Suivre la trace des espèces menacées grâce aux zoos

Ce léopard de l'amour du Zoo de Granby est considéré comme une espèce menacée. Seulement quelques centaines de spécimens sont toujours en vie dans le monde.
Photo : Photo fournie par le Zoo de Granby / Bertrand Duhamel
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Qu’il s’agisse de léopards, de macaques japonais ou d’hippopotames, les animaux du Zoo de Granby ont tous leur fiche individuelle. Le personnel y documente notamment leurs comportements et les soins qu’ils reçoivent. Une mine d’informations pour les chercheurs qui s’intéressent à la conservation des espèces menacées dans le monde.
22 février 2012 : Ce matin, Snow Flake ne voulait pas aller seule dans le grand parc extérieur. Elle se tenait près de la porte du transfert où étaient ses bébés
. 27 février 2016 : Snow Flake est toujours en chaleur. Quatre accouplements ont été observés
. 18 juin 2018 : Petite altercation entre Snow Flake et Kang. Kang a été mordu au dos, mais semble n’avoir aucune blessure ou douleur
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Ce ne sont là que quelques extraits du dossier de Snow Flake, qui contient 113 pages remplies depuis sa naissance, en 2005. Toutes les informations sur les soins vétérinaires qu’elle a reçus au fil des ans en font également partie.
Snow Flake est un léopard des neiges du Zoo de Granby. Dans la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), le léopard des neiges est considéré comme une espèce vulnérable.

Deux léopards des neiges hébergés au Zoo de Granby. Leur quotidien est documenté dans les moindres détails par le personnel.
Photo : Photo fournie par le Zoo de Granby / Bertrand Duhamel
Le Zoo de Granby héberge plus de 1500 animaux, dont plusieurs espèces sauvages menacées. Sur près de 230 espèces présentes à Granby, une quarantaine sont identifiées comme vulnérables ou à risque d’extinction, explique Patrick Paré, biologiste et directeur de la conservation et de la recherche au Zoo.
Le Zoo fait partie d’un groupe d’environ 1200 jardins zoologiques et aquariums membres du Zoological Information Management Software (ZIMS). Ce vaste système informatisé international permet à chaque institution d’inscrire les renseignements sur leurs individus et de consulter ceux des autres. Les dossiers de plus de 10 millions d’animaux, de partout dans le monde, y sont inscrits.
Le reportage de Gino Harel est diffusé le 30 juin à l’émission Les années lumière sur ICI PREMIÈRE.
Peu de statistiques sur les espèces
En avril dernier, une trentaine de chercheurs ont publié une étude (Nouvelle fenêtre) qui faisait le point sur les connaissances démographiques actuellement disponibles pour l’ensemble des espèces de tétrapodes connues sur la planète. Les tétrapodes regroupent les mammifères, les oiseaux, les reptiles et les amphibiens.
Ils ont d’abord effectué leurs recherches à partir de 22 sources de données que divers scientifiques ont rendues disponibles depuis des dizaines d’années. Certaines résultent d’observations faites dans la faune. D’autres concernent des animaux en captivité. Plusieurs sont d’origine inconnue.
À partir de ces données, l’étude a permis de construire un index des connaissances démographiques pour plus de 32 000 espèces de tétrapodes. Les auteurs de l’étude ont vite constaté des lacunes dans la quantité et la qualité d’informations disponibles pour un grand nombre d’espèces, qu’elles soient menacées ou pas.
Les taux de naissance et de mortalité par tranches d’âge, qui contribuent notamment à établir des tables de survie, n’étaient disponibles que pour un total de 613 espèces. Ces statistiques n’étaient d’ailleurs existantes que pour 4,4 % des mammifères considérés comme menacés et moins de 1 % des oiseaux qui ont ce statut précaire.
Le ZIMS multiplie les connaissances
Les chercheurs ont ensuite ajouté les données compilées dans le système ZIMS. Ces informations, qui proviennent d’animaux en jardins zoologiques, permettent d’ajouter un volume important de connaissances. Le ZIMS contient des documents sur des millions d’individus d’environ 22 000 espèces.
En ajoutant les renseignements des zoos et aquariums qui alimentent le ZIMS aux 22 autres sources de données connues, le nombre d’espèces pour lesquelles des informations sur les taux de naissance et de survie sont disponibles passe de 613 à 4699. Cela représente une augmentation de près de 800 %. Les statistiques sur l’âge à la première reproduction augmentent aussi, dans une proportion de 73 %.

Les petits pandas comme celui-ci ont un statut d'espèce menacée.
Photo : Photo fournie par le Zoo de Granby / Bertrand Duhamel
Le ZIMS est géré par l’organisme Species 360, dont le siège social est aux États-Unis. Sa directrice scientifique, Dalia Conde, est aussi la chercheuse principale de l’étude parue en avril dernier. Selon elle, même s’il faut continuer à investir dans la recherche sur les espèces menacées dans leur milieu naturel, le système ZIMS s’avère une source importante d’information, dans le contexte où des décisions éclairées de conservation doivent être prises.
Avec ses collègues, elle espère pouvoir à terme trouver une façon d’intégrer et d’uniformiser les informations du ZIMS avec celles des 22 autres sources de données connues, afin de les rendre accessibles tant aux chercheurs qu’au public en général.
Toutes les espèces ont leur importance
Même les animaux d’espèces dont le statut est moins préoccupant, comme les macaques japonais, ont leur dossier tenu à jour au Zoo de Granby.
Toutes les espèces sont importantes, rappelle Patrick Paré, qu'elles aient ou non un statut vulnérable. « Les espèces forment un tout. C’est l'équilibre écologique. C'est l’équilibre de la vie. C'est comme ça que ça fonctionne », ajoute le biologiste.
Tout est interrelié sur la planète. Alors une espèce est aussi importante qu'une autre espèce, même si elle est plus abondante. Il faut s'en préoccuper quand même de notre côté.

Dans l'habitat des macaques japonais du zoo, le mois dernier, Miu a donné naissance à un bébé mâle.
Photo : Eric Charland
Le mois dernier, Miu a donné naissance à un bébé macaque mâle. Miu a 13 ans et c’est son deuxième bébé. Elle n’a pas voulu élever le premier et le personnel du zoo l’a donc nourri à la bouteille. En nature, ça se passe comme ça également, explique Patrick Paré. Souvent, les premiers jeunes qui naissent ne sont pas élevés par les femelles.
Le deuxième, elle l’élève de façon extraordinaire, se réjouit-il, en nous montrant la fiche d’information du bébé. M. Paré nous lit un passage du dossier, qui ne fait encore à peine qu’une page et demie, deux jours après la naissance du petit animal.
Les observations ont été notées par le technicien en santé animale qui s’occupe de l’habitat des macaques.
Le bébé a bu plusieurs fois aujourd'hui. La femelle s'est bien nourrie en PM également [...]. Ses déplacements sont courts et plus maladroits le matin [...]. Le bébé est souvent maintenu la tête en bas. Par contre, en PM, elle fait de longues distances et le bébé reste bien et en meilleure position.
- Extraits du dossier d’un bébé macaque japonais

Le biologiste Patrick Paré est le directeur de la conservation et de la recherche au Zoo de Granby.
Photo : Radio-Canada / Gino Harel
La salle des dossiers
La registraire, Pauline Leggett, travaille au Zoo de Granby depuis 1998. Avec son adjointe, Isabelle Ménard, elle assure la tenue des dossiers de chacun des animaux qui sont hébergés à Granby.
Les nombreuses filières dont elle a la garde ne sont pas seulement remplies des dossiers des locataires actuels du zoo. D’autres y sont aussi archivés.
Ceux qui sont arrivés ici en 1960, on les a encore dans nos dossiers. S'ils sont décédés, ils sont classés quelque part. S'ils sont partis vers d'autres institutions, c'est d'autres filières. Mais on garde absolument tout.
Mme Leggett ne fait cependant pas que de la gestion d’archives. Elle participe aussi aux réunions et aux décisions qui portent sur les transactions au sujet des arrivées et des départs d’animaux entre le Zoo de Granby et d’autres ailleurs dans le monde.
Avant de décider de l’arrivée d’un nouvel animal, par exemple, plusieurs choses doivent être prises en considération. Dans quel secteur du site pourra-t-il être installé? S’entendra-t-il bien avec d’autres animaux qui sont déjà présents? Quels seront les coûts en nourriture et la nature des services vétérinaires qui lui seront requis? Voilà autant de questions auxquelles il faudra trouver des réponses.

La registraire du Zoo de Granby, Pauline Leggett, assure la gestion des dossiers de tous les animaux de l'institution.
Photo : Radio-Canada / Gino Harel
Il arrive aussi que des animaux soient envoyés d’un jardin zoologique à un autre pour des raisons de reproduction de l’espèce. Lors de notre passage, Pauline Leggett travaillait justement sur la venue prochaine de deux marabouts, en provenance de San Antonio, aux États-Unis. Le plan est d’amener ces deux oiseaux africains femelles pour les accoupler avec un mâle déjà présent à Granby.
Comme dans tout transfert du genre, pour s’assurer de la compatibilité génétique des deux nouveaux marabouts avec celui déjà présent au zoo, un comité d’experts nord-américains a d’abord dû formuler ses recommandations. Ce comité a eu recours à la base de données du ZIMS.
Puisque le ZIMS contient des informations sur la généalogie des 10 millions d’individus qu’il recense, Pauline Leggett et les gestionnaires du Zoo de Granby peuvent eux aussi consulter le système pour s’assurer d’éviter les risques de consanguinité à la reproduction.
Concilier captivité et état sauvage
En 2012, lorsqu’elle a commencé ses travaux sur la recension des diverses bases de données disponibles sur les espèces de mammifères, d’oiseaux, de reptiles et d’amphibiens, Dalia Conde a essuyé des critiques. Plusieurs doutaient, par exemple, de la pertinence d’utiliser des données d’animaux en captivité pour documenter des espèces à l’état sauvage, qui peuvent se comporter différemment en milieu naturel.
À ceux-là, elle offre l’exemple suivant. Pour connaître la taille d’une portée de léopards, elle aime mieux se fier aux informations provenant de 260 animaux en captivité qu’à l’opinion d’un expert qui serait allé sur le terrain, mais qui n’aurait peut-être jamais vu une seule portée de léopards en nature.
De son côté, Patrick Paré qualifie de « puissantes » les données contenues dans l’étude de Dalia Conde et ses collègues chercheurs.
Il rappelle cependant que les données provenant d’animaux gardés en jardins zoologiques doivent être bien normalisées. Les animaux des zoos sont nourris, logés et protégés. Ce sont là, explique-t-il, des conditions favorables qui peuvent avoir un impact sur la maturité sexuelle, le nombre de jeunes par portée, le nombre de jeunes par couvée et, ultimement, l'espérance de vie.