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Aux États-Unis, le débat persiste sur les compensations aux descendants d’esclaves

Des gens s'entassent à l'entrée d'une salle afin d'y entrer.

Le reportage de Raphaël Bouvier-Auclair

Photo : Associated Press / Pablo Martinez Monsivais

Ce mois-ci, les États-Unis soulignent l'arrivée des premiers esclaves africains en Amérique du Nord britannique, en 1619. Quatre cents ans plus tard, un débat persiste. Devrait-on dédommager leurs descendants pour le traitement qu'ont subi leurs ancêtres?

En avril, un vote particulier s’est tenu sur le campus de la célèbre Université Georgetown de Washington. Les étudiants devaient décider si, oui ou non, ils acceptaient d’augmenter leur facture de frais de scolarité de 27,20 $ par session.

L’argent recueilli irait aux descendants des esclaves qui appartenaient à l’institution. Au 19e siècle, pour régler d’importants problèmes financiers, les jésuites propriétaires de l’université ont notamment vendu 272 esclaves à des plantations du sud.

Le campus de l'Université Georgetown, à Washington.

Le campus de l'Université Georgetown, à Washington.

Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair

La hausse des frais de scolarité, qui ne faisait pas l’unanimité sur le campus, a été adoptée à 66 %. Des détails, comme la forme que prendront ces compensations, sont encore à déterminer.

Mélisandre Short-Colomb, une femme originaire de la Louisiane, qui a récemment effectué un retour aux études, a milité en faveur de la hausse des droits de scolarité.

Mélisandre Short-Colomb, étudiante à Georgetown est descendante d'esclaves ayant appartenu à l'université.

Mélisandre Short-Colomb, étudiante à Georgetown est descendante d'esclaves ayant appartenu à l'université.

Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair

Pour elle, le débat avait une importance particulière : Mélisandre Short-Colomb est descendante d’esclaves qui ont travaillé sur le campus de Georgetown.

Peut être que ces étudiants ne changent pas le monde, mais ils peuvent changer la culture sur le campus en investissant dans l'avenir.

Une citation de Mélisandre Short-Colomb

Un débat qui perdure

Cette décision prise par les étudiants de Georgetown s’inscrit dans un débat national autour des compensations aux descendants d’esclaves, qui dure depuis des décennies.

À la fin de la guerre de Sécession, les autorités avaient l’intention d’offrir des terres aux esclaves émancipés. Ce plan, approuvé par le président Abraham Lincoln, a été annulé par son successeur à la Maison-Blanche, Andrew Johnson. Depuis ce temps, aucune solution n’a été trouvée.

À la mi-juin, le Congrès a tenu pour la première fois en une décennie des audiences à propos d’un projet de loi visant à étudier la question.

Plusieurs personnes tentant de se trouver une place dans la salle où se sont tenus des audiences du Congrès sur les compensations aux descendants d'esclaves.

Les audiences du Congrès sur les compensations aux descendants d'esclaves ont été très populaires.

Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair

Signe de l’intérêt suscité par l’enjeu, des centaines de personnes, dont une grande proportion d’Afro-Américains, s’étaient donné rendez-vous dans la capitale, n’arrivant pas toutes à entrer dans la salle où se tenait la commission.

Notre sang, notre sueur et nos larmes sont ce qui a construit ce pays. Le nier serait se cacher la tête dans le sable.

Une citation de Bobbie Coales, une citoyenne en faveur des indemnisations

Le débat soulève énormément de questions. Comment déterminer les citoyens admissibles à une compensation parmi les dizaines de millions d’Afro-Américains… et surtout, quelle somme serait nécessaire?

Différentes études menées sur le sujet évoquent des scénarios allant de quelques centaines de milliards à des billions de dollars. Le projet de loi présenté au Congrès n’évoque pas de chiffre précis. L’élue démocrate qui parraine le texte veut avant tout que le sujet fasse l’objet de discussions et d’échanges.

Ta-Nehisi Coates devant une commission du Congrès.

Ta-Nehisi Coates devant une commission du Congrès.

Photo : Associated Press / Pablo Martinez Monsivais

Pour certains défenseurs du concept de réparation, comme l’auteur Ta-Nehisi Coates, il faut prendre en considération les conséquences de l’héritage de l’esclavagisme.

Il souligne entre autres les problèmes de pauvreté. Aux États-Unis, en 2016, une famille afro-américaine détenait une richesse médiane de 17 600 $, ce qui était environ dix fois moins que celle d'une famille blanche.

Ta-Nehisi Coates met aussi l'accent sur les enjeux liés à l'emprisonnement d'Afro-Américains. La honte en cette terre de liberté est d’avoir la plus grande population carcérale de la planète, et que les descendants d’esclaves en représentent la plus grande proportion, a-t-il indiqué devant les représentants.

Mais pour certains, comme le chroniqueur Coleman Hughes, qui s’est lui aussi exprimé devant les élus américains, une compensation financière ne permettra pas de régler ces problèmes sociaux.

Si nous payions des réparations, nous ne ferions que diviser davantage le pays. Cela rendrait plus difficile la mise sur pied d’une coalition qui est nécessaire pour affronter les problèmes auxquels les Noirs sont confrontés aujourd’hui.

Une citation de Coleman Hughes, chroniqueur

Y a-t-il un appétit politique?

À Washington, la classe politique est divisée sur la question.

Je ne pense pas que des compensations pour ce qui s’est produit il y a 150 ans et pour qui personne n’est aujourd’hui responsable soit une bonne idée, a par exemple déclaré le leader républicain du Sénat, Mitch McConnell.

Dans le camp démocrate, l’idée fait son chemin dans le large bassin de candidats à l’investiture en vue de l’élection présidentielle. Plusieurs d’entre eux, dont Cory Booker et Elizabeth Warren, appuient à différents degrés l’idée d’une compensation.

Ana-Lucia Araujo, historienne à l’Université Howard de Washington, note qu’aucun autre pays qui a eu recours à l’esclavage, que ce soit au Brésil ou dans les Caraïbes, n’a versé de compensations aux descendants.

Le grand aspect positif de tout cela, c’est d’amener le débat dans l’espace public.

Une citation de Ana-Lucia Araujo, historienne

La professeure note toutefois que le débat autour des compensations permet de mettre à l’avant-plan l’histoire de l’esclavage et son héritage pour la population afro-américaine.

Elle note par ailleurs qu’à défaut d’un système national, certaines institutions peuvent mettre sur pied leur propre mécanisme de compensation, comme l’ont démontré les étudiants de Georgetown.

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