Marcel Ouimet, reporter de guerre, la voix du débarquement

Marcel Ouimet sur le terrain, en 1945
Photo : CBC
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
« Ici Marcel Ouimet de Radio-Canada qui vous parle de France. » La voix était distante et grésillante. Mais pour des millions de Canadiens pendant la Seconde Guerre mondiale, les reportages de Marcel Ouimet représentaient un lien presque direct avec les événements qui secouaient l'Europe.
Le matin du 6 juin 1944, le reporter de guerre envoyé par Radio-Canada débarque sur la plage de Bernières-sur-Mer, en Normandie, en compagnie des soldats canadiens du régiment de la Chaudière. En sautant de la barge à Juno Beach, il a de l’eau jusqu’à la taille et porte à bout de bras sa machine à écrire qui lui servira à rédiger sa première dépêche annonçant le début de la plus grande opération logistique de débarquement de l’histoire.
Ce reportage, Marcel Ouimet l’écrit à l’hôtel Belle Plage, situé à une centaine de mètres de la rive où il se pose brièvement à l’invitation de la population locale, enthousiaste à la vue de ces soldats qui parlent français avec un drôle d’accent. Ce moment est aujourd’hui souligné par une plaque sur l’immeuble, toujours debout et rebaptisé « La maison des correspondants de guerre ».
Bernières-sur-Mer prévoit, par ailleurs, honorer la mémoire de Marcel Ouimet en donnant son nom à l’une des places de la ville. Témoin privilégié de l’époque la plus troublée du 20e siècle, le reporter canadien connaît en effet un destin exceptionnel.
Des plages du débarquement de Normandie le Jour J, jusqu’à la capitulation de l’Allemagne nazie en mai 1945, Marcel Ouimet est partout et couvre tout au jour le jour. Il découvre en compagnie des soldats canadiens l’horreur des camps de concentration. Arrivé à Berlin, il visite le bunker d’Hitler d’où il ramènera quelques souvenirs, comme des notes de service signées de la main du Führer. Il couvre aussi l’historique procès de Nuremberg et celui du maréchal Pétain.
Mais c’est sans doute la libération de Paris qui émeut le plus le journaliste. Peut-être parce que c'est une ville qu’il connaît pour y avoir étudié en 1937. Dans son reportage du 26 août 1944, il ne peut retenir son émotion en décrivant l’entrée triomphale des troupes alliées et du général de Gaulle dans la capitale française. Il prend des tonnes de photos pour documenter un événement qu’il sait historique.
Les reportages de Marcel Ouimet étaient peu à peu tombés dans l’oubli au Canada et étaient totalement inconnus en France jusqu’à ce qu’un journaliste et historien, Jean-Baptiste Pattier, mette la main dessus un peu par hasard et se passionne pour cette vie hors du commun.
« Les reportages de Marcel Ouimet sont exceptionnels, parce qu'ils sont vraiment très précis d'un point de vue historique, et ils s'intéressent beaucoup aussi aux populations civiles, aux terribles bombardements, aux ruines des villes », explique l’historien.
Mais c’est en découvrant, par la suite, les innombrables lettres que Marcel Ouimet écrivait à sa femme Jacqueline pendant la même période que Jean-Baptiste Pattier comprend qu’il a entre les mains un trésor. Dans cette correspondance, le reporter de guerre note plus candidement ses observations, ses états d’âme, et dévoile les coulisses de ses couvertures.
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Cette correspondance est longtemps restée dans les archives personnelles de la famille Ouimet jusqu’à ce que les trois filles du reporter, Paule, Lise et Renée, décident de la transmettre à l’historien. Mises en parallèle avec les reportages, ces lettres ont inspiré l’écriture d’un livre consacré au premier reporter de guerre de Radio-Canada.
Parfois dactylographiées, parfois manuscrites, les lettres relatent l’envers du décor et révèlent souvent les humeurs et sentiments du reporter. La plus touchante est sans doute celle écrite d’un navire sur la Manche le 5 juin 1944, la veille du débarquement. Rédigée à la main, elle trahit l’anxiété du reporter. Marcel Ouimet déclare avec passion son amour à Jacqueline comme si c’était pour la dernière fois.
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Cette lettre est la préférée de Paule, Lise et Renée. « Moi, j’ai senti la peur dans cette lettre. La peur et l’attente de ne pas savoir ce qu’il va arriver », dit Renée, avant d’ajouter : « Et puis, il y a une grande tendresse et une sensualité dans cette lettre-là ».
Les messages à Jacqueline sont aussi l’occasion, pour le reporter, d’exprimer ses doutes et ses frustrations face aux difficultés qu'il affronte sur le plan technique, et qui l’empêchent de faire son travail aussi bien qu’il le souhaiterait.
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Paule, Lise et Renée sont venues en Normandie pour la première fois ensemble à l’occasion du lancement du livre. Elles en ont profité pour marcher, main dans la main, sur le sable de Bernières-sur-Mer. Là même où leur père est débarqué, 75 ans plus tôt. Quelques pas sur la plage qui avaient tout d’un pèlerinage.
Toutes trois souhaitent aujourd’hui que l’ouvrage contribue à mieux faire connaître leur père, victime, selon elles, de sa discrétion. « Papa était un homme humble », explique Paule, l’aînée.
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« Moi, en tout cas, j’espère que ce livre-là va permettre aux Canadiens de savoir ce que mon père a fait », confie Lise. « Pour moi, ça représente d’honorer papa. Et puis le faire reconnaître, finalement, pour ce qu’il était : un correspondant de guerre, journaliste, un écrivain incroyable », poursuit Renée, la cadette.
En écrivant son livre, Jean-Baptiste Pattier a développé une grande admiration pour l’homme effacé et courageux qu’était Marcel Ouimet. Il précise que, contrairement à d’autres comme Ernest Hemingway ou Robert Capa, par exemple, Marcel Ouimet a dormi en Normandie le soir du débarquement, à la belle étoile, dans une tranchée avec les soldats : « Marcel Ouimet avec son humilité, il mérite, je pense, qu'on lui redonne toute sa place dans l'histoire; l'histoire du journalisme de guerre et l'histoire de la Seconde Guerre mondiale ».
Jean-Baptiste Pattier, Un reporter au cœur de la Libération, des plages du débarquement au bureau d’Hitler, Éditions Armand Collin, 2019.