Quel avenir pour les médias d’information?

Le reportage de Louis-Philippe Ouimet
Photo : iStock
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Les gouvernements du Québec et du Canada doivent aider les médias d'ici à traverser une crise sans précédent, ont martelé toute la semaine les invités de la commission sur l'avenir des médias d'information. Québecor Média, La Presse, Le Devoir, Radio-Canada, le Groupe Capitale Médias, des organisations syndicales et plusieurs experts ont apporté leur point de vue. Bilan d'une semaine importante pour les médias et le droit à l’information.
Trente-six auditions et 27 heures de témoignages plus tard que faut-il retenir de cette commission parlementaire où des intervenants qui vivent des problèmes similaires ont parfois divergé d'opinion à propos du remède à appliquer à l'industrie médiatique. Un constat : la situation est complexe et il n’y a pas de solution magique. Prenons quelques minutes pour étudier la question.

Les logos des géants de l'internet; Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM)
Photo : Getty Images
L’argent, toujours l’argent
Voici l’histoire qu’on a souvent entendue en commission. En pleine crise financière, des médias ont voulu freiner l’hémorragie en réduisant le nombre de journalistes dans leur salle de nouvelles. Au fil des ans, les médias présents à la commission ont constaté qu’il ne s’agissait pas d’un problème de dépenses, mais plutôt de revenus. Depuis 2009, les revenus publicitaires ont dramatiquement chuté au profit des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Ces géants du numérique ont cette capacité de cibler la clientèle des annonceurs en plus de leur permettre de rejoindre les jeunes consommateurs. Les entreprises et les gouvernements ont acheté de la publicité chez ces géants, au détriment des médias locaux.
C’est sans compter que ces géants relaient l’information produite par les médias d’ici sans payer un centime. Il s’agit-là de tout un paradoxe : les journaux d’ici se retrouvent à nourrir gratuitement en information des entreprises numériques qui encaissent des revenus publicitaires dont ils ont besoin pour produire leur couverture médiatique. Les médias régionaux sont les premiers touchés par la crise, parce qu’ils ont moins de ressources pour résister à un tel choc. Dans le cas du Groupe Capitales Médias, la baisse de revenus a été de 50 %.
Ajoutons à tout cela que la transition numérique a été plus lente pour certains médias que d’autres. À terme, un tel modèle ne peut pas tenir la route pour les médias.

En quelques années à peine, le Groupe Capitales Médias a subi une baisse de 50 % de ses revenus.
Photo : Ivanoh Demers
Chronique d'une catastrophe annoncée
Groupe Capitales Médias a créé une onde de choc mercredi à la commission en annonçant que la caisse de retraite de quelque 1000 employés accuse un déficit actuariel de 65 millions de dollars. L'entreprise, qui publie six quotidiens, dont Le Soleil de Québec et Le Droit d'Ottawa-Gatineau, est au bord de la faillite après avoir réduit de 53 % ses effectifs journalistiques.
Tandis que la nouvelle concernant le régime de retraite pourrait refroidir d'éventuels acheteurs, plusieurs voix se sont élevées pour dire que la disparition de ces journaux régionaux serait catastrophique. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec craint une « montréalisation » de l’information si toute la cueillette journalistique se fait dans les grands centres. Sans journaliste implanté en région, qui ira à la rencontre des maires de petites municipalités? Qui assurera la couverture d’événements locaux?
Confrontés à une telle précarité financière, ces médias régionaux se retrouvent devant trois choix : fermer leurs portes, être rachetés ou survivre en obtenant une aide gouvernementale.
Une fermeture pour plusieurs est une atteinte au droit à l’information. Un rachat par un conglomérat ouvre la porte à une plus grande concentration de la presse, s'inquiètent certains intervenants. Mais il vaut mieux une plus grande concentration de la presse que pas de presse du tout, a affirmé Pierre Karl Péladeau, de Québecor Média. Il demeure l’aide gouvernementale, mais qui doit se faire à certaines conditions. Le directeur du quotidien Le Devoir Brian Myles a répété que cette aide doit être équilibrée et équitable pour tous les acteurs de l’industrie.

L’éditeur de La Presse, Guy Crevier, et le président de La Presse Pierre-Elliott Levasseur sont intervenus lors de la commission parlementaire sur l’avenir des médias.
Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot
Un problème complexe
Trouver une solution juste pour tous représente un défi de taille. Le modèle d'affaires de chaque média est différent et plusieurs variables doivent être considérées.
La Presse a adopté le modèle de la gratuité en offrant son contenu sur les tablettes et sur son site Internet. Certains médias comme Le Devoir ont adopté un mode payant
qui leur a bien servi. Les médias écrits de Québecor Média ont adopté un modèle mixte qui se situe entre le deux.
Si les différents médias ont chacun leur modèle et leur vision, tous militent pour le droit à l’information. Il sera toutefois difficile de contenter en même temps tous les acteurs de l’industrie.
Les solutions
Les auditions de la commission ont laissé place à une pléiade de solutions. Tous s’entendaient pour dire que les géants du numérique, les GAFAM, doivent payer des taxes en sol canadien et payer pour cette information produite par les médias d’ici et qu’ils utilisent. D’ailleurs, le gouvernement fédéral a souvent été interpellé par les députés présents à la commission et par les médias invités. Ottawa doit agir et intervenir. Le premier ministre du Québec François Legault veut d’ailleurs s’entretenir avec le fédéral à ce sujet.
La création d’un crédit d’impôt sur la masse salariale des médias d’information a aussi fait consensus. Certains parlaient d’un crédit de 25 %, d’autres de 35 %. Dans l’industrie culturelle québécoise, le crédit d’impôt est un moyen efficace de développer le talent d’ici.
L’élimination de la contribution pour le recyclage permettrait aux hebdos régionaux de souffler un peu plus. La décision de Québec de ne plus obliger les villes à publier leurs avis publics dans les médias imprimés a aussi fait mal aux hebdos. Le retour de la publication des avis générerait des revenus qui seraient salutaires.

Pierre Karl Péladeau lors de la commission parlementaire sur l'avenir des médias.
Photo : Capture d'écran d'une vidéo de l'Assemblée nationale du Québec
L’idée de la création d’un fonds d’aide aux médias est souvent revenue. Pierre Karl Péladeau a soufflé le chaud et le froid à ce sujet. Il est défavorable à une aide financière de l’État aux médias d’ici, mais si un tel fond devait exister, il doit être accessible à tous et de manière équitable.
Il y a aussi d’autres solutions, plus complexes, comme celle de créer une régie de la publicité. Le vice-président principal de Radio-Canada, Michel Bissonnette, a ouvert la porte à une grande collaboration entre médias.
Les médias, qu'osse ça donne?
Le personnage incarné par Yvon Deschamps à la fin des années 1960 dans son monologue « Les unions, qu'osse ça donne » disait que dans la vie il y a deux choses qui comptent, une « job steady » et un « bon boss ». Assujetti au pouvoir de son patron qui boit une bière froide, cet ouvrier se contente d’une bière chaude. Dans son intervention à la commission, l’éditeur de La Presse, Guy Crevier, a dit que l’information ne devait pas seulement être accessible aux privilégiés. Lors de la commission, on a aussi souligné que le droit à l’information est primordial dans une démocratie. Tous les députés s’entendaient pour dire qu’on ne peut pas laisser mourir les médias. L’information ne doit pas seulement être l’affaire des détenteurs du capital.
Le gouvernement Legault veut s'inspirer des travaux de la commission pour accoucher d'un plan d'aide aux médias d'information. Pour certains médias écrits, le plan devra arriver plus tôt que tard, car le temps presse. Plusieurs journaux ont besoin d'aide, notamment ceux du Groupe Capitales Médias, qui a tout juste assez d'argent pour survivre jusqu'à la fin de l'année. Le scénario le plus pessimiste dit la mi-novembre, le plus optimiste la fin décembre.
À lire aussi :
Dans le calepin : faire plus, toujours plus
L'arrière-scène de la couverture médiatique de la commission parlementaire sur l'avenir des médias était tout aussi intéressante.
Tandis qu'à l'Assemblée nationale les intervenants et les députés répétaient qu'une presse en santé était essentielle à une saine démocratie, les journalistes qui recueillaient ces propos travaillaient tous à un rythme effréné pour respecter l'heure de tombée. À l'ère du journalisme multiplateforme, ils devaient faire le grand écart pour réussir à tout faire en même temps.
Le temps consacré à la réflexion avant d'aller sous presse ne cesse de diminuer. C'est une question qui a été abordée en surface, mais qui mériterait peut-être qu'on s'y attarde davantage. La pérennité de l’information de qualité passe aussi par un réinvestissement et par l’embauche de journalistes.
Un des éléments pernicieux de la crise des médias, avec la montée des fausses nouvelles et du désinvestissement dans les salles de presse, est que petit à petit plus personne ne fait la différence entre le vrai et le faux. Les groupes médiatiques et les experts qui étaient présents à la commission ont fait un appel aux deux ordres de gouvernement, mais aussi au public.