des allocations gratuites de 4 % par année à partir de 2023, mais elles représenteraient encore environ 75 % du total à l’horizon de 2030.
Dans le cas où davantage de pays à travers le monde viendraient à tarifer le carbone - ce qui augmenterait les prix de ces droits -, les quantités gratuites allouées pourraient être plus basses.
Présentement, le prix du carbone est sept fois plus élevé au Québec que la moyenne mondiale.
Objectifs reconnus par le Québec
- 2020 : -20 % d’émissions de GES par rapport à 1990 (ne devrait pas être atteint à temps)
- 2030 : -37,5 % d’émissions de GES par rapport à 1990 (objectif inscrit dans la loi)
- 2050 : -80 % à -95 % par rapport à 1990 (Québec y adhère dans son document de réforme)
Davantage d’aide financière
Québec bonifie de 320 millions de dollars son budget pour accompagner les grandes entreprises industrielles dans leur transition climatique.
Le plafond d’aide financière est considérablement augmenté. Par exemple, le programme ÉcoPerformance permettra de financer 75 % des dépenses admissibles pour un maximum de 40 millions de dollars, lequel était plutôt de 5 millions auparavant.
Dans sa documentation, le gouvernement donne l’exemple d’une usine qui voudrait investir dans une nouvelle chaudière.
Si la chaudière couramment utilisée dans le marché coûtait 4 millions de dollars et qu’une chaudière ultraperformante en coûtait 5 millions, le gouvernement considérait des dépenses admissibles de 1 million. Mais avec la réforme, l’ensemble des 5 millions seraient admissibles.
Le gouvernement encourage les entreprises à soumettre des projets « de grande envergure ».
Les règles de cumul des aides seront par ailleurs assouplies pour permettre aux grands émetteurs d’additionner ces financements avec d’autres, comme le Fonds vert.
Québec veut aussi permettre d’utiliser les sommes pour la recherche et le développement. Une nouveauté.
Plusieurs entreprises ont augmenté leurs émissions ces dernières années, malgré les aides publiques de dizaines de millions de dollars. Entre autres parce qu’elles peuvent recevoir gratuitement la totalité de leurs droits d’émission.
Dans les documents, Québec indique sa volonté d’avoir des investissements « le plus tôt possible ».
Le gouvernement prévoit même une équipe interministérielle de fonctionnaires qui se consacrera spécifiquement à ce nouveau système avec la promesse d’un « service personnalisé pour chaque entreprise ».
La cimenterie de Port-Daniel n'apparaît pas dans le tableau, car, en 2017, sa production n'atteignait pas encore son plein régime.