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Une taxe sur le carbone, ça fonctionne?

Dessin montrant deux voitures desquelles s'échappe un nuage de fumée.

Une taxe sur le carbone est une approche qui fonctionne, mais dont l'effet est relativement marginal, estime l'expert Pierre-Olivier Pineau.

Photo : Radio-Canada

L'Alberta de Jason Kenney éliminera la taxe sur le carbone mise en place par le précédent gouvernement de Rachel Notley. Le fédéral risque de la remplacer par sa propre taxe, comme il l'a fait pour d'autres provinces qui n'avaient pas de système de tarification des émissions de CO2. Mais cette mesure est-elle efficace pour réduire les gaz à effet de serre? Voici l'avis de Pierre-Olivier Pineau, professeur et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie à HEC Montréal.

Une taxe sur le carbone a-t-elle un effet réel?

On constate que oui, ça fonctionne, mais avec une portée limitée, parce que le prix est limité. Même si beaucoup de gens réagissent avec des prix de 10 $, 20 $, 50 $ la tonne, il reste que l'impact sur le prix des produits pétroliers, des produits émetteurs, est relativement marginal et que cela n'a qu'un effet marginal sur la consommation.

À 20 $ la tonne, ça ajoute moins de 5 ¢ au litre d'essence. Et on sait que quand le prix de l'essence a augmenté de 15 ¢ le litre entre 2017 et 2018, pour des raisons complètement indépendantes de la taxe sur le carbone, la consommation n'a à peu près pas bougé. Parce que les consommateurs sont très « inélastiques » au prix, en termes économiques.

Donc, ça fonctionne pour diriger un petit peu les comportements, mais c'est à la marge, et avant que ce soit véritablement pris en compte dans les choix structuraux des individus, ça prend du temps. Mais on sait que ça fonctionne parce que quand on compare, par exemple, le parc automobile européen et le parc automobile nord-américain, ce sont les mêmes technologies et des gens assez semblables, mais le parc européen est environ 20 % plus efficace pour parcourir la même distance.

Et l'explication, ce n’est pas que les Européens aiment moins les voitures ou qu'ils roulent moins vite. C'est que l'essence est énormément taxée là-bas et que les véhicules sont taxés.

Donc, ce ne sont pas des effets qu'on remarque du jour au lendemain, mais structurellement, à long terme, les gens voient ce prix élevé, savent que c'est là pour de bon, donc ils ont des incitatifs à aller vers de plus petits véhicules, et c'est ça qui les amène à avoir, de manière générale, des comportements moins problématiques.

Est-ce que ça peut être un frein à la croissance des provinces, du pays?

C'est assurément un frein à la croissance des produits qui émettent du CO2, mais c'est l'objectif même de cette taxe-là, de freiner la croissance des produits polluants. Ceci dit, nos économies sont de moins en moins des consommatrices de CO2 pour leur croissance.

Notre économie croît aujourd'hui dans des secteurs tertiaires, comme la haute technologie, qui n'ont pas besoin d'énergie fossile pour croître.

Aussi, et c'est spécifique à l'Amérique du Nord, nous sommes tellement de mauvais consommateurs d'énergie, étant donné que nous avons énormément d'énergie à bon prix, qu’il y a beaucoup de place pour l'amélioration dans notre efficacité énergétique et des solutions pour réduire notre consommation. Nous sommes des ogres énergétiques.

Donc, quand on regarde le Québec, l’Ontario ou même la Colombie-Britannique, la taxation du carbone n’a pas entaché [leur] croissance économique. Pour les pays européens comme l'Allemagne, le Danemark et tous les autres pays européens qui taxent le CO2 de façon beaucoup plus agressive que nous, cela n'a pas nui à leur croissance. Ça ne veut pas dire qu'ils ont une croissance économique mirobolante, mais ce n'est pas un frein à la croissance.

Est-ce que le citoyen consommateur en ressort gagnant?

Le citoyen en ressort gagnant d'un point de vue environnemental. Dans le cas du plan fédéral et de la taxe sur le carbone, la majorité des citoyens en sortent directement gagnants d'un point de vue financier. Une étude faite indépendamment du gouvernement a analysé la taxe fédérale et a conclu que 80 % des ménages allaient recevoir un chèque du gouvernement supérieur à leurs dépenses supplémentaires pour acheter des carburants fossiles.

C'est simplement les 20 % des ménages les plus fortunés qui vont payer, en taxes supplémentaires sur l'essence, davantage que le montant du chèque, mais c’est lié uniquement à leur très grande consommation d'essence, parce qu'ils ont les moyens d'acheter des véhicules et qu'ils ont les moyens de beaucoup les utiliser.

Pour ce qui est de l'Alberta qui annule sa taxe, le fédéral pourrait venir combler le vide. Comment s’en tireront les Albertains?

Pour les Albertains, ils vont payer un peu moins cher à court terme, parce que la taxe fédérale entrerait à 20 $ la tonne, alors que l'Alberta était à 30 $. Donc, il va y avoir une légère diminution de la taxe, ils vont recevoir un chèque du fédéral pour compenser – le mécanisme de redistribution des revenus de la taxe était différent dans le système provincial. Donc, à court terme, c'est un peu mieux pour eux.

C'est certain que ce n’est pas pour ça que le gouvernement albertain [annule la taxe]. Mais, à mon avis, c'est un très mauvais choix du gouvernement de l'Alberta, c'est pour créer plus de chaos dans la tarification du carbone. Et c'est fait à des fins politiques.

La taxe sur le carbone est un mécanisme. Il existe aussi le marché du carbone, dont le Québec fait partie et dont l’Ontario s’est retiré l’an dernier. Y a-t-il d’autres moyens de grande envergure pour réduire les GES au niveau étatique?

Dans le système québécois, on a un marché du carbone. Dans ce cas, des entreprises peuvent acheter ou vendre des « droits d’émissions » de CO2. Le prix est d’ailleurs passé de 20,82 $ à 23,48 $ la tonne (Nouvelle fenêtre) entre les ventes aux enchères du 20 février et du 14 mai.

Si le prix était descendu, ce serait une bonne chose, ça voudrait dire que comme les émetteurs ont réduit leurs émissions, ils ne sont pas intéressés à acheter les droits d'émission, il y aurait moins de demande. Malheureusement, dans le contexte actuel, on est encore dans une situation où il y a une grande demande, parce qu'on aime la facilité que nous offrent les produits qui émettent du CO2.

On peut aussi réglementer. Le gouvernement fédéral a interdit les centrales thermiques au charbon pour 2030, donc on peut commencer à interdire des choses, par secteur. Et si on a des réglementations qui sont sévères, on peut obtenir des résultats similaires à la taxation.

Évidemment, quand on réglemente, on ne laisse pas aux acteurs économiques la possibilité de choisir ce qu'ils pensent être le mieux. Donc, c'est une approche un peu plus prescriptive, qui va à l'encontre des principes de marché.

D'un point de vue économique, la réglementation est moins efficace, car elle est plus difficile à mettre en oeuvre. C'est bien reconnu par toutes les analyses économiques que ça coûte plus cher pour en arriver à terme à des résultats similaires, mais c'est une troisième avenue.

Note : certaines réponses ont été reformulées pour plus de clarté.

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