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Effets des pesticides sur la santé : « On veut savoir! »

L'Union des producteurs agricoles, l'Institut national de santé publique et des universitaires regrettent le manque d'études au Québec sur le sujet.

Marie-Josée Barbeau pose dans un champ ensoleillé.

La travailleuse agricole Marie-Josée Barbeau s'inquiète des nombreux cas de cancer du pancréas dans son entourage.

Photo : Radio-Canada / Thomas Gerbet

Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Quatre cancers du pancréas et deux pancréatites, autant du côté de sa mère que du côté de son père. Tous d'anciens travailleurs agricoles qui ont été en contact avec les pesticides. Après avoir perdu des proches, Marie-Josée Barbeau craint d'être la prochaine.

J'essaie de rester positive, mais oui je m'inquiète, dit la travailleuse agricole de Saint-Michel, en Montérégie.

Marie-Josée Barbeau a passé son enfance à quatre pattes dans les champs. Dans les années 1980, personne autour d'elle ne se protégeait des pesticides. Pas de combinaison, pas de lunettes, pas de masque.

« Le mononcle qui arrosait [de pesticides], il passait avec son tracteur en nous disant simplement : "Tournez-vous!" On ne pensait pas que c'était dangereux. »

— Une citation de  Marie-Josée Barbeau, travailleuse agricole à Saint-Michel, en Montérégie

Marie-Josée fait partie d’un groupe de travailleurs agricoles qui a alerté la Direction de la santé publique (DSP) de la Montérégie, en 2013, pour qu’elle investigue sur les cas suspects de cancers du pancréas dans le secteur.

Dans une lettre remise aux personnes concernées l’année suivante, la DSP confirme l'exposition de travailleurs maraîchers à un herbicide utilisé dans les cultures d'oignon, le Prowl. Des pratiques à risque ont été rapportées, constate la DSP, et ont mené à l'exposition des personnes atteintes du cancer du pancréas.

« Ceci nous permet de poser l'hypothèse que cette exposition pourrait avoir contribué à la survenue de cas de cancer du pancréas chez les travailleurs maraîchers [du territoire] du CLSC Jardins du Québec. »

— Une citation de  Extrait du rapport d'investigation de la DSP Montérégie

Mais impossible pour la Santé publique d'établir un lien formel entre les travailleurs agricoles de la région et le cancer. Elle explique dans son rapport que des contraintes méthodologiques l'en empêchent puisqu'il n'existe aucune source de données permettant de distinguer les travailleurs maraîchers dans la population du Québec.

Dans le rapport, la Santé publique admet qu'elle détient peu de connaissance entre l'exposition des travailleurs agricoles québécois aux pesticides et les effets sur leur santé.

Le Québec en retard

Onil Samuel dans son laboratoire.

Pour le chercheur Onil Samuel, la base de données du ministère de l'Agriculture est incomplète.

Photo : Radio-Canada / Pier Gagné

Le conseiller scientifique à l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), Onil Samuel, un des grands spécialistes du sujet dans la province, constate lui aussi qu'on a besoin de données sur la réalité québécoise.

« Ça serait intéressant qu'on ait un portrait québécois pour ce genre de maladies. Ce qu'on n'a pas actuellement. »

— Une citation de  Onil Samuel, conseiller scientifique à l'INSPQ

Depuis 25 ans, déjà, les États-Unis mènent une vaste étude épidémiologique sur 89 000 personnes (des producteurs agricoles, leurs conjoints et des applicateurs de pesticides) pour connaître les facteurs de risques sur leur santé. L'étude établit des liens avec certaines maladies, notamment le parkinson.

En France, depuis 2012, le parkinson est reconnu comme maladie professionnelle chez les agriculteurs. Ce n'est pas le cas au Québec.

Ça devrait nous inciter, au Québec et au Canada, à faire le même genre d'étude pour voir si notre population de travailleurs agricoles est exposée et démontre des effets sanitaires, dit Onil Samuel.

L'UPA réclame une vaste étude québécoise

Un tracteur épand des pesticides dans un champ.

L'épandage de glyphosate est monnaie courante dans les champs de blé canadiens.

Photo : Radio-Canada

Dans son mémoire remis à la commission parlementaire sur les pesticides, qui se tiendra du 23 au 26 septembre, l'Union des producteurs agricoles (UPA) demande au ministère de la Santé du Québec de financer une étude épidémiologique dans la province, comme aux États-Unis, pour mieux comprendre l'impact de l'exposition aux pesticides sur la santé des producteurs agricoles, de leur famille et de leurs employés.

« Les producteurs agricoles sont préoccupés par les risques que présentent les pesticides pour leur santé. »

— Une citation de  Extrait du mémoire de l'UPA

Les agriculteurs et leurs familles sont les plus exposés aux pesticides puisque leur milieu de travail se confond avec leur milieu de vie. Ces produits toxiques peuvent s'infiltrer dans le sol, atteindre la nappe phréatique et se trouver dans l'eau des puits.

Ce que l'on sait des risques des pesticides pour la santé

La Société canadienne du cancer indique que pour la plupart des pesticides étudiés, la recherche ne permet pas de conclure définitivement à l’existence d’un lien avec le cancer chez les humains, mais suggère une possible corrélation.

De son côté, l'Institut national de santé publique du Québec se réfère à une vaste recension scientifique menée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), en France.

Des études sur les animaux, mais pas sur les humains

Maryse Bouchard pose dans son bureau.

Maryse Bouchard, professeure de santé environnementale à l'école de santé publique de l'Université de Montréal

Photo : Radio-Canada / Thomas Gerbet

Radio-Canada a obtenu un mémoire remis à la Commission parlementaire sur les pesticides par trois professeurs du Département de santé environnementale et de santé au travail de l'Université de Montréal, menés par la professeure Maryse Bouchard.

Ils y expliquent que l'exposition de femmes enceintes à certains pesticides neurotoxiques peut causer des problèmes au fœtus et au développement de l'enfant se manifestant par des déficits cognitifs, des difficultés d’apprentissage, ou des problèmes neurocomportementaux, comme le trouble de déficit d’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).

Les chercheurs réclament une évaluation robuste de la toxicité de ces produits et de l’exposition humaine, afin de s’assurer que les risques à la santé de la population soient minimisés.

« L’état des connaissances actuel est insuffisant pour bien cerner les risques sanitaires encourus par la population en raison de l’usage massif de pesticides au Québec. [...] L’évaluation des risques repose actuellement presque seulement sur des études menées sur des animaux de laboratoire, dans des conditions d’exposition irréalistes. »

— Une citation de  Extrait du mémoire produit par des chercheurs de l'École de santé publique de Montréal

Nous estimons qu’il existe des lacunes considérables dans les données toxicologiques, ajoutent les chercheurs. Ils regrettent que l'exposition soit toujours analysée par rapport à l'ingrédient actif d'un seul pesticide, au lieu d'étudier des scénarios d’exposition réels, soit des expositions simultanées à plusieurs pesticides dans leur formulation commerciale.

Ils dénoncent aussi le fait que les gouvernements autorisent ou réglementent les pesticides en se basant sur des études fournies par l'industrie elle-même.

« Nous constatons de plus en plus souvent des contradictions importantes entre les évaluations de toxicité provenant de l'industrie et les évaluations des études indépendantes. »

— Une citation de  Extrait du mémoire produit par des chercheurs de l'École de santé publique de Montréal

Le glyphosate, l'ingrédient actif de l'herbicide Roundup, a été déclaré cancérigène probable par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), mais son fabricant Bayer conteste ces conclusions. Il s'agit du pesticide le plus utilisé au Québec.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux demeurera attentif aux travaux de la consultation générale sur l'impact des pesticides et ajustera ses actions si nécessaire, explique une porte-parole, Noémie Vanheuverzwijn.

Le ministère de la Santé tient également à dire qu’il est impliqué depuis de nombreuses années dans des activités visant à limiter les risques sanitaires des pesticides tant à l’échelle de la population générale qu’en milieu de travail.

L'insouciance de certains agriculteurs

Un dessin montre un habit de protection, un masque, des gants et des bottes.

Équipement recommandé par le ministère de l'Agriculture du Québec pour la pulvérisation de pesticides.

Photo : MAPAQ

Au Québec, près de 10 % des intoxications rapportées chaque année au Centre antipoison concernent des utilisateurs professionnels de pesticides.

L'UPA déplore que, sur les étiquettes des produits, l'information sur les risques pour la santé soit à peu près inexistante.

Il serait donc impératif d’exiger aux fournisseurs de pesticides qu’ils remettent des fiches de données de sécurité, écrit l'UPA, comme il se fait d’ailleurs déjà dans d’autres pays comme la France.

L'information fournie par le ministère de l'Agriculture aux travailleurs pourrait aussi être améliorée, selon l'UPA.

Selon Onil Samuel, de l'INSPQ, obtenir plus de données sur les risques donnera des arguments pour amener les travailleurs à travailler différemment.

La Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a également produit un mémoire pour la commission parlementaire, mais elle n'a pas souhaité le rendre public pour le moment.

Pendant ce temps, dans ses champs de Saint-Michel, Marie-Josée Barbeau continue d'épandre des pesticides chaque saison, mais elle est beaucoup plus prudente depuis une quinzaine d’années et porte tout l’équipement de protection recommandé.

Ce qui n’a pas changé, ce sont les questions qu’elle se pose sur sa santé et son besoin de réponses.

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