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Écoute en continu : l'industrie québécoise à la traîne pour faire sa marque

Des icônes d'applications de musique en continu sur l'écran d'un téléphone intelligent.

Apple Musique, Spotify et Amazon Musique sont de gros joueurs du milieu de l'écoute en continu.

Photo : Associated Press / Jenny Kane

Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

L’absorption d’iTunes par Apple Music est une autre preuve que l’écoute en continu (streaming) est de loin la méthode principale de consommer de la musique. Or, l’industrie québécoise accuse un retard non négligeable dans la gestion des métadonnées, nerf de la guerre pour être repéré par les algorithmes des plateformes en ligne.

Lundi dernier, Apple annonçait la consolidation de ses services de musique sous son application Apple Music. Si Apple Canada précisait dans un communiqué que sa boutique en ligne iTunes Store restait ouverte, il n’en demeure pas moins que le géant californien emboîte le pas aux Spotify et Deezer de ce monde en misant sur l’écoute en continu pour son offre musicale.

La tendance est mondiale. L’an dernier, la Fédération internationale de l'industrie phonographique notait que l’écoute en continu représentait près de 47 % des revenus de l’industrie, en hausse de 9 points de pourcentage par rapport à 2017. Ce sont 8,9 milliards de dollars qui émergent de l’écoute en continu.

En comparaison, les ventes physiques représentaient 25 % de l’industrie ou 4,7 milliards de dollars.

« Maintenant, on paye une rente à vie pour accéder à la musique », note Jean-Robert Bisaillon, codirecteur du Laboratoire de recherche sur la découvrabilité et les transformations des industries culturelles à l’ère du commerce électronique (LATICCE) de l'Université du Québec à Montréal (UQAM). « Il faut maintenir un abonnement en vie pour avoir accès à notre discothèque, et ça, c’est vraiment un changement de posture! »

Le règne de la liste de lecture

Pour M. Bisaillon, les consommateurs payent environ deux fois plus d’argent pour s’abonner à ces plateformes – qui permettent l’accès à des dizaines de millions de chansons – qu’ils n’en dépensaient pour l’achat traditionnel de disques.

« Ce qui se développe de plus en plus, c’est l’écoute de listes de lecture qui sont faites soit par des algorithmes, soit par des êtres humains », précise Solange Drouin, directrice générale de l’Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ). « Quelle place on va avoir sur ces listes-là, c’est ça l’enjeu!  »

Ces listes de lecture représentent l’un des chevaux de bataille des producteurs de musique pour faire valoir leurs artistes auprès des consommateurs. L’impact financier d’une entrée sur ces listes pour un artiste est indéniable.

Dans une étude publiée en 2018 par la Commission européenne, on estimait qu’une présence sur la liste New Music Friday de Spotify peut générer des revenus de 117 000 $ US pour un artiste. Être sur la liste Today’s Top Hits – une autre liste qui regroupe, elle, les Katy Perry , Cardi B , Ed Sheeran et Billie Eillish – aurait pour sa part une valeur variant de 116 000 à 163 000 $ US.

Une liste de lecture sur Spotify avec plusieurs chansons et la photo d'un artiste.

Les listes de lecture sont maintenant l'une des manières les plus importantes pour faire découvrir des artistes musicaux.

Photo : Capture d'écran - Spotify

En entrevue avec Radio-Canada à Ottawa, le rappeur ottavien Squerl Noir racontait avoir vu son nombre d’écoutes en ligne bondir de 10 000 en un an, car il avait été mis sur la même liste que Drake .

À l’instar des traditionnelles programmations musicales radiophoniques, certaines de ces listes en ligne sont gérées par des êtres humains.

« [Avant] dans le milieu de la radio, on appelait quelqu’un et on faisait valoir à quel point on avait un bon artiste pour influencer à le faire jouer sur une liste, explique Solange Drouin.  »

À ce titre, des géants de l’industrie comme Sony, Universal ou Warner, de par leurs catalogues d'artistes imposants, ont une influence plus importante sur les plateformes numériques que des joueurs indépendants comme les producteurs québécois, rappelait cette semaine Solange Drouin en entrevue à l'émission Le 15-18.

C’est sans compter que Warner et Sony sont également actionnaires de Spotify .

Une page d'Apple Music propose des chansons de Jean Leloup.

Depuis juin, Apple a centralisé l'écoute de la musique sur sa plateforme Apple Music.

Photo : Capture d'écran - Apple Music

Mme Drouin explique également que les artistes font parfois affaire avec des agrégateurs qui sont en lien direct avec ces plateformes numériques.

« Vu qu’avec les services de musique en ligne on est noyés dans le contenu […] il faut trouver d’autres façons de faire connaître notre artiste », ajoute la directrice générale de l’ADISQ.

À cet effet, elle se réjouit de voir qu’un producteur de rappeurs québécois a conclu une entente spéciale avec Le Réseau des sports (RDS) pour les parties de la National Basketball Association (NBA).

« Pour lui, c’était comme évident l’association rap et "basketball" », note Mme Drouin.

« On ne commercialise plus un album ou un spectacle, on déploie la carrière d’un artiste 365 jours par année. »

— Une citation de  Solange Drouin, directrice générale de l'ADISQ

Algorithmes, métadonnées et référencement

Si ce ne sont pas des êtres humains qui s’occupent de confectionner des listes de lecture, ce sont des algorithmes qui vont suggérer aux auditeurs de nouvelles chansons.

« Quand ce sont des algorithmes qui décident ce qui sera la prochaine chanson, ce sont les données ou les métadonnées qui sont la base », martèle Solange Drouin. « Il faudra que toutes les chansons, tous les disques soient bien référencés. »

Les métadonnées, ce sont toutes les informations qui accompagnent la piste musicale, du nom de l’artiste à son pays d’origine en passant par sa maison de disque.

« Le cas des paroles de chanson est patent », explique Jean-Robert Bisaillon. « Si tu ne connais pas le titre d’une chanson, tu vas interroger la plateforme avec une ligne de texte dont tu te rappelles. »

Une liste de métadonnées pour une chanson de Jean Leloup incluant le titre, le nom de l'artiste, le titre de l'album et le compositeur.

Les métadonnées sont visibles sur la plateforme Apple Music.

Photo : Capture d'écran - Apple Music

Le LATICCE que codirige M. Bisaillon se spécialise d’ailleurs dans la « découvrabilité » d’artistes en fonction des métadonnées.

« On fait des tests en ce moment et on observe par exemple qu'il est beaucoup plus long pour "Apple" [par rapport à "Spotify"] de déterminer ton historique de goûts de façon à te proposer des chansons qui pourraient correspondre à tes intérêts », note M. Bisaillon. « Les services vont se démarquer avec ce type de capacité à recommander des contenus pertinents et Apple est définitivement en retard là-dessus. »

Autre retard, celui du Québec à inclure ce genre de métadonnées dans ses productions musicales pour qu’elles soient plus facilement repérées et suggérées par les algorithmes des plateformes d’écoute en continu.

« On ne voyait pas les retombées immédiates pour avoir envie d’y consacrer des ressources, du temps et des énergies », estime M. Bisaillon.

Pour Solange Drouin, si l’industrie de la musique est « plus avancée » que d’autres secteurs issus de l’audiovisuel, les producteurs de musique doivent en faire plus pour assurer aux plateformes d’écoute en continu beaucoup plus de métadonnées.

« On ne pourra rien demander aux services de musique s’ils n’ont pas ces données-là pour travailler », note-t-elle.

Compte tenu du contexte mondial de ces plateformes, cette guerre contre les métadonnées n’est pas que le problème des artistes émergents, s’empresse d’ajouter Jean-Robert Bisaillon.

« Tu n'as pas besoin de t’appeler Antoine Corriveau pour avoir du mal à émerger sur une plateforme comme Spotify, tu peux t’appeler Robert Charlebois et avoir du mal aussi! »

— Une citation de  Jean-Robert Bisaillon, codirecteur du LATICCE

Car ce qui rapporte beaucoup dans l’industrie de la musique, ce sont « les fonds de catalogue », explique le codirecteur du LATICCE, ces classiques remastérisés réécoutés encore aujourd’hui.

« Tous les albums gold, les vintage albums, les trucs de Deep Purple, Led Zeppelin, Paul Simon, les Beatles, tout ça c’est écouté à la planche, parce que les gens vont beaucoup interroger les plateformes en fonction de ce qu’ils connaissent », explique M. Bisaillon.

Le LATICCE a justement fait une expérience en interrogeant trois plateformes d’écoute en continu sur la présence de musique québécoise de l’année 1970 – une grosse année , selon le codirecteur du laboratoire qui s'appuie sur une liste de 709 albums, dont Jaune de Jean-Pierre Ferland, Le roi heureux de Félix Leclerc et l'album éponyme de Michel Pagliaro. Résultat : une infime partie des albums originaux étaient présents.

« Évidemment, certaines chansons, des gros hits, on va les retrouver [dans des compilations], mais l’intégrale de l’album, [de] 4 % à 6 % seulement », souligne M. Bisaillon.

Un marché pour un Spotify québécois?

À un problème québécois, une solution devrait-elle être québécoise? Dans une lettre transmise au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) le mois dernier, l’ADISQ rappelait qu’aux Netflix , Apple TV et autres plateformes de diffusion en continu vidéo internationales, le Québec pouvait opposer des TOU.TV, illico et autres plateformes locales.

Or, aucune plateforme semblable n’existe au Québec pour la musique.

« Moi, je pense sincèrement qu’il est trop tard pour créer une structure québécoise », laisse tomber Solange Drouin, qui estime que les plateformes actuelles, contre lesquelles devrait compétitionner une éventuelle option québécoise, ont déjà investi des sommes faramineuses pour leurs algorithmes de recommandation.

« Notre meilleure chance, c’est de voir ce qu’on peut faire, la place que l’on peut prendre avec les services existants », résume la directrice générale de l’ADISQ.

Un point de vue que ne partage pas Jean-Robert Bisaillon. Il croit plutôt que le Québec aurait les moyens de développer une plateforme. Évoquant le cas d’Archambault Zik – fermé par Québecor en 2015 –, il souligne cependant que ce projet sera très difficile.

Même si c’est un méchant contrat, moi je pense qu’on aurait à gagner à avoir une plateforme québécoise. Il y aurait certainement moyen de faire ça de manière intelligente sans que cela coûte une fortune , estime-t-il.

M. Bisaillon évoque par exemple un partenariat avec des compagnies déjà établies, comme la française Deezer .

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