Industrie gazière : de plus en plus de jeunes entreprises en difficulté

Trident Exploration estime la remise en état de ses installations à 329 millions de dollars.
Photo : Radio-Canada / Philippe Morin
En janvier, la Cour suprême du Canada a décidé que les entreprises du secteur pétrolier et gazier, en cas de faillite ou d'insolvabilité, doivent prioriser le nettoyage des puits orphelins avant le remboursement de leurs créanciers. Selon des experts, le jugement commence à faire ses premières victimes : de jeunes entreprises. Décryptage.
Il y a environ une semaine, la société gazière de Calgary, Trident Exploration, a annoncé la fin de ses activités. La jeune entreprise attribue en grande partie cet arrêt soudain au prix du gaz naturel, qui a atteint un niveau historiquement bas, et les impôts fonciers élevés. Mais ce n'est pas tout.
Selon Trident, la décision de la Cour suprême dans le dossier Redwater, cette année, a ajouté une contrainte de plus.
Dans un communiqué publié le 30 avril, l’entreprise écrit que le jugement a intensifié les pressions financières liées aux frais que l'entreprise doit débourser en prévision de l'abandon de puits.
Toutefois, l'entreprise n’a maintenant plus les moyens financiers ni de décontaminer ses sites ni de rembourser ses créanciers.
Trident laisse donc derrière elle 4700 puits, qui s’ajoutent aux 3000 puits orphelins de la province. Ils relèveront désormais de la responsabilité de l'Association des puits orphelins (Orphan Well Association).
L'Association des puits orphelins est chargée de fermer les puits abandonnés, de les décontaminer et de remettre l’environnement dans son état initial si une entreprise ne peut pas s'en occuper. Conformément à la Loi sur la conservation pour le pétrole et le gaz (The Oil and Gas Conservation Act), chaque année, les entreprises de l’industrie pétrolière et gazière payent une somme d'argent pour permettre à l’Association de remplir ce rôle à travers la province.
Les conséquences du jugement Redwater
« Beaucoup d’entreprises sont fragiles en ce moment. [...] Tout changement dans leur environnement n’est pas bien accueilli », indique Brad Herald, vice-président pour l’Ouest canadien de l’Association canadienne des producteurs pétroliers (CAPP).
Selon Anupam Das, professeur en économie à l’Université Mount Royal, la décision de la plus haute instance du pays augmente les coûts de production des petites entreprises.
« Elles vont maintenant devoir s’assurer qu’une partie de leur revenu soit mis de côté pour nettoyer leurs puits, advenant une faillite », dit l’expert.
Dans ce contexte, Anupam Das estime que seules les grandes entreprises seront capables de survivre.
Les plus petites entreprises vont de plus en plus décider de mettre la clé sous la porte de façon volontaire comme Trident, précise-t-il, compte tenu des obligations environnementales provinciales.
Tristan Goodman, président de l'Association canadienne des explorateurs et des producteurs (EPAC), ne serait même pas surpris de voir ce phénomène survenir dans les prochains mois.
En revanche, pour éviter ce problème, selon Anupam Das, l'Agence de réglementation de l'énergie de l'Alberta (AER) devrait exiger des entreprises qu'elles versent un dépôt de garantie avant de commencer leur production.
La prudence des banques
Depuis la décision de la Cour suprême du Canada, les banques doivent aussi prendre en considération que, en cas de faillite, le remboursement de leurs prêts n’est pas prioritaire.
Dans certains cas, dit Anupam Das, les établissements financiers peuvent alors hésiter à accorder des prêts aux petites entreprises.
« C’est vrai, pour les créanciers, les risques et les évaluations de crédit sont en train d’évoluer », affirme aussi Brad Herald, de la CAPP.
La crise dans l'industrie gazière
« Le modèle d’affaires n’est plus viable », dit Tristan Goodman, de l'EPAC.
Selon lui, c’est une accumulation de facteurs qui crée cette situation de crise, particulièrement dans l’industrie gazière.
Comme dans le secteur pétrolier, le premier facteur de cette crise est l’accès limité aux marchés causé par le manque de pipelines pour acheminer le gaz naturel vers les côtes.
Tristan Goodman indique que le prix du gaz naturel, qui atteignait 1,26 $ le gigajoule le mois dernier, est à des niveaux historiquement bas. S’ajoute à cela, dit-il, l’augmentation des impôts fonciers que payent les entreprises.
« »
Si, toutefois, les experts et les acteurs de l’industrie considèrent que le jugement aura des conséquences, la plupart reconnaissent aussi que la décision de la Cour suprême du Canada apporte plus de clarté et protège l'écosystème.
« Cette décision sera probablement positive pour notre industrie à long terme. Mais, à court terme, ce ne sera pas bon pour les petites entreprises », conclut Brad Herald, de la CAPP.