Renverser Justin Trudeau, un clic à la fois

Justin Trudeau, en réflexion lors de la conférence de l'Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs, mardi, à Toronto.
Photo : La Presse canadienne / Christopher Katsarov
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Des militants font déjà campagne sur les médias sociaux pour influencer la prochaine élection fédérale. Le groupe de droite Canada Proud prévoit dépenser des centaines de milliers de dollars en publicités ciblées pour se « débarrasser » de Justin Trudeau. Incursion dans le champ de bataille numérique.
« Ce n’est vraiment pas une lumière! Il doit être défait », laisse tomber Jeff Ballingall en parlant du premier ministre. Au cours des prochains mois, le fondateur du groupe d’influence Canada Proud entend bien le dépeindre comme un « hypocrite » et un « imposteur » sur les réseaux sociaux.
Dans son arsenal, des vidéos, des images peu flatteuses et des mèmes très partisans pour ridiculiser le premier ministre. Certaines de ces vidéos ont été visionnées plus de 2 millions de fois sur Facebook. Dans l'une d'elles, intitulée La planète entière se moque de Justin Trudeau, on se moque de l’habillement du premier ministre lors de son voyage controversé en Inde.
Le groupe met aussi de l’avant le mot-clé « Trudeau est fou » (Trudeau is bananas) et un segment titré « TOP 5 des moments les plus idiots de Trudeau ». Sur une autre image, on l’accuse de vouloir « voler » la prochaine élection avec son plan d’aide annoncé pour les médias.

Une publication tirée de la page Facebook de Canada Proud. « Partagez si vous voulez rompre avec Justin Trudeau en 2019 », peut-on lire.
Photo : Facebook (capture d'écran)
Entre le 1er janvier et le 14 mai dernier, un total de 13,3 millions de minutes des vidéos de Canada Proud a été visionné sur la plateforme. Dans la dernière semaine seulement, sa page Facebook a généré 1,2 million d’engagements. Un chiffre imposant, considérant ses 94 000 abonnés.
Comment, alors, les publications de Canada Proud peuvent-elles circuler autant?

Le fondateur du groupe Canada Proud, Jeff Ballingall
Photo : Radio-Canada
Canada Proud dépense de grosses sommes pour promouvoir ses contenus en ligne. Son financement provient de dons individuels et d'entreprises de partout au Canada, notamment de l’industrie pétrolière de l’Alberta, confirme M Ballingall.
D’ici la fin de juin, le groupe mènera une offensive et prévoit dépenser plus de 200 000 $ en publicités ciblées sur les médias sociaux pour attaquer le premier ministre.
Après le 30 juin, une nouvelle loi viendra limiter les montants qu’il peut dépenser. Un plafond d’environ 1 million de dollars est imposé aux groupes tiers en période préélectorale (juin à septembre) et d’environ 500 000 $ en période électorale.
La nouvelle législation fédérale interdit aussi aux tiers de recevoir du financement étranger.
Canada Proud espère atteindre le maximum de dépenses permises par la loi. Il envisage aussi de financer des appels et des envois de messages textes en masse.
Lors de l’élection ontarienne, Ontario Proud affirme avoir envoyé plus d’un million de textos et fait plus de 2,5 millions d’appels.
Il tente aussi d’augmenter sa présence sur Instagram, Twitter et YouTube.
Avec cette recette, Jeff Ballingall affirme avoir contribué à la défaite de Kathleen Wynne en Ontario à la dernière élection provinciale, par l'intermédiaire du groupe Ontario Proud qu’il a aussi créé.
Si ça fonctionne, c’est parce que nous parlons aux gens en dehors de la bulle médiatique de Toronto, Ottawa et Montréal.
« Trop de gens sont tenus à l’écart du discours politique parce que les médias et les partis politiques se concentrent sur des enjeux de cuisine interne qui n’intéressent pas les Canadiens », pense M. Ballingall, proche du mouvement conservateur et ancien employé politique sous le gouvernement Harper.
D’autres raisons peuvent expliquer cette portée, selon Nellie Brière, consultante stratège en communications numériques et médias sociaux. « Quand on a des idées campées et qu’on fait dans la propagande, c’est plus facile d’avoir des contenus accrocheurs. [...] La nuance, elle n’a rien de sexy sur les réseaux sociaux », constate-t-elle.
Ils ont compris comment ça fonctionne, la façon de manipuler la visibilité de ses contenus et aussi l’opinion publique.
Selon elle, les groupes comme Canada Proud sont passés maîtres dans l’art d’utiliser les algorithmes de Facebook pour promouvoir leurs contenus. Ils misent sur un engagement régulier auprès de ses utilisateurs sur une multitude de sujets, pas seulement la politique.
La gauche est-elle en train de perdre la bataille du numérique?
Des groupes comme North 99, Leadnow et PressProgress utilisent des tactiques semblables pour s’en prendre au chef conservateur Andrew Scheer et au premier ministre ontarien Doug Ford.
Toutefois, avec sa recette et l’achat de publicités, Canada Proud accumule les « J’aime » beaucoup plus vite que ses adversaires progressistes.
Influence de groupes militants sur Facebook (7 derniers jours)
Idéologie de droite
- Canada Proud : 1,2 million d’engagements
- Ontario Proud : 708 000 engagements
- Québec fier : 103 000 engagements
Idéologie de gauche, progressiste
- Leadnow : 22 000 engagements
- PressProgress : 87 000 engagements
- North 99 : 192 000 engagements
Source Facebook. Engagement : J’aime, commentaire ou partage d’une publication
Le député libéral, Randy Boissonnault, croit que les organisations de gauche et progressistes doivent rehausser leur jeu sur les médias sociaux.
C’est vraiment un champ de bataille, et je trouve que les groupes de droite et d’extrême droite sont en train d’avoir plus de présence sur les médias sociaux.
Il cite en exemple les attaques subies par Hillary Clinton lors de l’élection présidentielle de 2016 aux États-Unis qui ont contribué à « changer des votes », selon lui.
Il avance l’idée d’utiliser des robots « positifs » automatisés déployés sur les médias sociaux pour répondre aux attaques de la droite et parler favorablement « de la communauté LGBTQ, des personnes de couleur, des immigrants ».
Comment les électeurs peuvent-ils éviter d’être manipulés pendant la campagne électorale à venir?
« On doit tous devenir des journalistes », illustre la consultante Nellie Brière.
Elle invite les citoyens à vérifier la provenance de l’information qu’ils consultent et à utiliser les outils à leur disposition. Par exemple, Facebook a mis en place l’onglet « Pourquoi est-ce que je vois cette publication? » pour en apprendre plus sur l’origine d’un contenu.
« Il faut valider qui sont les auteurs de ce qu’on lit. Sont-ils des journalistes? Sont-ils soumis à un code d’éthique? », explique Mme Brière.

Nellie Brière est consultante stratège en communications numériques et médias sociaux.
Photo : Radio-Canada
Elle suggère aux Canadiens de s’informer auprès des médias traditionnels et de consulter l’ensemble de leur contenu, pas seulement les publications qui apparaissent sur leur fil d’actualité personnel.
Ces publications choisies par les algorithmes des médias sociaux peuvent créer un effet de distorsion et exposer les internautes à un seul côté de la médaille, en fonction de leurs croyances.
Elle invite à la plus grande prudence et rappelle que les médias sociaux n’ont pas comme objectif premier d’informer, mais bien de divertir et de relier les gens.
« La démocratie, ça commence avec le fait d’être bien informé, pas d’être convaincu », conclut-elle.
Avec la collaboration de Jeff Yates