Un enfant autiste expulsé de son CPE : « Votre fils coûte trop cher »

Le petit Mickael
Photo : Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Malgré une subvention de 35 000 $, un centre de la petite enfance (CPE) de la Montérégie a expulsé un de ses tout-petits, nous révèle La facture.
Mickael a la chance d’avoir une place dans un CPE dès l’âge de 18 mois.
Il est autiste, il ne parle pas et il a du mal à entrer en contact avec les autres. Le CPE Le petit pain d’épice l’accueille en toute connaissance de cause.
« La dame a dit : "Inquiétez-vous pas, on en a déjà eu d'autres. On va vous le garder jusqu'à temps qu'il rentre à l'école". »
Mickael a droit à une éducatrice pour lui tout seul. Il fait des bonds de géant.
Il s'est mis à faire du progrès en voyant les autres enfants. [...] Il y a eu plein d’évolution sur le plan social
, soutient Martine Quevillon, la mère de Mickael.
Tout va bien, jusqu’à l’automne dernier. Peu après survient un changement à la direction du CPE.
« Le premier bonjour a été : "Votre fils coûte trop cher. Il prend le budget des autres". »
Le CPE fait alors une demande auprès du ministère de la Famille en vue d'obtenir la Mesure exceptionnelle de soutien à l’intégration dans les services de garde pour les enfants handicapés ayant d’importants besoins (MES).
Il s'agit d'une subvention de 35 000 $ visant à soutenir l’intégration d’enfants lourdement handicapés, comme Mickael.
Expulsé, sans préavis
Le 10 janvier, sans préavis, les parents de Mickael apprennent que leur fils ne peut plus fréquenter le CPE, alors qu’il y avait sa place depuis deux ans.
J'étais triste de voir la manière que le renvoi a été fait. [...] On s’est sentis comme de la "marde"; pas écoutés, pas respectés. Il a le droit lui aussi d'avoir sa place dans la société. C’est pas parce qu’il est handicapé qu'il n'a pas le droit là
, précise Martine Quevillon, mère de Mickael.
Pourtant, le lendemain de l’expulsion, l’aide exceptionnelle de 35 000 $ est finalement accordée au CPE.
Malgré cela, la direction maintient sa décision. Mickael n’a plus sa place au Petit pain d’épice.
Le paradoxe, c’est que cette subvention de dernier recours existe justement pour éviter l’expulsion.
La mère de Mickael n’y comprend rien.
J'étais déçue. Ils me parlaient tout le temps d’argent, argent, argent; mais là, ils l'ont, mais ils ne veulent plus donner le service
, se rappelle Martine Quevillon.
Pénurie de personnel
La directrice du Petit pain d’épice a refusé notre demande d’entrevue, mais elle affirme, par téléphone, qu’elle n’avait pas le choix.
Ce n’était vraiment pas un enjeu d’argent, puisque justement, c’était prévu financièrement. C’est tout simplement parce que j’ai perdu mon personnel qui avait les compétences et les habiletés à accompagner un enfant. C’est vraiment par des contraintes excessives qu'ils nous ont amenés à prendre cette décision-là, qui a été très difficile pour nous
, dit Guylaine Fortin, directrice générale du CPE Le petit pain d’épice.
Une situation inacceptable
La directrice de la Fédération québécoise de l’autisme estime que la pénurie de personnel ne justifie pas un renvoi. Je trouve ça totalement inacceptable. Je pense qu'il faut dénoncer ces situations-là. Parce qu’on manque de personnel, on renvoie l'enfant à la maison? Ça n’a juste pas de bon sens. Est-ce qu'on va se mettre à fermer tous les endroits où il manque de personnel? Il [Mickael] a droit à des services; trouvons une solution
, explique Jo-Ann Lauzon, de la Fédération québécoise de l’autisme.
Jo-Ann Lauzon précise qu’il existe de courtes formations destinées aux éducatrices qui veulent travailler auprès des enfants autistes.
À mon avis, dans le cas de Mickael, on aurait pu réorganiser les ressources humaines, prendre une [éducatrice] pour travailler avec [lui] et lui donner une formation pour répondre aux besoins de l'enfant. Il y a des formations offertes un peu partout au Québec; des formations de deux jours, trois jours, cinq jours
, souligne Jo-Ann Lauzon.
Le ministre de la Famille se dit préoccupé
L’histoire de Mickael préoccupe le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe.
Si c'est une question de pénurie, de rareté de main-d'œuvre, là, évidemment, le défi, il est très exceptionnel, parce qu'on vit une situation qui est exceptionnelle. Est-ce que ça justifie d'expulser un enfant? Je vous dirais que non. Mais est-ce que ça représente un défi particulier? C'est clair que oui. [...] On va s’attaquer à la valorisation de la profession pour dire : "Vous savez quoi? Il y a de l’avenir dans le réseau; on n’est pas en mode compressions, on est en mode développement"
, assure Mathieu Lacombe, ministre de la Famille.
Les parents de Mickael ont porté plainte auprès du Protecteur du citoyen et de la Commission des droits de la personne.
Mickael n’est pas le premier enfant handicapé à qui on montre la porte.
Au moins 63 autres ont subi le même sort au cours des cinq dernières années dans d’autres CPE au Québec, pour différentes raisons.
Selon la Charte des droits et libertés, Mickael a droit aux mêmes services que les autres. Seule une contrainte excessive peut justifier un renvoi.
Le reportage d'Annie Hudon-Friceau et Christine Campestre est diffusé le 17 septembre à l'émission La facture sur ICI TÉLÉ.