Ecatepec, là où les femmes se font enlever dans la rue et se font tuer

Une manifestation contre le féminicide à Ecatepec, au Mexique, pour la Journée internationale des femmes, le 8 mars 2019. Les croix disposées sur le sol portent le nom de femmes assassinées.
Photo : AFP/Getty Images / Pedro Pardo
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Cette ville de 2 millions d'habitants est l'un des endroits les plus violents du Mexique. Vols, kidnappings et féminicides y sont monnaie courante. Les femmes se font enlever dans la rue, et on retrouve leurs cadavres torturés ou brûlés.
« Avant, c’était une ville tranquille », nous dit la rappeuse Jessica Roldan, alias Jezzy P, qui a grandi à Ecatepec et y habite toujours. « Mais il y a 10 ans, la violence est arrivée », ajoute-t-elle avec un soupir.
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Des vols à domicile, des vols de voiture, des kidnappings et des féminicides. Avec, en prime, la drogue et le narcotrafic. Pourtant, la majorité des habitants d’Ecatepec sont des personnes honnêtes qui travaillent dur. On entend beaucoup de gens rire dans les rues. Mais ici, la vie peut basculer très rapidement. À n’importe quel moment.
Demandez à Carolina Aguilar. Il y a six ans, en se rendant au collège, accompagnée de son père, elle voit s’arrêter une camionnette noire aux vitres teintées. Un homme armé en sort, l’agrippe et lui dit de monter à bord.
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Le père a vu qu’il y avait déjà d’autres personnes kidnappées à l’intérieur du véhicule. C’est sans doute grâce à cela que Carolina Aguilar s’en est tirée.
Carolina a vécu longtemps avec la peur et le traumatisme. Une de ses amies a eu moins de chance. À Ecatepec, sortir le matin pour aller chercher la livraison de lait peut être dangereux.
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Le reportage de Michel Labrecque est diffusé le 12 mai à Désautels le dimanche dans le cadre de la série Le Mexique, entre l'ombre et la lumière, sur ICI PREMIÈRE.
La capitale du féminicide
Ecatepec est une ville dangereuse pour tout le monde, mais encore plus pour les femmes. Il y a une vague de féminicides dans l’État de Mexico, dont fait partie Ecatepec. Un peu comme il y a 10 ans à Ciudad Juarez, à la frontière des États-Unis.
« Je pense toujours que j’ai tout vu, et il y a quelque chose de plus innommable qui survient », dit Manuel Abrador, professeur d’université qui se spécialise dans les questions de violence et de féminicides.
« Une femme peut être violentée dans la rue ou à la maison, mais elle peut aussi être torturée », ajoute M. Abrador.
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Mais comment expliquer cette violence inouïe? Pour le professeur Abrador, c’est une confluence de facteurs. Ecatepec a connu une croissance phénoménale, entre autres à cause de l’arrivée massive de Mexicains de régions pauvres et de migrants d’Amérique centrale. « L’État de droit y est très peu présent, la police est corrompue, ce qui favorise l’impunité », poursuit le spécialiste.
Ajoutez la culture machiste au cocktail, et les femmes deviennent une proie facile pour les gens qui sont frustrés par leur situation difficile.
« Si on appelle la police, personne ne va venir »
Les féminicides ne sont qu’une pièce du casse-tête de la violence à Ecatepec.
La rappeuse Jezzy P habite un quartier de classe moyenne de la ville. Les vols en tout genre se sont multipliés depuis 10 ans.
« Plus personne ne sort le soir », dit-elle. « Si je dois sortir, mon mari me suit à la trace; je dis où je suis, quand je suis arrivée. »
Un nouveau phénomène a fait son apparition dans ce quartier : l’entrée des rues est souvent bloquée par une clôture que les citoyens ont fait construire pour se protéger.
« C’est pour prévenir les vols de voiture et les infractions de domicile. Parce que si on appelle la police, personne ne va venir », explique la rappeuse Jezzy P.
Il y a aussi un courant d’autodéfense. On peut voir des affiches un peu partout dans la ville où il est écrit : « Si tu voles ici et qu’on t’attrape, tu vas être lynché ».
Tout ceci ne peut qu’augmenter la spirale de la violence.
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Ecatepec et d’autres villes de la périphérie de Mexico représentent un défi énorme pour le nouveau gouvernement du pays. Un concentré de tous les problèmes du Mexique : inégalités, corruption, violence.
Le nouveau président, Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO), a promis de transformer ce cercle vicieux. Le nouveau maire d’Ecatepec, Fernando Vilchis Contreras, appartient au parti Morena d’AMLO.
« Les administrations précédentes vous ont traités comme des citoyens de troisième ordre », disait-il dans son discours inaugural en décembre dernier. « Il faut instaurer l’État de droit », ajoutait cet avocat spécialisé en droits de la personne.
Depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, certains indices du taux de criminalité ont diminué. Ecatepec sera aussi une des priorités pour le déploiement de la nouvelle « Guardia Nacional », cette nouvelle entité militaro-policière destinée à renforcer la sécurité dans le pays.
Pour l’instant, les gens d’Ecatepec espèrent… et attendent.
Avec la collaboration d'Alix Hardy