Une victime d'un prêtre montréalais dit avoir subi un interrogatoire du clergé

Un homme agressé par un prêtre pédophile affirme avoir rencontré neuf membres du clergé dans des locaux situés derrière la basilique Marie-Reine-du-Monde, à Montréal.
Photo : CBC News / Louis-Marie Philidor
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Un homme agressé par un prêtre de Montréal dans son enfance dit avoir eu à répondre à des questions de membres du clergé après qu’il eut porté plainte à la police, en 2016. Celui qu’on identifie par les initiales A. B. dénonce ces agissements de l'Archidiocèse de Montréal, survenus alors que l’enquête policière était en cour.
Au printemps 2016, l'évêque auxiliaire Thomas Dowd a vent de rumeurs voulant que le prêtre Brian Boucher, qui fait l'objet, depuis l'année précédente, d'une enquête liée à une allégation d’agression sexuelle sur un mineur survenue à la paroisse Our Lady of the Annunciation, à Mont-Royal, ait pu faire une victime dans une autre paroisse, celle de St. John Brébeuf, dans l'arrondissement LaSalle.
Thomas Dowd fait des recherches et retrace A. B., dont l’identité ne peut être révélée parce qu’il était mineur au moment des faits reprochés.
A. B. lui raconte une première fois son histoire en détail. L'évêque auxiliaire l'encourage à porter plainte à la police.
Suivant le conseil de Thomas Dowd, A. B. reprend son récit, cette fois devant les policiers : il accuse Brian Boucher de l’avoir agressé sexuellement dans les années 1990, alors qu'il était âgé de 10 à 13 ans. Le prêtre est finalement condamné en mars 2019 à huit ans de prison pour avoir agressé A. B. et l'autre victime dans cette histoire.
La rencontre
D'avoir eu à raconter deux fois son parcours était déjà une douloureuse épreuve pour A. B. « Ça vous paralyse physiquement et mentalement d’avoir à en parler. Ça devient plus facile à force de le faire, mais en même temps, c’est comme s’il n’y avait plus d’oxygène dans la pièce, vous ne pouvez plus respirer ni vous concentrer; vous ne savez pas quoi dire », se remémore-t-il.
Mais c'était sans compter ce qui allait s'ajouter, à la fin de 2016 : alors que l’enquête policière a déjà débuté, des représentants de l’Église catholique demandent à rencontrer A. B. « J'ai peut-être été naïf, dit-il, mais j'ai cru que cette rencontre avec l'Église allait servir le processus judiciaire. »
A. B. affirme qu’on lui a donné rendez-vous dans l’immeuble de l’Archevêché, situé à l’arrière de la basilique-cathédrale Marie-Reine-du-Monde. L’endroit abrite des résidences de religieux et des bureaux.
Il est sous le choc. « Je rencontrais neuf prêtres au même endroit où j’avais été agressé, raconte A. B. Dans la même pièce, dans le même édifice. »
Il se rappelle avoir, devant lui, neuf membres du clergé, dont certains en soutane rouge et mauve. La rencontre dure plusieurs heures.
A. B. a l’impression qu’on lui fait un procès, puisque certains prêtres remettent en question la véracité de son témoignage et soulignent des contradictions dans les dates de son récit.
« "Tu es sûr que c’est arrivé?" Ou : "Les dates ne sont pas les mêmes ici; tu avais 11 ans, mais quand tu prends ta première communion, tu as 10 ans […]" Je n’ai jamais été plus vulnérable que ça dans ma vie. Ce genre de commentaires génèrent une anxiété que vous ne pouvez même pas comprendre », décrit A. B., au bord des larmes.
« À ce moment, vous avez l’impression d’essayer de gagner une guerre. »
« Contraire à la vision du pape »
Le prêtre américain Thomas Doyle, ardent défenseur des victimes de prêtres pédophiles partout dans le monde, n’a jamais entendu parler d’une telle pratique, qu’il critique vivement.
« Cette idée d'avoir neuf prêtres qui mènent une rencontre sous forme de procès est tout à fait contraire à la façon dont les choses devraient être faites. C'est certainement une façon de faire contraire à la vision du pape; de traiter les victimes comme si elles sont l'ennemi », explique-t-il.
À son avis, cette rencontre, qu’il décrit comme inappropriée, a été une terrible tentative d’obtenir de l’information de la part de la victime au sujet des agressions qu’il a subies.
« Lorsque les victimes se tournent vers l’Église, elles ne doivent pas être traitées comme des criminels ou interrogées comme si elles mentaient. »
Une action collective
Depuis la condamnation de Brian Boucher en mars dernier, A. B. a déposé en Cour supérieure du Québec une demande pour exercer une action collective contre l'Archevêque catholique romain de Montréal au nom des personnes qui disent avoir été agressées sexuellement par un membre de cette organisation religieuse depuis 1940.
Virginie Dufresne-Lemire, avocate au dossier avec deux autres collègues, qualifie de traumatisante la rencontre avec les représentants de l'Église, qui s’apparente à une entrave à la justice, selon elle. « Une victime pourrait décider de ne plus parler après ça, croit-elle, de ne plus vouloir du tout raconter son histoire, puis ne pas retomber là-dedans. Et là, elle ne veut plus témoigner et là, donc, on ne peut pas continuer. »
L’Archidiocèse de Montréal a décliné la demande d’entrevue de Radio-Canada par courriel, en invoquant les procédures judiciaires en cours.
La porte-parole de l’organisation religieuse, Erika Jacinto, a confirmé qu’il y a eu une enquête interne au sujet des agressions qu’A. B. a subies aux mains de Brian Boucher. Elle affirme que les conclusions de cette enquête ont été remises à la police.
Mme Jacinto a aussi fourni le protocole de l’Archidiocèse quant au traitement d’allégations d’abus possible d’un mineur.
Quelle que soit la suite des choses, A. B. croit que rien ne pourra complètement réparer tout le mal que son agresseur lui a fait.
Avec la collaboration de Leah Hendry, de CBC News