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Les montagnes russes politiques de Jean Charest

Jean Charest lors d'un événement public en octobre 2016.

Jean Charest est maintenant associé chez McCarthy Tetrault, où il pratique le droit.

Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes

Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.

Pendant près de 30 ans, Jean Charest a fait la une des journaux et des bulletins de nouvelles. Ses faits et gestes en tant que député, ministre et premier ministre ont été analysés, commentés, jugés dans bien des tribunes téléphoniques et dans de nombreux reportages télé, sans oublier sur les réseaux sociaux. Il déjeunait dans la tourmente, dînait avec les critiques et passait l'heure du souper sous les allégations. Trois décennies remplies de rebondissements palpitants certes, mais aussi autant d'années à vivre sous une pression continuelle devant des millions de personnes.

Je savais que c’était particulièrement dur quand Amélie, ma fille qui vit à Hong Kong, m’appelait. Quand mon adjointe à Québec disait qu’Amélie était au téléphone et qu’elle voulait me parler, je savais que j’étais dans la merde vrai! raconte-t-il en riant.

On aime ou on n’aime pas Jean Charest. Tandis que certains applaudissent devant sa feuille de route, d’autres la déchirent avec violence. Peu importe dans quel clan on se range, tous peuvent se demander d’où vient cette volonté de se retrouver sous les feux de la rampe, d’être une proie pour la critique. Pourquoi s’astreindre à mener une telle vie?

L’ex-premier ministre rigole en racontant que son aînée expatriée était un peu son baromètre du degré de sa popularité ou surtout de son impopularité, c’est selon. Mais les rires cessent rapidement lorsqu’il poursuit l’histoire. Elle me demandait comment j’allais. Je lui répondais que ça allait très bien. Elle ne me croyait pas. Je la disputais. Je lui disais de ne pas lire Internet, de ne pas lire les nouvelles, de faire sa vie à Hong Kong. Elle les lisait quand même et m’appelait pour m’encourager. Alors, ça me … dit-il, incapable de terminer sa phrase, sa voix étranglée par l’émotion.

Sa famille, son noyau

Cette anecdote, qu’il qualifie « d’amusante », illustre bien le poids d’une telle carrière sur la famille des élus. Une pression sur les proches qui se transporte aussi dans la cour de récréation où les petits Charest sont aux prises avec les moqueries et parfois même avec une certaine méchanceté au sujet de leur politicien de père.

Jean Charest et sa famille

Les enfants de Jean Charest étaient sur la scène de Sherbrooke, en compagnie de leur mère, pour célébrer la victoire de leur père le 8 décembre 2008.

Photo : Reuters / Shaun Best

Quand j’étais en politique fédérale, j’étais aimé. Les sondages étaient bons pour moi. En arrivant au Québec, tout change. Certains nous haïssent avec passion, ils sont très sincères dans leurs sentiments. Ça débordait à l’école. Mes enfants ne m’en parlaient jamais. Jamais. Pour ne pas que ça me blesse. Ce sont eux qui me protégeaient, même s’ils étaient des enfants, raconte-t-il les yeux dans l’eau.

Certaines années ont été particulièrement difficiles, pour ne pas dire éprouvantes, pour les Charest. Si celui qui a quitté la politique en 2012 a réussi à passer au travers, c’est sans aucun doute grâce à sa famille, son « noyau », qu’il l'appelle. C’était d’ailleurs une qualité qu’il recherchait chez les futurs candidats qu’il recrutait.

J’insistais beaucoup pour connaître le point de vue de leur famille sur leur projet de candidature. Pour moi, c’est un indicateur très important sur la capacité de cette personne de faire face à l’adversité et de connaître le potentiel de sa résilience. Ç’a été mon cas. J’ai eu mon épouse, Michèle, pour qui la politique, ç’a été un partenariat.

Il n’a d’ailleurs jamais hésité à le rappeler publiquement. Un jour d’un très mauvais sondage, un journaliste m’a demandé comment on se sent quand il n’y a plus juste notre famille qui nous aime? C’était très blessant, son propos, mais je lui ai répondu : “Si tu savais à quel point c’est juste ça qui compte.” À la fin, c’est ça qui compte, d’avoir l’amour de ceux qui sont près de nous. Ça, je l’avais.

Jean Charest et sa femme, Michèle Dionne, lors de la campagne électorale de 2012.

La politique, pour Jean Charest, a été un partenariat avec son épouse, Michèle Dionne, qui a toujours été à ses côtés. Ici, on les voit lors de la campagne électorale de 2012.

Photo : La Presse canadienne / Paul Chiasson

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— Une citation de  Jean Charest
La une de La Tribune du 25 janvier 1990 où on aborde la démission de Jean Charest à titre de ministre des Sports du Canada.

Jean Charest a dû démissionner en 1990 après avoir appelé un juge dans un dossier opposant un entraîneur d'athlétisme et sa fédération.

Photo : BanQ/La Tribune

Oui, il y avait la famille et les collègues pas loin pour le soutenir, l’épauler, l’encourager, mais il y a aussi les partisans qui ont été, peut-être sans le savoir, ceux qui ont sauvé à de nombreuses reprises la carrière politique de l’ex-député de Sherbrooke. Jean Charest donne en exemple la fois où il a été obligé de démissionner, en 1990, après avoir passé un coup de fil à un juge alors qu’il était ministre fédéral des Sports.

J’ai 32 ans. Je me voyais candidat à la succession de Mulroney et être premier ministre du Canada. Tout s’évapore. Tout s’effondre ce jour-là. C’est terrible. Mes rêves sont disparus. Michèle et moi, on a beaucoup pleuré. Quand on est arrivés à Montréal, il y avait deux autobus de militants de Sherbrooke qui étaient à l’aéroport pour m’accueillir, me dire qu’ils m’aimaient, qu’ils m'appuyaient. Dans la vie, quand on vit ces moments-là, on vit des choses très dures, mais aussi très belles, se rappelle-t-il avec émotion.

Et c’est là qu’il a compris que les périodes sombres sont toujours accompagnées d’embellies. Peu après avoir présidé le comité spécial sur Meech, qui a été aussi pénible, Jean Charest devient ministre fédéral de l’Environnement et se lance dans la course à la direction du Parti conservateur et, à 34 ans, passe à 187 voix d’être le premier ministre du Canada.

La une du Devoir du 14 juin 1993.

L'adversaire de Jean Charest à la course à la direction du Parti conservateur, Kim Campbell, l’a emporté avec 53 % des suffrages.

Photo : BanQ/Le Devoir

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— Une citation de  Jean Charest

Tous les jours, Jean Charest doit monter dans l'arène et lutter. Se battre pour convaincre les autres que ses idées feront avancer la société. Et même s'il y met tous les efforts, il arrive que ça ne fonctionne pas. Que les choses ne vont pas comme il le veut. L'adversité est donc devenue un mode de vie pour lui. L’adversité, c’est un test pour déterminer la force de nos convictions, nos capacités de porter jusqu’au bout nos projets. Ce n’est jamais une ligne droite. Les grands projets, les grands changements, les grandes idées ne se font jamais dans l’allégresse. Ce n’est pas comme ça, la vie, rappelle-t-il.

Jean Charest au Salon Plan Nord

Jean Charest au Salon Plan Nord

Photo : Radio-Canada

Jean Charest aime beaucoup rire et c'est peut-être là où il a trouvé la force de dédramatiser les choses. Les blagues, les plaisanteries et l’ironie lui ont souvent permis de relativiser des situations tendues, de prendre un pas de recul dans des moments lourds et compliqués. L’humour, c’est un langage. Souvent, on a l’occasion de dire des choses qu’on ne pourrait pas dire autrement. L’humour nous permet d’avoir du recul sur soi-même et sur les événements. Un recul qui nous permet de voir longtemps dans le temps, de comprendre le sens des événements et aller au-delà de ce qu’il se passe aujourd’hui. L’humour nous permet d’avoir une certaine distance, analyse-t-il.

Jean Charest donne en exemple un discours sur le Plan Nord qu'il devait prononcer devant 1500 membres de la Chambre de commerce de Montréal à l'époque des manifestations étudiantes de 2012. Il y avait une émeute à l’extérieur avec des gaz lacrymogènes. Les casseurs sont entrés dans le Centre des congrès. Il a fallu qu’on barricade les portes et les gens ne pouvaient pas sortir de la salle. Il y avait une odeur de gaz lacrymogène et il y avait beaucoup de tension. Pendant mon discours, j’ai fait remarquer qu’il y avait beaucoup d’opportunités d’emploi dans le Nord et que ça tombait bien, notre événement était tellement populaire que ça défonçait les portes pour rentrer. Ça a cassé la tension dans la salle, raconte-t-il en riant.

Jean Charest et Brian Mulroney

« Pour faire de la politique, Brian Mulroney disait qu’il faut un sens de l’histoire, un sens de la perspective et un sens de l’humour », raconte Jean Charest.

Photo : CBC

Une vie de montagnes russes

Il ne fait aucun doute que Jean Charest carbure aux émotions fortes, aux vertiges que procurent les montagnes russes de la politique. J’ai comme un ressort. Même quand j’étais en très grave difficulté, je rebondissais. On riait parce qu’on disait que j’étais le politicien pour lequel on a écrit le plus souvent la nécrologie politique. Le nombre de fois où on a annoncé la fin de ma carrière! J’ai comme un ressort qui me fait dire : "non, ça ne se passera plus comme ça". Que ça n’allait pas se terminer comme ça.

Pour illustrer son idée, il revient sur des élections partielles que son parti perd en 2002 à une époque où plusieurs prédisent que Mario Dumont sera le prochain premier ministre du Québec. Ce soir-là, Michèle et moi étions assis dans la cuisine. Nous avions fait des plans de vacances pour l’été et elle m'a dit : ”Moi, je n’ai pas fait tout ce chemin-là pour que ça finisse comme ça. On annule les vacances et on fait ce qu’il faut faire pour que ça s’arrange.”

Les billets d’avion ont été déchirés et c’est avec des conseillers qu'il passe ses congés estivaux. Ensemble, douze heures par jour, ils revoient le programme politique du Parti du premier mot au dernier point. La suite est connue : après cinq ans à la tête du Parti libéral du Québec, Jean Charest devient premier ministre le 14 avril 2003.

La une de La Presse du 15 avril 2003.

L'histoire a donné raison à Michèle Dionne d'annuler les vacances estivales. Le 14 avril 2003, son mari est élu premier ministre du Québec.

Photo : BanQ/La Presse

Il remporte peut-être ses élections, mais il ne gagne pas une paix d’esprit pour autant. Les années qui suivent sont loin d'être un fleuve tranquille. La mer est houleuse, remplie d’affrontements, de contestations, de controverses. Entre la mobilisation des carrés rouges, le projet du Plan Nord, les référendums des défusions municipales, la saga du mont Orford, la commission Bastarache, sans oublier les scandales de corruption et de collusion dans le domaine de la construction, le premier ministre ne bénéficie que de rares bouffées de tranquillité.

Mais Jean Charest ne garde toutefois pas de souvenirs amers de ces années. Dans la vie politique, la résilience est une exigence et une condition de survie. À défaut de quoi, on ne réussit pas à faire avancer des projets ou à défendre des idées, les intérêts d’une société, croit-il.

Le ressort cesse de rebondir

Le ressort de la politique de Jean Charest a quand même cessé de rebondir pour de bon en 2012, ce soir d’élection où non seulement les Québécois, mais aussi les Sherbrookois, lui signifient que c’est terminé.

Sept ans plus tard, la chose est loin de lui manquer. Je n’ai plus d’appétit pour ça. J’observe chez ceux qui ont fait de la politique et qui ont quitté, il y a une catégorie de gens pour qui c’est une affaire inachevée. Pour eux, leur vie est difficile. Tous les vendredis, ils refont leur histoire et ils se disent : “Et si...” Ce n’est pas mon cas. Pour moi, c’est achevé. J’ai le sentiment d’être allé au bout. D’avoir fait ce que j’avais à faire, d’avoir fait des choses qui étaient importantes, d’avoir été porteur de changements importants. Mais là, je suis passé à autre chose. Je rebondis ailleurs maintenant.

Jean Charest à l'intérieur d'une voiture qui salue la foule le soir de sa défaite en 2012.

« La démocratie, ce n’est pas juste d’avoir un gagnant et un perdant. La démocratie, c’est de partager l’information, c’est de faire l’effort d’écouter et de tenir compte du point de vue de ceux qui ne sont pas d’accord avec nous et de ne pas le mettre de côté. Il arrive assez fréquemment que nous apprenions des choses de ceux qui ont milité contre notre position. Il faut avoir assez d’humilité et de sagesse pour les écouter et le faire. C’est ça, une démocratie. »

Photo : La Presse canadienne / Ryan Remiorz

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