Demande d’action collective contre une importante congrégation religieuse du Québec

Le siège social de la congrégation des Frères des Écoles chrétiennes du Canada francophone, situé à Longueuil.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Après les Frères de Sainte-Croix et les Clercs de Saint-Viateur, c'est au tour des Frères des Écoles chrétiennes du Canada francophone d’être visés par un ancien élève qui souhaite exercer une action collective contre eux. La demande a été déposée jeudi matin à la Cour supérieure du Québec.
La personne à l’origine de ces démarches judiciaires est un homme de 66 ans de la Côte-Nord. Il souhaite être nommé représentant des demandeurs.
Dans sa requête, il affirme avoir été agressé sexuellement alors qu'il était âgé de 7 à 8 ans, à l’École Dominique-Savio à Forestville, entre 1960 et 1961, par le frère Onil Mailhot – dit le frère Patrice –, préposé et membre de la communauté religieuse. Le religieux est mort le 18 mai dernier.
La présumée victime veut être dédommagée pour toute sa souffrance, son angoisse, la perte d’estime de soi, sa honte, son humiliation pendant des années
. Elle réclame 600 000 $ à la congrégation religieuse.
Il a décidé d’en parler pour la première fois et de faire les démarches pour que lui et les autres victimes des Frères des Écoles chrétiennes puissent être compensés dans un recours en action collective
, a expliqué Me Alain Arsenault, qui représente le plaignant.
L’homme demande l’autorisation à la cour d’exercer cette action pour toutes les personnes, de même que leurs héritiers et ayants droit, ayant été agressées sexuellement, au Québec, par tout préposé et/ou membre des Frères des Écoles chrétiennes du Canada francophone durant la période comprise entre le 1er janvier 1940 et aujourd’hui
.
Jusqu'à maintenant, six autres personnes, dont une femme, souhaitent être dédommagées au moyen de cette action collective.
Les Frères des Écoles chrétiennes du Canada francophone
Originaires de la France, les Frères des Écoles chrétiennes du Canada francophone sont arrivés à Montréal en 1837 et ont joué un rôle clé dans l’accessibilité à l’éducation et sa promotion, particulièrement au Québec, mais aussi ailleurs au Canada et aux États-Unis.
Selon Alain Arsenault, la congrégation a été l’une des plus importantes de la province à œuvrer dans le domaine de l’enseignement.
La communauté religieuse a administré près d’une centaine d’établissements depuis 1940, comme des écoles primaires et secondaires, des pensionnats, des orphelinats, une colonie de vacances et un centre de pastorale.
À lire aussi :
Ils avaient en moyenne dans les années 40, dans les années 50 et dans les années 60, 40 000 élèves par année, donc ça donne un nombre de victimes potentielles lorsqu’on sait qu’un homme sur six a été victime d’agression sexuelle dans son enfance
, affirme Me Alain Arsenault.
Il est indiqué dans le document de cour qu’il est raisonnable de croire que le frère Patrice et d’autres préposés et/ou membres des défenderesses ont pu faire d’autres victimes
.
« On fera ce qu'il faut », disent les Frères
Florent Gaudreault, provincial de la communauté des Frères des Écoles chrétiennes du Canada francophone, déplore que des membres de sa congrégation aient pu agresser des enfants.
On regrette que ça ait pu arriver, qu’il y ait eu des victimes. C’est sûr que c’est absolument regrettable, alors on fera ce qu’il faut.
« C'était possible que ce soit arrivé et on pouvait s'y attendre, mais c'est toujours une surprise quand ça arrive », dit-il, en évoquant les autres poursuites du genre qui sont survenues au cours des dernières années.
La communauté religieuse entend se défendre en cour et ajoute qu’elle est disposée à entendre les causes des victimes présumées.
Cependant, M. Gaudreault doute que le frère Onil Mailhot ait pu agresser le demandeur.
« Onil Mailhot, qui est décédé le mois dernier, n’est jamais allé à Forestville, affirme-t-il. C’est un confrère qui a toujours été à Montréal. La plupart du temps, il était responsable de services ici à Montréal à la maison des frères âgés. Alors déjà, ça commence un peu mal de nommer quelqu’un qui n’était même pas là. »
Une décision de la Cour suprême qui a du poids
La requête contre les Frères des Écoles chrétiennes du Canada francophone arrive moins d’une semaine après la décision de la Cour suprême du Canada d’autoriser l’action collective d’un groupe de victimes alléguées contre la congrégation des Frères de Sainte-Croix et l’oratoire Saint-Joseph. Les juges ont établi que le délai de prescription n’était pas applicable, même s’il s’est écoulé plusieurs années depuis les agressions alléguées.
Le plus haut tribunal du pays mentionne aussi que les administrateurs de l’oratoire ont manqué à leur devoir de surveillance et de protection, parce que les administrateurs de l’oratoire, qui étaient eux-mêmes tous des membres de la congrégation, savaient ou auraient dû savoir que des agressions étaient supposément commises à l’oratoire par des membres de la congrégation
.
Alain Arsenault croit que ce point s’applique aussi aux Frères des Écoles chrétiennes du Canada francophone puisque, selon lui, ils ont été incapables d’admettre que certains de leurs membres étaient des agresseurs d’enfants.
Ils sont responsables, parce que c’est de leurs membres, mais ils sont responsables parce qu’ils n'ont rien fait pour les arrêter et protéger les victimes suivantes.
L’avocat des demandeurs pense obtenir gain de cause, puisque les récentes actions collectives se sont conclues par des victoires pour les victimes. Il s’agit plutôt d’une question de temps, et Me Arsenault espère que l’organisation religieuse voudra trouver un terrain d’entente.
Lorsque ses clients lui demandent si ce processus de réparation leur permettra de guérir, Alain Arsenault leur répond toujours : « Je ne le sais pas, mais votre vie va s’améliorer […] parce que vous avez décidé d’en parler, vous avez décidé de prendre un peu de contrôle sur vos émotions, de projeter la honte sur vos agresseurs, vous débarrasser de ce fardeau-là ».