Les visages de l’itinérance, entre l’ombre et la lumière

À Vancouver, le square Victory présente un nouveau visage ces jours-ci. D’immenses portraits en noir en blanc tapissent les allées de ce petit parc situé à quelques encablures de la rue Hastings, l’un des quartiers les plus défavorisés du Canada.
Aucun nom, aucune explication sur les photos. Pourtant, l’expressivité de ces modèles non conventionnels en dit long.
Certains passants les évitent soigneusement, d’autres les piétinent sans ménagement, mais personne ne peut les ignorer complètement sur son passage.
La vingtaine d’affiches collées au sol ne portent que la signature du concepteur du projet, le célèbre photographe français JR, mondialement connu pour ses collages photographiques urbains.
Mais ces portraits canadiens ont été pris par l’artiste d’Edmonton Jerry Cordeiro, le seul à avoir été sélectionné pour exporter le projet de photos Inside Out au Canada.
Ce dernier a fondé Humans of Edmonton Experience, un collectif qui poste sur les réseaux sociaux des images et des récits d'habitants marginalisés.
La proposition de cette exposition participative tombait tout à fait dans son mandat : tout candidat souhaitant faire passer un message politique, social, environnemental ou artistique
peut faire gratuitement imprimer ses portraits en très grand format dans le studio de JR à New York, et se les faire expédier pour les coller lui-même, s’il est sélectionné.
En guise de cimaises, Jerry Cordeiro a choisi le sol du square Victory fréquenté par les itinérants, ainsi que les poubelles d’une ruelle adjacente.
Je pense à tous ces gens qui sont étendus par terre, et que l’on croise sans prêter attention. Ces photos donnent une chance aux passants de vraiment regarder ces visages.
Le collage avec un mélange d’eau et de farine ne prend que quelques minutes à l’artiste qui préfère oeuvrer sous sa capuche et derrière ses lunettes noires. En digne cousin de JR, donc.
Les clichés exposés ont été sélectionnés parmi quelque 10 000 portraits pris depuis 2014.
Ce sont des gens qui restent dans l’ombre, c’est mon travail d’essayer d’aller chercher leurs histoires, de poser une voix sur leurs visages.
Jerry Cordeiro veut jeter une autre lumière sur l’itinérance et les victimes de dépendances, un cercle vicieux qu’il connaît personnellement.
Il nous confie que la photographie l’a sauvé, grâce à l’appareil qu’une amie lui a prêté à une période sombre de sa vie.
Quid de l’avenir de ces photos collées? Elles vont être emportées, il pleuvra dessus, on va les arracher, tout comme les autres éléments de la rue,
dit-il, la veille de l'éviction officielle d’un campement d’itinérants, à quelques rues du square Victory.