Le sport électronique, bulle lucrative ou tendance de fond?

La première Coupe du monde de Fortnite s'est déroulée dans le stade Arthur-Ashe, à New York. Les 23 000 billets disponibles ont été vendus.
Photo : Reuters / Shannon Stapleton
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Alors qu’un jeune Québécois vient récemment d’empocher près d’un million de dollars canadiens lors de la première Coupe du monde du jeu Fortnite, l’industrie des compétitions sportives de jeux vidéo continue de générer de plus en plus de revenus.
« La question mérite d’être posée : est-ce que c’est une tendance ou une mégatendance? Autrement dit, est-ce une tendance de fond, comme on le dit en marketing? », s’interroge André Richelieu, professeur de marketing à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Spécialisé dans le marketing du sport, ce dernier compare les tournois sportifs traditionnels et ces événements électroniques pour évoquer l’importance des revenus générés par cette « sous-industrie du sport ».
« Pour Fortnite, le gagnant a remporté une bourse plus importante que le vainqueur [du tournoi de tennis] de Roland-Garros », rappelle-t-il.
En s’imposant dimanche à New York, dans un stade Arthur-Ashe à guichets fermés – qui accueille habituellement le tournoi de tennis de l’US Open – un Américain de 16 ans a remporté 3 millions de dollars américains. En juin dernier, à Paris, Rafael Nadal a quant à lui gagné 2,3 millions d'euros, soit 2,6 millions de dollars américains.
Dans les gradins, les spectateurs ont quant à eux pu admirer les performances de près de 200 joueurs, qui ont tous remporté au minimum 50 000 $ US, sur d'impressionnants écrans géants installés au centre du stade. Les billets étaient vendus entre 50 $ et 150 $ US.
« L’e-sport rejoint un public, un public qui n’est pas nécessairement attiré par le sport traditionnel, notamment les plus jeunes. Aujourd’hui, ces jeunes s’intéressent à ce genre de jeu qui combine le sport et les jeux vidéo. »
Fortnite, c'est quoi?
Jeu le plus populaire au monde, avec plus de 250 millions d'adeptes, Fortnite est un jeu à la base gratuit, avec la possibilité de réaliser des achats, qui se joue en ligne. Le principe est simple : les participants doivent survivre sur une immense île en se procurant différents équipements, dont des armes à feu.
De grandes marques partenaires
Année après année, le sport électronique génère des revenus en constante augmentation. Selon différentes estimations, la barre symbolique du milliard de dollars devrait être aisément franchie d’ici la fin de l’année. Et ce n’est qu’un début.
D’après André Richelieu, on pourrait même atteindre rapidement « deux milliards de dollars à l’échelle planétaire ».
Coca-Cola, Toyota, MasterCard : de nombreuses entreprises de taille mondiale n’hésitent d’ailleurs pas à signer de juteux contrats de partenariats pour s'associer avec l’Overwatch League, une ligue professionnelle de sports électroniques, ou à différents événements, notamment autour du jeu League of Legends.
L’objectif de ces firmes? « Parler aux jeunes hommes de 14 à 28-30 ans ». « Un jeune de 22 ans n’a pas la télévision câblée chez lui et il ne lit pas un journal papier », détaille Benjamin Denis, directeur marketing de Montreal Esports, un établissement qui dispose d’une équipe professionnelle et d’un centre d’entraînement.
« Le sport électronique vient répondre aux besoins de ces grandes marques. Ça leur permet de parler à la tranche de la population la plus difficile à rejoindre et que tu as le plus avantage à fidéliser le plus tôt possible. »
Attention aux matchs truqués
Tout comme le tennis ou le soccer, qui ont fait les manchettes ces dernières années sur ce sujet, le sport électronique doit veiller aux éventuels matchs truqués, avance André Richelieu, qui évoque l’arrivée du sport électronique dans le monde des paris sportifs. « Il y a des gens qui feraient plus d’argent en se laissant battre qu’en gagnant des bourses dans le e-sport, avance-t-il. Ça pourrait ternir la réputation et par ricochet la croissance, le développement et l’ampleur du e-sport dans 5 ou 10 ans ».
Des revenus plus diversifiés
Actuellement, « plus de 80 % des revenus proviennent de la commandite », assure André Richelieu. Ce modèle économique tend cependant à évoluer et les sources de revenus se diversifient.
« Depuis que le e-sport se professionnalise, on ne compte plus uniquement que sur la commandite », détaille Michaël Daudignon, responsable financier de la Fédération québécoise de sports électroniques (FQSE).
Dans un premier temps, explique-t-il, la vente de tickets peut s’avérer lucrative. « Il faut compter entre 50 $ et 100 $ selon la durée de l’événement. On achète un spectacle, une expérience. On vient voir le top de la pyramide », ajoute-t-il.
Surtout, le sport électronique, tout comme le sport traditionnel, compte sur les droits de diffusion. L’an passé, la plateforme de diffusion en continu (streaming) Twitch a par exemple dépensé 90 millions de dollars américains pour diffuser en exclusivité l’Overwatch league.
La dernière Coupe du monde de Fortnite a de son côté été diffusée sur Twitch, Facebook, Twitter et YouTube. Sur la chaîne YouTube de Fortnite, la dernière journée de la compétition, le 28 juillet, a atteint à ce jour les 11 millions de vues.
« Les grands tournois professionnels, de plus en plus, s’activent à monétiser les droits de diffusion. Ce sont les meilleurs joueurs et joueuses de leur discipline. Forcément, ces droits de diffusion s’arrachent, car tout le monde voudrait voir ce qu’il se passe. »
« C’est un revenu qui était inexistant dans le domaine du sport électronique, alors que dans le sport traditionnel, on le sait, RDS va payer assez cher pour avoir le droit de diffuser du hockey. C’est extrêmement important », affirme Benjamin Denis.
Preuve supplémentaire de l’intérêt grandissant de cette industrie : le vainqueur américain de cet événement, surnommé Bugha, a été par la suite l’invité de Jimmy Fallon, dans le Tonight Show de NBC.
100 M$ de prix
Sur l’ensemble de la saison, qui comprenait à la fois dix semaines de qualifications et la finale à New York, l’éditeur de Fortnite, Epic Games, a offert 100 millions de dollars américains de prix. Il s’agit d’une somme record pour le sport électronique. Les participants devaient avoir au minimum 13 ans pour participer à cette compétition et tous les candidats présents en finale ont empoché au minimum 50 000 $ US.
Les clubs sportifs dans l’arène numérique
Ces dernières années, les principales ligues sportives ont saisi l’occasion en se lançant dans cette aventure numérique. La NBA a par exemple lancé début 2017 la NBA 2K League, qui compte désormais 21 équipes. Le Canadien, de son côté, organise des événements spécifiques en partenariat avec le jeu NHL.
L’eMLS a également vu le jour, à travers une association avec le célèbre jeu FIFA de EA Sports.
« Il y a un fit naturel. L’idée est de rejoindre une audience que [l’on ne touche pas] avec les médias plus traditionnels. Pour pouvoir parler à ces gens-là, pour pouvoir les convertir, les amener [au stade], c’est une façon de les rejoindre », résume Pierre-Luc Paiement, directeur exécutif de l’Impact de Montréal, responsable des partenariats.
« C’est une industrie qui est en pleine effervescence, qui grandit de 200, 300 % année après année. Il y a vraiment une croissance vertigineuse qui n’est pas près de s’arrêter, d’après ce qu’on voit dans les projections. »
L’an passé, le club professionnel montréalais a ainsi engagé LyesMTL pour défendre ses couleurs sur la scène électronique.
« C’est un joueur qu’on paye, au même titre qu’on paye un joueur sur le terrain », explique Pierre-Luc Paiement, en évoquant un salaire inférieur « à 5000 $ par mois », qui pourrait néanmoins « évoluer au fur et à mesure que le sport va évoluer ».
« Pour nous, c’est aussi une offensive marketing, reprend-il. C’est une façon d’aller chercher, d’aller capter l’attention de notre audience. Tant qu’à dépenser de l’argent, on décide d’être plus stratégique, d’investir l’argent là où l’on sait que l’on va rejoindre une audience qui est très captive, loyale, et plus engagée que dans d’autres types de médias. »
Si les joueurs peuvent obtenir des bourses au cours d'une compétition, la présence de salaires annuels prend également de l'ampleur « pour assurer la pérennité » de l'industrie, mentionne Benjamin Denis.
Pour les meilleurs d'entre eux, « ça va dans les six à sept chiffres (par an), indique-t-il. Ça va dépendre du talent et bien évidemment du reach du joueur. Plus il est bon, mieux c’est. Mais plus il a de followers sur Twitter, plus le chèque va être gros. C’est de l’entertainement. »