Affaire libyenne : SNC-Lavalin subira un procès

Les bureaux de SNC-Lavalin à Montréal.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
SNC-Lavalin subira un procès concernant des activités passées en Libye, a décidé le juge Claude Leblond de la Cour du Québec. La firme d'ingénierie québécoise fait face à des accusations de fraude et de corruption qu'elle a l'intention de contester « vigoureusement ».
Le juge Leblond a rendu sa décision en matinée, lors d’une audience au palais de justice de Montréal. Il a statué que la Couronne disposait de suffisamment de preuves pour justifier un procès.
La multinationale canadienne a jusqu'au 7 juin pour faire savoir si elle préfère avoir un procès devant jury ou juge seul.
SNC-Lavalin est accusée d’avoir versé 47,7 millions de dollars en pots-de-vin au régime libyen entre 2001 et 2011.
L’enquête préliminaire dans le procès criminel de SNC-Lavalin a commencé le 29 octobre 2018.
La première personne à témoigner était le policier de la GRC Paul Vincelette de la Boissière qui, de 2012 à 2016, a coordonné la preuve dans une enquête.
Le deuxième témoin était Riadh Ben Aïssa, un ancien cadre de SNC-Lavalin. Au total, 12 témoins ont été entendus.
L'enquête préliminaire sur les accusations criminelles qui pèsent sur SNC-Lavalin a pris fin le 1er avril dernier et le juge Leblond a réservé sa décision, laquelle a été rendue publique ce matin.
Le tribunal avait alors émis une interdiction de publication dans ce dossier; il est donc impossible de faire part de la preuve en question.
Accord de réparation refusé
La direction de SNC-Lavalin a tenté d’obtenir un accord de poursuite suspendue, ce qui lui aurait permis de payer une amende plutôt que d’être traduite en procès.
La procureure générale du Canada, Jody Wilson-Raybould, a refusé, à l’automne 2018, d'infirmer la décision de la directrice des poursuites pénales, qui s’opposait à toute négociation d’un tel accord.
Rhéal Fortin, député du Bloc québécois plaide de son côté pour cette solution.
On pense toujours qu'il faudrait qu'il y ait un accord de réparation. Il n'est jamais trop tard. L'accord peut intervenir n'importe quand avant le jugement.
Le député de Rivière-du-Nord a également rappelé qu'un procès coûterait « probablement des millions à l'État et s'éternisera pendant des semaines, des mois, voire des années », avant d'ajouter que ce qui se passe présentement est un « cirque politique ».
Cette affaire est vite devenue un boulet pour le gouvernement Trudeau, accusé par Mme Wilson-Raybould d’avoir fait pression sur elle pour qu'elle accepte un accord, ce qu'il a nié.
Le premier ministre Justin Trudeau a maintes fois soutenu qu’un procès contre SNC-Lavalin fragiliserait l’entreprise et que des pertes emplois sont à craindre.
L'entreprise s'exposerait à de graves conséquences si jamais elle devait être reconnue coupable : elle pourrait ne plus pouvoir soumissionner sur les appels d'offres fédéraux pendant dix ans.
L'entreprise prête à en découdre
Dans un communiqué publié mercredi, la firme de génie québécoise prend acte de la décision du juge Leblond, mais précise qu’elle a la ferme intention de se défendre.
« SNC-Lavalin entend contester vigoureusement ces accusations et plaider non coupable dans l'intérêt de ses employés, partenaires, clients, investisseurs, retraités et autres parties prenantes », peut-on lire dans le communiqué.
Nous déciderons de la meilleure façon de faire valoir notre cause et des arguments juridiques sérieux que nous allons présenter pour continuer de nous défendre vigoureusement afin d'obtenir le jugement souhaité et un acquittement.
Expliquant que les faits qui sont reprochés à la compagnie aujourd’hui se seraient produits il y a de 7 à 20 ans, le président et chef de la direction, Neil Bruce, assure que l’entreprise n’est plus du tout ce qu’elle était à cette époque et que les employés visés par cette affaire ne travaillent plus pour SNC-Lavalin depuis longtemps.
« SNC-Lavalin est une entreprise qui s'est complètement transformée », plaide Neil Bruce.
Pas un long procès, selon la Couronne
Le procureur de la Couronne au dossier, Richard Roy, a été peu loquace au palais de justice. « On ne peut pas dire grand-chose aujourd’hui parce que la décision rendue par la cour est assujettie à une ordonnance de non-publication », a-t-il dit.
Cependant, il a confirmé que les trois entités accusées soit SNC-Lavalin international, SNC-Lavalin construction et le Groupe SNC-Lavalin inc., sont bel et bien citées à procès et que le dossier reviendra en Cour supérieure le 7 juin afin que les parties décident de quel type de procès elles veulent.
Questionné à savoir si le procès sera long, Me Richard Roy a répondu : « Je vous dirais que je ne croirais pas. Cela pourrait durer un certain temps. Il va y avoir plus tard des audiences à la cour où nous verrons à présenter, à exposer la durée du procès, et ainsi de suite. Je préfère réserver mes commentaires à ce moment-là ».
Au sujet d'un possible appel de la décision par la multinationale, Me Richard Roy a rétorqué : « Ce serait inapproprié pour moi de le faire, mais en droit je vous dirais qu’il n’y a pas d’appel d’une citation à procès. Maintenant, il y a certains recours en droit tout simplement. Il y a des recours extraordinaires en Cour supérieure qui peuvent être exercés ».
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Des réactions brèves et nuancées
Dans les couloirs de l’Assemblée nationale du Québec, le premier ministre François Legault s’est montré prudent dans ses déclarations. Il a simplement lancé : « Je vais prendre connaissance du dossier ».
À Ottawa, le premier ministre Justin Trudeau a refusé de commenter cette affaire judiciaire, mais a réaffirmé sa confiance dans le système de justice.
« On a énormément confiance dans notre système justice indépendant. On ne va pas faire de commentaires sur les processus qui sont actuellement devant la cour. C’est sûr qu’une de mes responsabilités a toujours été de protéger des emplois et c’est toujours quelque chose qu’on va chercher à faire », a-t-il affirmé.
Pour sa part, le procureur général du Canada et ministre fédéral de la Justice, David Lametti, s’est limité à dire : « Je suis le dossier de très près ».
De son côté, le ministre fédéral des Transports, Marc Garneau, a démontré une certaine crainte de voir ce fleuron québécois quitter le pays.
« Je voudrais certainement que SNC-Lavalin puisse continuer d’être une des grandes compagnies mondiales dans le domaine de l’ingénierie, puis c’est une compagnie qui est au Canada, qui est au Québec. J’aimerais cela qu’elle reste là. Ce sont eux qui doivent prendre leurs propres décisions basées sur leur situation financière et d’autres facteurs. Mais j’espère qu’ils vont rester au Québec. On est très fier de cette compagnie qui existe depuis presque 100 ans », a-t-il déclaré.
Enfin, François-Philippe Champagne, ministre fédéral de l'Infrastructure et des Collectivités a dit qu'il fallait « s'assurer que les gens qui ont commis des crimes paient pour leurs crimes, mais d'un autre côté, il y a une façon de ne pas pénaliser une entreprise ».