Le Guyana joue son avenir sur le pétrole
Ce pays d’Amérique du Sud possède des réserves pétrolières qui pourraient le changer à tout jamais. Dans cinq ans, le Guyana produira 750 000 barils par jour, soit presque autant que la Norvège qui compte cinq millions d’habitants.

Le reportage de Jean-Michel Leprince
Photo : Radio-Canada / Jean-Michel Leprince
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
L’ancienne Guyane britannique va-t-elle succomber à « la maladie des ressources », la « maladie hollandaise »?
En 2015 les bateaux de forage d’Exxon Mobil ont découvert du pétrole à 200 kilomètres des côtes, dans la zone de Stabroek, l’ancien nom hollandais de la capitale, Georgetown. Le premier puits a été nommé Liza, puis un autre, Liza 2, a été foré. Exxon en est maintenant à 13 découvertes auxquelles des noms de poissons ont été donnés.
Dans le cadre de sa série sur la gestion des ressources pétrolières, le Téléjournal 22 h de Céline Galipeau s'est rendu en Alberta, en Algérie et au Guyana.
En 2025 Exxon Mobil et ses partenaires Hess et la chinoise CNOOC Nexen comptent produire au minimum 750 000 barils de pétrole par jour, soit l'équivalent d'un baril par habitant du Guyana. D’autres compagnies, dont la canadienne CGX, explorent d’autres zones très prometteuses. Ce pétrole est de très bonne qualité.

Le pétrolier nommé Liza Destiny est transformé en plateforme pétrolière.
Photo : Radio-Canada / Exxon Hess
Pas une goutte de ce pétrole ne doit atteindre les côtes, tout sera exporté. Parce que l’exploitation et l’exportation resteront en mer. Un pétrolier transformé, le Liza Destiny, va pomper et stocker le pétrole où d’autres pétroliers viendront faire le plein.
Il y a aussi du gaz naturel, selon Exxon, qui pourrait être transporté par gazoduc pour remplacer le diesel des centrales électriques du Guyana.
Originaire de Singapour, Brian Chia travaille depuis presque 40 ans dans plusieurs compagnies pétrolières à travers le monde. Un projet comme celui du Guyana, il n’a jamais vu ça.
La production prévue est officiellement de 750 000 barils (par jour), mais il y a de bonnes chances pour qu’elle atteigne facilement 1 million de barils. Equinor en Norvège produit 1 million de barils par jour, alors le Guyana pourrait être presque comme la Norvège dans les 10 prochaines années.

Carte de la zone d'exploration pétrolière de l'entreprise américaine Exxon.
Photo : Radio-Canada
Le Venezuela ou la Norvège?
Denis Chabrol est un des journalistes les plus respectés du Guyana. Son journal web, Demerara Waves, est la référence en objectivité. Cette découverte est colossale pour un pays comme le Guyana qui compte moins d’un million d’habitants. Si les revenus du pétrole sont gérés correctement, honnêtement, ils devraient bénéficier à tous les Guyaniens
, affirme Denis Chabrol.

Denis Chabrol est journaliste au « Demerara Wave ».
Photo : Radio-Canada / Jean-Michel Leprince
Le gouvernement du Guyana a négocié des redevances de 2 % seulement avec Exxon. Il envisage de réclamer au moins 5 % pour les futurs contrats. De plus, l'État touchera près de la moitié des revenus du pétrole lorsque les coûts d’exploration de la compagnie seront amortis. Cela prendra du temps, mais dans cinq ans le produit national brut (PNB) du pays, actuellement de 4 milliards de dollars, pourrait tripler.
D’ici là, les premières retombées économiques viendront sous forme de contrats et d’emplois pour les Guyaniens.
République coopérative du Guyana
Indépendance : 26 mai 1966
Langue officielle : anglais
Économie :
PNB : 3,830 G$ US
Par personne : 4880 $ US
Production :
Agriculture : riz, canne à sucre, café
Minéraux : bauxite (en déclin) manganèse, or, diamants
Les Guyaniens sont réalistes. Ils savent ce qu’il ne faut pas faire. Le Venezuela voisin est assis sur les plus grandes réserves pétrolières du monde et était il n’y a pas si longtemps le pays le plus riche d’Amérique latine. Il a tout gaspillé, ses dirigeants ont tout volé, le pays ne produit plus rien.
Trinité-et-Tobago, tout près, vit du pétrole depuis 50 ans, et lui non plus ne produit plus rien. Il importe tout. Le gouvernement du Guyana dit s’inspirer de la Norvège avec son fonds souverain, le Fonds de richesse naturelle, et prend conseil auprès de l’industrie pétrolière en Écosse.
Des politiciens notoirement corrompus
Les 750 000 habitants du Guyana, un des pays les plus pauvres du monde, vont-ils s’enrichir? L’humeur du pays balance entre espoir et scepticisme.
La population du Guyana se divise à peu près en deux. Les Noirs descendants d’esclaves africains, qui se retrouvent davantage dans le parti Partenariat pour l’unité nationale (ANPU) du président David Granger, qui a négocié avec Exxon. L’autre moitié est originaire des anciennes Indes britanniques et vote pour le Parti progressiste du peuple (PPP), lequel souhaite reprendre le pouvoir dans des élections qui devraient se dérouler sous peu.
Les origines de la population guyanienne:
- Indes britanniques (avant 1947) : 51 %
- Afrique : 30 %
- Mélange Européens/Indiens : 11 %
- Amérindiens autochtones : 5 %
- Autres : 3 %

Des zones humides longent la côte du Guyana.
Photo : Radio-Canada / Jean-Michel Leprince
Les Guyaniens savent que leur pays est classé 93e sur 180 pays sur l’échelle de corruption de Transparency international, alors ils se méfient de l’honnêteté de leurs politiciens. Car ce sont ces politiciens qui détermineront, si cette richesse nouvelle profitera aux citoyens ou bien sera détournée ou encore ne profitera qu’à une minorité avantagée.
Méfiance et scepticisme sont de rigueur, car tout le monde sait que le parti qui gagnera l’élection restera au pouvoir longtemps. Vingt ans peut-être.
Très peu de cas de corruption aboutissent devant les tribunaux. Mais nous savons tous que les sources de la corruption sont les pots-de-vin versés sur les gros contrats ou sur l’attribution elle-même de ces contrats. Cela implique beaucoup d’argent
, souligne Denis Chabrol.
Les besoins de ce petit pays pauvre sont énormes. Le délabrement de magnifiques bâtisses coloniales, le manque de routes et d’infrastructures portuaires l'illustre bien. L’éducation devrait être une priorité. Tout comme stimuler et moderniser une agriculture qui emploie beaucoup de gens, mais les nourrit à peine.

L'hôtel de ville de Georgetown est un joyau de l'architecture coloniale.
Photo : Radio-Canada / Jean-Michel Leprince
Attirer la diaspora à l’étranger, au Canada, où sont partis les plus éduqués. Surtout éviter ce qu’on appelle la maladie des ressources
ou encore la maladie hollandaise
: c’est-à-dire tout miser sur le pétrole, tout dépenser, arrêter de produire des biens pour tout importer.
Je veux vraiment souligner l’importance de la transparence. Les Guyaniens ont un besoin critique d’être assurés que l’argent sera bien dépensé. Et non pas gaspillé par les politiciens et leurs amis. Parce que ce serait une énorme déception pour tous les Guyaniennes et Guyaniens de voir toute cette richesse s’envoler en ne laissant rien derrière.
Mais, quoi qu’il arrive, dans cinq ans, le Guyana sera méconnaissable.