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La recette chinoise pour conquérir le monde d'ici 2049

Une affiche derrière une statuette.

Une photo du président Xi Jinping placée derrière une statuette de Mao dans un commerce de souvenirs en Chine.

Photo : Getty Images / Greg Baker

La construction d’infrastructures dans les pays en développement et les liens de dépendance que cela engendre envers Pékin sont de plus en plus problématiques, avertissent plusieurs experts.

Depuis 2013, la Chine est chaque fois plus présente un peu partout dans le monde avec son projet de nouvelles routes de la soie, aussi appelées « Une ceinture, une route » (Belt and Road Initiative, BRI), qui comprend une partie continentale et une autre maritime.

Dans le cadre de ce projet pharaonesque, les Chinois ont signé des ententes avec 125 pays afin d’y construire des infrastructures telles que des ports, des autoroutes, des aéroports et des chemins de fer, mais aussi des pipelines, des centrales hydroélectriques et des réseaux de fibre optique.

Les entreprises chinoises ont mis en branle quelque 3000 projets depuis le lancement de la BRI.

Du Pakistan au Panama, en passant par le Nigeria et la Grèce, la Chine aurait déjà investi au moins 70 milliards de dollars américains pour encourager ces pays à lui ouvrir leurs marchés, à faciliter les échanges et à connecter leurs marchés financiers aux marchés chinois.

Xi Jinping veut faire de la Chine la plus grande puissance mondiale d’ici 2049.

Le président chinois, Xi Jinping, lors d'une conférence de presse dans le cadre du Forum Une ceinture, une route (Belt and Road), à Pékin, le 27 avril 2019.

Photo : Getty Images / WANG ZHAO

La BRI va cependant bien au-delà des infrastructures, de l’accès aux marchés, de la sécurisation des routes commerciales et de l’approvisionnement énergétique.

« C’est un projet qui se base en partie sur la construction d’une infrastructure de transport, d’énergie, de télécommunications, etc., mais qui a en fait beaucoup de dimensions  », explique Nadège Rolland, chercheuse au Bureau national de la recherche sur l’Asie à Washington (National Bureau of Asian Research).

C’est un projet qui a pris des dimensions mondiales et qui reflète le désir de Pékin d’étendre son influence politique et géostratégique sur une grande portion du monde.

Une citation de Nadège Rolland, chercheuse au Bureau national de la recherche sur l’Asie à Washington

Objectif 2049

Les Chinois ne s’en cachent pas : la BRI devrait leur permettre, d’ici le centenaire de la Révolution, en 2049, d’atteindre le statut de première puissance mondiale.

« Contrairement aux déclarations officielles chinoises qui insistent sur un projet bénéficiant à la communauté internationale, de nombreux facteurs de realpolitik guident le projet », soutient Tanguy Struye de Swielande, professeur à l’École des Sciences politiques et sociales de l’Université catholique de Louvain, en Belgique, et chercheur au Centre d'étude des crises et des conflits internationaux.

Carte du monde montrant les projets faisant partie de la nouvelle Route de la soie.

La Chine a également signé des ententes avec 19 pays latino-américains en vue de construire des infrastructures dans le cadre de la nouvelle Route de la soie.

Photo : Reuters

Ce que veut la Chine, en plus d’accéder à de nouveaux marchés pour exporter ses biens manufacturés et d’importer plus facilement des ressources, c’est accroître ses sphères d’influence et redéfinir les normes et règles internationales, explique M. Struye.

Ce faisant, la Chine projette une image d’un pays ayant les capacités d’une grande puissance qui se prépare à prendre le leadership des affaires internationales.

Une citation de Tanguy Struye de Swielande, professeur à l’Université catholique de Louvain

« Les manifestations physiques des routes de la soie sont presque moins importantes que tout ce qui est invisible, c’est-à-dire tous les liens que Pékin développe avec le monde en développement dans les domaines de l’éducation, de la sécurité et des normes », précise Nadège Rolland.

« Les infrastructures, c’est un outil qui aide Pékin à ouvrir des portes auprès des gouvernements de ces pays qui ont besoin de ces investissements, mais qui, au final, ouvre des portes sur d’autres coopérations qui ont des conséquences à long terme encore plus importantes qu’une connectivité physique avec la Chine. »

L’aide chinoise est la bienvenue dans des pays émergents qui ont des besoins criants en matière d’infrastructures. Selon la Banque mondiale, la BRI permettra de réduire les coûts et les temps de transport de marchandises, stimulera le commerce et pourrait contribuer à tirer 7,6 millions de personnes de l’extrême pauvreté.

Cependant, souligne la Banque mondiale, la Chine et les pays participant au projet devront adopter des réformes politiques majeures pour augmenter la transparence, améliorer la viabilité de la dette et atténuer les risques sociaux et environnementaux.

C’est que les projets ne correspondent pas toujours aux besoins des pays ou alors les termes des ententes signées avec les entreprises chinoises ne sont pas nécessairement dans leur intérêt.

Vue du port.

Le gouvernement du Sri Lanka a remis 80 % de la propriété du port de Hambantota à la Chine, dans le cadre d'un bail de 99 ans, pour éponger sa dette envers Pékin.

Photo : Getty Images / Paula Bronstein

Ainsi, on a beaucoup parlé, en 2017, du Sri Lanka, qui a dû céder le port de Hambantota à la Chine, afin d’obtenir les fonds visant à rembourser la dette contractée pour construire des infrastructures. Ce n’est pas le seul cas d’un pays financièrement dépendant de la Chine, incapable de rembourser son emprunt et coincé avec un éléphant blanc.

En outre, cette dépendance financière entraîne une dépendance politique, explique Tanguy Struye. « La Chine exerce aujourd’hui des pressions importantes sur ces pays qui dépendent économiquement d’elle pour qu’ils votent dans les institutions internationales en faveur de la Chine, par exemple au sein de la Commission des droits de l’homme à l’ONU. »

Une influence qui bouscule l'ordre établi

Mais il y a d’autres conséquences encore plus pernicieuses, dont l’érosion des institutions démocratiques, soutient l’International Republican Institute (IRI), un organisme américain non partisan qui fait la promotion de la liberté et de la démocratie dans le monde.

Dans un récent rapport (Nouvelle fenêtre), l’IRI dénonce le manque de transparence des accords conclus par les pays émergents avec la Chine, la plupart du temps à son avantage et sans aucune surveillance.

« Non seulement vous augmentez le fardeau potentiel de ces pays avec un endettement qui compromet leur santé financière, mais vous créez également un environnement propice à la corruption et à l'accaparement des ressources par les élites », explique David Shullman, conseiller principal à l’IRI et éditeur du rapport.

Les dirigeants politiques qui ont signé des ententes avec la Chine s’attribuent personnellement tout le mérite pour ces grands projets d’infrastructure et bénéficient ensuite des retombées politiques, sans avoir à rendre de comptes en matière de gouvernance et de respect des droits de la personne.

Ils peuvent juste prendre l'argent chinois et dire “non merci” au FMI [ou d’autres institutions occidentales] et ils n’ont plus à se plier à leurs exigences de réformes démocratiques ou de bonne gouvernance.

Une citation de David Shullman, conseiller principal à l’International Republican Institute

« Ça explique pourquoi les routes de la soie sont accueillies à bras ouverts dans ces pays-là, affirme Nadège Rolland. Pékin arrive sans exiger le respect d’un certain nombre de normes qui sont l’apanage du modèle occidental [...] Donc, ça peut être un modèle assez attirant pour des pays autoritaires, semi-autoritaires ou dans une position de transition démocratique fragile. »

Ce n’est pas une attaque directe, mais ça érode les fondements de l’ordre mondial tel que les Occidentaux l’ont imaginé avec pour fondement les droits de l’homme et la liberté.

Une citation de Nadège Rolland, chercheuse au Bureau national de la recherche sur l’Asie à Washington

Même si la Chine n’a pas l’objectif explicite d’étendre l’autoritarisme partout dans le monde et de saper la démocratie, c’est l’effet qu’elle obtient, croit M. Shullman. « Non seulement parce que ces pays n’ont plus à entreprendre des réformes démocratiques, mais parce qu’en plus ça s’ajoute à une offensive dans plusieurs pays émergents pour brider les organisations de la société civile et les médias », souligne-t-il.

Censure et cybersécurité

Un homme tapote sur un clavier d'ordinateur.

Un journaliste chinois consulte un site Internet.

Photo : Reuters / Tim Wimborne

Toujours selon le rapport, le gouvernement chinois manipule l’espace informatif pour censurer tout ce qui le fait paraître sous un mauvais jour et n’hésite pas à faire circuler de fausses nouvelles et de la propagande à son avantage, en investissant dans des entreprises de presse qui lui seront favorables et en mobilisant sa diaspora pour contrôler l’information.

La Chine est également une experte de la cybersurveillance, un domaine dans lequel elle forme les gouvernements des pays émergents.

« Ils offrent de la formation sur la gouvernance et sur les pratiques de cybersécurité, précise David Shullman, en plus d’exporter des outils que les régimes autoritaires emploient pour surveiller leurs propres citoyens. »

« La Chine étouffe ainsi l’Union européenne et les États-Unis en profitant de leurs « sociétés ouvertes », tout en veillant à renforcer le contrôle sur sa propre « société fermée » et à promouvoir le modèle autocratique dans différentes régions du monde », croit Tanguy Struye. Le soutien aux partis populistes, la désinformation et les cyberattaques font partie de l’arsenal déployé par les Chinois.

Vers un nouvel ordre mondial?

Mais si les Occidentaux dénoncent la BRI et la plus grande présence des Chinois dans les pays émergents, n’est-ce pas parce qu’ils sont en train de se faire ravir leur place et de voir chambouler l’ordre mondial qu’ils ont établi à leur profit?

Pas vraiment, croit Nadège Rolland. Ce qui fait peur aux Occidentaux, ce n’est pas tant la puissance économique croissante de la Chine, que les idées et les valeurs qu’elle véhicule. « J’imagine assez mal que, tout à coup, le Parti communiste chinois soit ouvert à la liberté d’expression et au respect des droits de l’homme sur la scène internationale, alors qu’il ne le fait pas à l’intérieur de son propre pays », estime la chercheuse.

S’il n’y avait pas cette divergence de valeurs, même avec la puissance économique grandissante de la Chine, on ne parlerait même pas d’un problème de jalousie de la part des puissances établies.

Une citation de Nadège Rolland, chercheuse au Bureau national de la recherche sur l’Asie à Washington

La chercheuse ne pense pas non plus que la Chine soit une puissance impérialiste, du moins pas comme l’ont été la Grande-Bretagne ou la France. « Quand on parle d’impérialisme, ça porte l’idée d’un développement militaire, d’invasion, peut-être la mise en place de gouvernements fantoches et on ne voit pas ça se passer avec les routes de la soie, pour l’instant » , affirme Mme Rolland.

Si Pékin ressent le besoin de protéger militairement ses intérêts à l’étranger, il semble pencher pour l’utilisation de forces locales, comme au Pakistan, où c’est l’armée pakistanaise qui assure la sécurité dans le corridor économique sino-pakistanais, plutôt que pour la présence de soldats chinois, explique-t-elle.

Quelle solution?

Devant cette croisée des chemins, quelle attitude devraient adopter les Occidentaux?

Ils gagneraient à être plus proactifs, croit M. Shullman. « Les États-Unis et leurs alliés doivent redoubler d'efforts pour proposer des solutions de rechange à ces pays en ce qui concerne le financement et l'investissement, sans pour autant essayer de répliquer la BRI », affirme-t-il.

MM. Morrison, Abe et O'Neill sont assis devant des drapeaux de leurs pays respectifs.

Les premiers ministres de l'Australie, Scott Morrison, du Japon, Shinzo Abe, et de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, Peter O'Neill, participent à une rencontre de la Coopération économique de la zone Asie-Pacifique (APEC) à Port Moresby, la capitale de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le 18 novembre 2018.

Photo : Getty Images / SAEED KHAN

Certains projets existent déjà. Ainsi, l’Australie, les États-Unis et le Japon ont récemment annoncé qu’ils financeront conjointement un projet de gaz naturel liquéfié en Papouasie-Nouvelle-Guinée, après s’être engagés en novembre à soutenir ensemble des projets dans la région indopacifique pour contrer l’initiative chinoise.

Même si c’est infime en comparaison à la BRI, c’est un pas important dans la bonne direction.

Une citation de David Shullman, conseiller principal à l’International Republican Institute

L’autre chose à faire, pense-t-il, c’est d’offrir à ces pays un appui réel pour les aider à négocier avec la Chine des accords dont les termes leur soient moins désavantageux.

Quelques États ont réussi à s’opposer aux pressions chinoises, notamment l’Australie. Dans ce pays, les médias et la société civile ont joué un rôle crucial en exposant les tentatives d’influence de Pékin, ce qui a poussé le gouvernement à adopter des lois pour mieux encadrer les agents étrangers.

C’est plus difficile pour des pays émergents, où la société civile est souvent moins forte, et alors que le modèle autoritaire chinois apparaît comme une option possible.

« Comment faire pour redresser la barre en faveur d’un modèle plus humain, qui promeut les valeurs de bonne gouvernance, de démocratie et de liberté? », se demande Nadège Rolland.

Selon Mme Rolland, la clé est de renforcer le modèle occidental afin de le rendre « plus attractif, mais aussi plus combatif et plus positif, pour qu’il redevienne un modèle vers lequel des sociétés un peu plus fermées se tournent à nouveau. »

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