Opération séduction au Maroc et en Tunisie : l’industrie automobile en quête de main-d’œuvre
En raison de la pénurie de travailleurs, des concessionnaires québécois se tournent vers l'étranger pour recruter des mécaniciens.
Photo : Radio-Canada / Martin Robert
Mécaniciens, peintres, débosseleurs, gestionnaires et vendeurs : la pénurie de main-d’œuvre frappe sévèrement tous les secteurs de l’industrie automobile du Québec. La situation est telle que la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec (CCAQ) organise désormais des missions de recrutement à l’étranger et sert de courroie de transmission pour faciliter l’embauche et l’arrivée de travailleurs francophones qualifiés.
Le Belge Joël Ancion est un mécanicien d’expérience. Sa femme, Liesbeth Kirscht, et lui sont tombés amoureux du Québec en visitant de la famille établie dans les Laurentides. C’est alors qu’a germé l’idée d’immigrer de ce côté de l’Atlantique.
Mais, avec deux jeunes enfants, il fallait d’abord être certain qu’un revenu familial serait au rendez-vous avant de déménager. L’assurance d'un travail de mécanicien à temps plein a rendu l'aventure possible.
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La CCAQDès qu'on a eu cette confirmation d'emploi, on a eu énormément d'aide pour remplir tous les documents
, raconte le mécanicien.
Les concessionnaires devant un mur
La CCAQ
, qui regroupe la vaste majorité des concessionnaires automobiles du Québec, est aux prises avec une pénurie de main-d’œuvre qu’elle qualifie de sans précédent. Ce manque de relève dans l’industrie est tel qu’il entraîne des pertes financières pour ses membres.Fixer rapidement un rendez-vous avec un concessionnaire est souvent difficile. En conséquence, des clients se tournent vers d’autres réparateurs.
Aussi, les employés doivent prolonger leurs heures de travail et peinent à obtenir des vacances. Bref, la pénurie est un frein aux affaires. De plus, les jeunes recrues boudent les métiers liés à l’industrie et ne sont pas légion dans les écoles de formation.
Le recrutement est devenu un défi de taille pour Nancy Fortin, directrice des ressources humaines du Groupe Paquet, à Lévis, qui regroupe plusieurs concessionnaires.
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Il y a des concessionnaires qui offrent du quatre jours semaine, puis même à ça, on n'a pas plus de CV
, déplore-t-elle. Le groupe est allé jusqu’à offrir des primes de rétention de la main-d’œuvre de 1000 $ après trois mois de « loyaux » services. Mais, rien n’y fait : toujours pas de curriculum vitæ.
Ainsi, les concessionnaires que Radio-Canada a rencontrés ne considèrent pas que de verser des salaires plus alléchants à leurs employés réglerait le problème. Selon Gilles Poirier, propriétaire de Hull Hyundai, cela ne ferait que créer une surenchère entre concessionnaires.
Si je payais plus, je recruterais facilement. Eux, pour contrebalancer, devraient payer plus aussi. Tout le monde devrait payer plus et on ne ferait qu’alimenter la roue, tout simplement
, prédit-il.
Un argument qui ne convainc pas Dany Caron, président du Syndicat national des employés de garage du Québec, affilié à la Centrale des syndicats démocratiques (CSD) et qui compte plus de 2000 membres spécialisés dans le secteur de l’automobile.
Il croit, au contraire, que pour valoriser les métiers liés à l'automobile et faciliter le recrutement, il faudrait augmenter les salaires, particulièrement aux premiers échelons, pour attirer les jeunes.
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À son avis, un mécanicien, par exemple, peut gagner entre 20 $ et 40 $ de l’heure, selon ses compétences, sa région, et selon qu’il soit syndiqué ou non. M. Caron voit malgré tout d’un bon œil l’arrivée de travailleurs étrangers.
Recruter en Tunisie et au Maroc
La CCAQ
, financée par près de 900 concessionnaires au Québec, soit leur quasi-totalité, a reçu le mandat de ses membres de trouver une réponse à cette pénurie. Du 25 avril au 1er mai, une équipe de la CCAQ et une firme de recruteurs ont mené une troisième mission en Tunisie.Au cours des derniers mois, ils ont également étudié puis défriché le marché de la main-d’œuvre au Maroc. Objectif : dénicher des travailleurs francophones qualifiés et vendre l’idée de s’installer au Québec grâce au programme fédéral des travailleurs étrangers temporaires.
La Corporation se charge de vérifier les compétences de l’employé retenu ainsi que sa capacité à être accepté au pays et au Québec. On s’assure qu’il parle français et on l’encadre [...]. J’ai quelqu’un au bureau à temps plein qui s’occupe de ce programme-là
, déclare avec fierté le président-directeur général de l'organisme, Robert Poëti.
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La Corporation se défend de jouer le rôle d’une agence d’immigration. Cependant, le discours de vente répété à l’étranger est bien huilé : on y parle de la certitude d’un emploi à temps plein dès l’arrivée en sol canadien, de la capacité de travailler en français, de l’accompagnement pour trouver un logement, etc.
Par exemple, Mme Fortin du Groupe Paquet a dû accompagner un Tunisien et sa famille, fraîchement arrivés à l’aéroport de Montréal, à leur sortie de l’avion. On va les chercher. On leur trouve un logement. On va faire la première épicerie. Ils ont juste leurs bagages, ils ont peu d’argent et aucune carte de crédit
, raconte-t-elle.
120 travailleurs attendus aux quatre coins du Québec
Depuis l’automne, les quatre premières missions en Tunisie et au Maroc ont permis à une quinzaine de travailleurs étrangers de s’installer au Québec grâce à la stratégie de recrutement de la CCAQ
. Cent vingt autres sont inscrits dans ce processus, qui peut durer quelques mois.Ces travailleurs sont attendus autant dans les grands centres urbains que dans de plus petites municipalités, telles que Rimouski, Sept-Îles, Chibougamau, Rouyn-Noranda, Saguenay et Shawinigan.
En Outaouais, le concessionnaire Hull Hyundai se prépare à accueillir trois recrues en provenance de Tunisie d’ici la fin de l’été. On les attend, on a vraiment hâte. Ils ont passé les entrevues via Skype. On va leur trouver des parrains pour les intégrer plus facilement
, confirme, tout sourire, Gilles Poirier.
En plus des missions qu’elle mène en Afrique du Nord, la CCAQ
garde l’oeil ouvert sur les pays de la francophonie, une approche qui lui a permis de recruter le Belge Joël Ancion.Pour M. Ancion et sa famille, l’expérience, bien qu’encore nouvelle, est concluante. Même que sa conjointe vient de décrocher un emploi dans son domaine. Au fur et à mesure que les jours passent, ça nous confirme qu'on a bien fait de venir!
conclut le couple.