Protéger les fraises sans pesticide, grâce à un ver microscopique

Les fraises peuvent être protégées contre le charançon grâce à des vers microscopiques appelés nématodes
Photo : Radio-Canada / Alexandre DUVAL
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Lorsque le charançon s'attaque à un champ de fraises, il peut pratiquement le ruiner. Pour se débarrasser de ce petit insecte vorace, quelques producteurs du Québec ont récemment troqué les pesticides contre un soldat naturel : un ver microscopique appelé « nématode ».
À l’été 2017, le copropriétaire de la Ferme Onésime Pouliot, située à Saint-Jean-de-l’Île-d’Orléans, se demande ce qui peut bien se passer dans son champ de fraises. Les plants sèchent à vue d’œil, malgré une irrigation constante.
« Ça a commencé par des petits secteurs, puis plus la saison avançait, c'était environ 80 % du champ qui était affecté », raconte Daniel Pouliot.
Verdict de l’agronome : le charançon de la racine du fraisier a envahi son champ. Attiré au printemps, cet insecte pond ses œufs dans le sol. Pour grandir, les larves se nourrissent… des racines du fraisier, d’où son nom.
« En arrachant les plants, c'est soit que les racines sont mangées, ou qu'il y a des trous à travers la couronne du plant de fraises et c'est une larve qui est en train de manger le plant par l'intérieur. »
M. Pouliot estime avoir perdu au moins 30 % de la production habituelle dans ce champ, cette année-là.
Pour remédier à la situation, il aurait pu utiliser un pesticide contre les charançons. Or, le seul disponible est un néonicotinoïde, dont les effets néfastes sur les abeilles sont largement documentés.
Il opte plutôt pour une solution naturelle : les nématodes, qui sont de petits vers. À quelques kilomètres de son champ, l’entreprise AEF Global de Lévis commercialise depuis peu de temps une poudre qui contient justement des millions de nématodes.
En guerre contre les larves
À l’œil nu, on le voit à peine. C’est moins d’un millimètre de dimension
, illustre l’agronome Claude Dubois, qui travaille chez AEF Global.
Les nématodes sont un véritable cauchemar pour les charançons. Pour tuer leurs larves, les nématodes les colonisent. Ils s’infiltrent littéralement dans leurs corps, puis y relâchent une bactérie qui entraîne la mort des larves, explique M. Dubois.
« Ensuite, ils vont se reproduire et ressortir de la larve par milliers puis aller coloniser d'autres larves autour. C'est vraiment un effet boule de neige qu'on cherche à créer. »
L’efficacité de ces parasites ne s’arrête pas là. « Celui qu'on utilise, c'est un nématode qui a une stratégie de cruiser [tel un navire de guerre], qu'on appelle. Il va pourchasser les larves dans le sol plutôt que d'attendre qu’elles passent près de lui. »
Autorisés par l’Agence canadienne d’inspection des aliments, ces petits vers ont le potentiel d’éradiquer les charançons. Mais peuvent-ils se retrouver dans les fraises que nous consommons? Non, assure M. Dubois.
« On peut retourner au champ immédiatement. Il n'y a pas de délai de "réentrée", de délai de commercialisation, de délai de cueillette ou d'opération au champ, donc ça en fait une solution très sécuritaire. »
Arrosage annuel
L’utilisation de la solution d’AEF Global est assez simple. Les producteurs de fraises n’ont qu’à diluer la poudre d’argile dans l’eau et arroser leur champ, idéalement par temps pluvieux, pour qu’elle pénètre bien dans le sol.
Coût de l’opération : environ 350 $ l’hectare, soit un peu plus que le coût du pesticide habituellement utilisé contre le charançon de la racine du fraisier.
Mais comme cet envahisseur est attiré chaque année par les fraisiers, un seul arrosage ne garantit pas son éradication. Il faut agir soit de manière préventive, soit chaque fois que le champ montre des signes d’infestation.
Daniel Pouliot ne sait pas encore s’il aura à nouveau besoin de nématodes cette année. Après avoir laissé son champ se reposer l’an dernier, il vient de planter de nouveaux fraisiers, qui offriront leurs premiers fruits l’an prochain.
« C'est cette année qu'on va voir, durant le mois de juillet, s'il y a encore des dégâts ou si ça s'est bien contrôlé. S'il y a quelque chose, à l'automne, je suis encore en mesure de faire une application de nématodes », dit-il.
M. Pouliot sait cependant très bien que le charançon n’est qu’une menace parmi dans d’autres pour sa production de fraises.
« Ce n'est pas l'ennemi numéro un, mais quand même, quand il est présent, il peut faire pas mal de dégâts, de passer d'un champ rentable à, au contraire, un champ qui va coûter quelque chose. »
Une solution qui retient l'attention
Le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) souligne qu'il est difficile de lutter contre le charançon, bien qu'il ne soit pas l'envahisseur dominant chez les producteurs de fraises québécois.
« C'est quand même un ravageur qu'il va y avoir dans les principales régions productrices de fraises et ça va arriver à l'occasion, dans un ou deux champs, qu'il va être détecté », précise Stéphanie Tellier, conseillère en petits fruits et arbres fruitiers.
Le MAPAQ a déjà fait des essais avec certaines variétés nématodes, il y a quelques années, et avait obtenu des résultats mitigés. Mme Tellier indique cependant que le MAPAQ garde un oeil sur le nouveau produit d'AEF Global.
« Dans le programme Prime-Vert, il y a différents financements qu'on fait pour aider les producteurs à être plus "environnemental" et utiliser moins de pesticides [...] Ce n'est pas exclu que ce soit éventuellement joint dans le programme Prime-Vert si ça montrait une bonne efficacité. »
L'agronome Claude Dubois estime qu’une trentaine de producteurs de fraises du Québec pourraient opter pour les nématodes cet été.