Les abeilles attaquées sur tous les fronts

Épaulée par le professeur Levon Abrahamyan, l’étudiante française Marie Marbaix met en place les protocoles nécessaires au séquençage des virus affectant les abeilles.
Photo : Radio-Canada / Martin Thibault
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Déjà en fort déclin à cause des pesticides, les populations d'abeilles doivent aussi se mesurer à un parasite porteur de virus auquel s’intéressent des chercheurs québécois.
Une combinaison de facteurs est responsable de la mortalité accrue des abeilles productrices de miel, explique Levon Abrahamyan, professeur en virologie à la Faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal.
Les virus sont un facteur très important, mais moins étudié
, poursuit-il.
Le chercheur s’intéresse plus particulièrement au Varroa destructor, un parasite proche de la tique qui infeste les ruches, s’attaque aux abeilles et leur transmet des virus.
Un hiver long et très froid, une infestation du Varroa destructor et une infection par virus sont donc « une combinaison fatale » pour les abeilles, se désole Levon Abrahamyan.
Au Canada, le quart des abeilles n’ont d’ailleurs pas survécu à l’hiver dernier, selon un récent rapport produit par l’Association canadienne des apiculteurs professionnels.
Les apiculteurs mettent en cause le faible système immunitaire des abeilles à cause des maladies, mais également la présence du parasite qui se nourrit à même les réserves de l’abeille
, qu’elle a faites pour survivre à l’hiver, explique Marie Marbaix.
L’étudiante française de 22 ans, une étoile montante du génie génétique, termine cette semaine un stage de trois mois dans le laboratoire du professeur Abrahamyan.

Après son stage de trois mois, Marie Marbaix n’écarte pas l’idée de revenir au Québec pour poursuivre ses travaux auprès du professeur Abrahamyan.
Photo : Radio-Canada / Martin Thibault
Au moment de se nourrir, le parasite va aussi transmettre des virus à l’abeille et l’affaiblir. À la sortie de l’hiver, une grande partie des abeilles ne se réveillent pas.
Celles qui survivent demeurent vulnérables, ce qui nuit à leur capacité de pollinisation.
Repères
Le Varroa destructor est une espèce d'acarien parasite originaire de l'Asie du Sud-Est. Comme une tique, il se nourrit en piquant les abeilles. Il peut décimer une colonie en quelques semaines à peine.
Le parasite s’est propagé avec le transport de produits agricoles. Il est arrivé au Canada à partir des États-Unis. Seule l’Australie est épargnée pour le moment.
Des virus potentiellement destructeurs

Le Varroa destructor est un minuscule parasite transporté par les abeilles du champ vers les ruches ainsi qu’entre les ruches.
Photo : Radio-Canada / Martin Thibault
La virologie des abeilles est un domaine d’étude relativement nouveau.
Seulement une vingtaine de virus affectant les abeilles sont connus à ce jour, mais Levon Abrahamyan soupçonne qu’il en existe beaucoup d’autres.
Certains virus, qui causent des malformations ou encore la paralysie des abeilles, s’observent au microscope, mais d’autres sont très difficiles à cerner.
L’objectif du professeur Abrahamyan est d’identifier le virome de l’abeille, soit tous les virus qui affectent les colonies, grâce au séquençage à haut débit.
C’est une technique relativement nouvelle, très sensible, et qui permet d’identifier l’information génétique des organismes
, explique-t-il.
Des abeilles de trois ruches dans la région de Saint-Hyacinthe sont acheminées au laboratoire de virologie moléculaire animale. Elles sont écrasées dans une solution réactive afin d’isoler l’ADN et l’ARN, et ainsi identifier les séquences d’acides nucléiques associés aux virus qui affectent les abeilles.
Après avoir extrait l’ADN et ARN des virus, les chercheurs pourront procéder au séquençage et à l’analyse bio-informatique des échantillons.
Avec l’information génétique, nous allons identifier les organismes déjà connus, mais aussi les organismes ou les virus inconnus.
En étudiant le virome de l'abeille et son parasite, on essaie de trouver la corrélation entre l’infection de l’abeille et la présence du parasite
, enchaîne Marie Marbaix.
L'hypothèse est qu’une population d’abeilles infestée par le Varroa destructor sera infectée par un plus grand nombre de virus qu’une colonie où le parasite est absent. Les chercheurs devront donc dans un deuxième temps départager les virus retrouvés au sein des deux environnements.
Un combat en deux temps

Avec leurs travaux, les chercheurs espèrent à la fois s’attaquer au parasite et immuniser les abeilles contre les virus qui les affectent.
Photo : Radio-Canada / Martin Thibault
L’objectif du professeur Abrahamyan est non seulement d’éliminer le Varroa destructor, mais surtout de protéger les abeilles contre les virus.
Déjà, le parasite a développé une résistance à certains insecticides.
Il suggère d’identifier ou de créer un virus qui pourrait l’éliminer. Ce n’est pas une idée nouvelle, mais ça n’a jamais été utilisé pour sauver les abeilles
, assure-t-il.
Les travaux du professeur de médecine vétérinaire pourraient aider à développer de nouvelles stratégies pour contrôler l'infection virale et peut-être même à proposer des traitements antiviraux.
Mais pour guérir les abeilles et éliminer le parasite, il faut d’abord comprendre ce qui décime les colonies, rappelle Marie Marbaix, pour illustrer l’importance de leurs travaux.

Plus du quart des abeilles n’ont pas survécu à l’hiver canadien cette année.
Photo : Radio-Canada / Martin Thibault
En 50 ans, la moitié des colonies d’abeilles ont disparu. Le temps presse, insiste l’étudiante, venue au Québec grâce à une bourse de Mitacs Globalink, qui jumelle des stagiaires à des projets de recherche partout au pays.
Ce sont des pollinisateurs naturels, à la fois de champs de culture dont on se sert pour l'alimentation, mais aussi des champs naturels. Si cette espèce va mal, ça reflète l’état de son territoire.
Les abeilles jouent un rôle vital dans l’environnement en pollinisant le tiers de nos aliments. Une grosse partie de l'économie est aussi basée sur les produits dérivés de l’abeille
, ajoute Marie Marbaix.
L’extraction d’ADN et d’ARN n'est qu'une partie des travaux du professeur Abrahamyan, qui collabore également avec Marie-Odile Benoit-Biancamano pour étudier la longévité et le rendement des abeilles mellifères.