Habitat 67, modèle d’une nouvelle génération d'appartements en Asie

Habitat 67 à Montréal
Il y a 52 ans, Habitat 67 annonçait une nouvelle façon de concevoir le logement urbain. Délaissé pendant des années, le style commence maintenant à faire des adeptes à l’international.
La série d’appartements modulaires de forme cubique à l’apparence singulière fait partie du paysage montréalais en bordure du Saint-Laurent depuis plus de 50 ans. Son créateur, Moshe Safdie, peine encore à croire que son concept est devenu réalité.
C’est comme un conte de fées. Comment ai-je réussi à faire construire cela?
, se demande l’architecte israélo-canadien, âgé de 81 ans. Il était dans la vingtaine quand il a conçu le projet au milieu des années 60.
L’ensemble a été construit pour Expo 67 dans la Cité-du-Havre, tout près du Vieux-Port. Son design cubiste, ses grandes fenêtres et ses jardins sur toits étaient présentés comme la nouvelle façon de concevoir l’habitation urbaine.
L’objectif était de repenser l’immeuble à logements
, relate Moshe Safdie.
Ce projet a propulsé le jeune architecte dans une brillante carrière. À l’époque, il avait fait la couverture du magazine américain Newsweek, posant devant son chef-d’oeuvre. Une légende accompagnait le tout : The shape of things to come
(la forme des choses à venir).
Des constructions semblables étaient planifiées pour New York, Jérusalem et Porto Rico, mais elles n’ont jamais vu le jour, surtout à cause des coûts élevés. Réalisé dans le cadre de l'Expo, Habitat 67 était un projet unique, construit avec des fonds publics, contrairement aux projets résidentiels courants qui reposent sur les investissements privés.
Mais cinq décennies plus tard, c’est en Asie que Moshe Safdie bâtit des déclinaisons de son ouvrage emblématique.
Un succès tardif
Selon l’historien de l’architecture Hans Ibelings, de l’Université de Toronto, il est commun en architecture que des idées prennent des décennies avant d’être adoptées dans la pratique. Si l’idée a 30, 40 ans et qu’elle arrive à survivre… dans ce cas, ça devient un classique et on peut le voir clairement avec Habitat 67.
L’idée novatrice de Moshe Safdie était de créer de grandes terrasses et de vastes passages entre les unités, faisant en sorte que le complexe d’appartements présente les avantages d’un quartier de banlieue. C’était la démonstration qu’une construction urbaine à haute densité pouvait constituer un milieu de vie agréable, sans que les gens sentent qu’ils sont entassés dans une boîte à chaussures bétonnée.
Habitat 67 essaie de donner à l’individu ce qu’il recherche en banlieue, mais va plus loin, en lui offrant des avantages de la ville
, disait Moshe Safdie dans une entrevue à CBC en 1966.
Des coûts élevés
Habitat 67 avait coûté 17 millions de dollars à construire, ce qui représente environ 128 millions de dollars aujourd’hui – une somme faramineuse pour un projet de 158 logements.
Une des raisons de ce coût élevé était que le projet comprenait une usine sur les lieux pour construire les unités modulaires.
L’architecte prévoyait que dans l’avenir, les unités et leurs composants pourraient être produits en masse, un peu à l’image d’automobiles construites et assemblées en usine. Il espérait que cette méthode ferait diminuer les coûts de construction.

L'essentiel des unités, l'extérieur comme l'intérieur, a été préfabriqué en usine. Photos : CBC.
Toutefois, les montants nécessaires pour établir cette usine et construire les unités en béton se sont révélés bien trop élevés, soutient Avi Friedman, professeur d’architecture à l’Université McGill. Des exemples de bâtiments constitués d’unités préfabriquées existent aujourd’hui, dit-il, mais ils sont faits de matériaux comme le bois.
Une usine pour fabriquer des unités de béton coûterait très cher aujourd'hui.
On parle de millions, peut-être de dizaines de millions de dollars
, estime Avi Friedman.
De plus, le développement immobilier est cyclique, souligne-t-il; il est donc peu probable qu’une telle usine reçoive au fil du temps un nombre de commandes suffisant pour être rentable.

À l’occasion des 50 ans d’Habitat 67, le public est invité à visiter le complexe d’habitation tout l’été. Les détails avec Vincent Maisonneuve.
Une autre voie, puis un retour aux sources
Après Habitat 67, Safdie Moshe a signé d’autres bâtiments emblématiques, dont le Musée des beaux-arts du Canada, le Terminal 1 de l’aéroport Pearson à Toronto et le Musée d’histoire de la Shoah à Jérusalem. Il est allé dans une tout autre direction
, relate Hans Ibelings.
Même si Moshe Safdie a dessiné quelques immeubles inspirés d’éléments d’Habitat 67, comme des tours de condos à Toronto, ça n’a jamais été à grande échelle comme ce qu'il avait imaginé dans son projet d’origine (qui prévoyait d'ailleurs quelque 1000 unités pour Habitat 67).
Mais depuis quelques années, le développement urbain en Asie crée une demande pour le design de Moshe Safdie.
Ses constructions à haute densité offrant de grands balcons, des jardins communs et des espaces ouverts trouvent preneurs auprès de promoteurs immobiliers asiatiques qui veulent bâtir autre chose que des tours de logements traditionnelles.
Certains promoteurs contactent directement la firme de Moshe Safdie parce qu’ils sont admiratifs de son style. Dans d’autres cas, la firme obtient un contrat après avoir soumis un projet lors d’un appel d’offres.
La densité croissante des villes nous force à repenser les types de constructions pour garder un esprit de communauté
, dit Moshe Safdie.
Habitat Qinhuangdao, situé à environ 300 km à l’est de Pékin dans la ville du même nom, est un complexe gigantesque de tours d’appartements de 30 étages, qui comporte les mêmes terrasses et larges passages qu’Habitat 67.
Inauguré il y a quelques années à Singapour, le Sky Habitat, un complexe de 38 étages, possède quant à lui des balcons et des terrasses extérieures semblables à Habitat 67.
À Colombo, au Sri Lanka, Moshe Safdie a créé ce qui sera le plus gros bâtiment résidentiel du pays. Il s’agit d’une double tour – dont une partie est inclinée, ce qui permet de créer des terrasses avec une vue spectaculaire.
L’architecte est heureux de voir que sa vision trouve finalement un écho à l’international. Malgré ces grandes réalisations, son premier projet occupe une place particulière dans son cœur.
[Habitat 67] est le building le plus radical que j’ai construit, et ce, même après 55 ans de pratique
, avoue-t-il.
D'après un article de Craig Desson de CBC