Rapport Mueller : Barr coupable d’outrage au Congrès, tranche une commission de la Chambre des représentants

Le rapport Mueller a été caviardé par le département de la Justice afin d'éviter de divulguer des sources ou des méthodes d'enquête utilisées, de nuire à la réputation d'acteurs « périphériques », et de compromettre des enquêtes en cours ou des informations obtenues par un « grand jury ».
Photo : La Presse canadienne / AP/Cliff Owen
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le bras de fer engagé entre la Maison-Blanche et les démocrates au sujet de la publication du rapport du procureur spécial Robert Mueller sur l'enquête russe s'est intensifié, mercredi, la première invoquant « le privilège du pouvoir exécutif » pour ne pas remettre la version intégrale du rapport, les seconds franchissant une première étape pour accuser le procureur général William Barr d'outrage au Congrès.
La Commission de la justice de la Chambre des représentants, qui est contrôlée par le Parti démocrate depuis janvier dernier, a conclu que le procureur général s'est rendu coupable d'entrave aux prérogatives du Congrès en refusant de se plier à l'ordonnance de production de pièces qu'elle avait promulguée au lendemain de la publication du rapport Mueller.
La résolution a été adoptée à 24 voix contre 16, le vote se départageant selon les lignes de parti. La résolution sera « bientôt » mise aux voix de toute la Chambre, a indiqué le président de la commission, Jerry Nadler, devant la presse après la tenue du vote. Il n'a cependant pas donné de date précise.
La commission n'avait « pas le choix » de poser ce geste « grave », a-t-il soutenu. L'obstruction de l'administration Trump au travail du Congrès est une « attaque au droit des Américains de savoir ce que fait le pouvoir exécutif », a-t-il ajouté, évoquant une « crise constitutionnelle ».
On ne peut pas permettre cette « affirmation de pouvoir tyrannique de la part du président », a-t-il lancé. Interrogé par les journalistes, il a malgré tout continué de rejeter pour l’instant le lancement d’une procédure de destitution.
Il a accusé William Barr d’agir comme « l’avocat de Donald Trump plutôt que comme procureur des États-Unis » et d’avoir fait du département de la Justice « un instrument » au service du président plutôt que de la justice.
Pendant les débats, les républicains ont largement critiqué les démocrates, allant jusqu'à parler d'un « coup d'État ».
Le département de la Justice a pour sa part accusé les démocrates de mener des attaques motivées par des considérations politiques.
« Il est profondément décevant que des représentants élus du peuple américain aient choisi de se livrer à un théâtre politique aussi inapproprié », a déclaré la porte-parole du département, Kerri Kupec, dans un communiqué. Personne « ne forcera le département de la Justice à contrevenir à la loi » en remettant des documents qui ne peuvent être rendus publics, a-t-elle ajouté.
Jerry Nadler avait annoncé la tenue du vote lundi en raison de l'échec des négociations qui étaient en cours avec le département de la Justice pour obtenir la version intégrale du rapport Mueller, qui comporte 448 pages.
Longue bataille judiciaire en perspective
Si la Chambre approuve la résolution de la Commission de la justice, le dossier sera transmis à un procureur du District de Columbia sans que le Sénat ait à voter.
La bataille judiciaire pourrait s'étirer sur plusieurs semaines, voire des mois.
La version largement caviardée du rapport, rendu public le 18 avril, ne satisfait pas les démocrates, qui réclament en vain une copie non censurée ainsi que les éléments de preuve sous-jacents au département de la Justice depuis des semaines.
Selon le département de la Justice, le caviardage avait pour but de protéger des sources ou des méthodes d'enquête, de préserver des enquêtes en cours, de protéger la réputation d'acteurs « périphériques » et de garder secrètes les informations obtenues par un « grand jury ».
William Barr avait l'intention de remettre aux commissions judiciaires du Sénat et de la Chambre des représentants une version intermédiaire du rapport, qui aurait maintenu le caviardage des passages liés à un grand jury.
La Maison-Blanche invoque le privilège du pouvoir exécutif

Le procureur général William Barr risque plus d'une accusation d'outrage au Congrès.
Photo : Getty Images / AFP/BRENDAN SMIALOWSKI
Quelques heures avant le vote de la Commission de la justice, la Maison-Blanche a invoqué le privilège du pouvoir exécutif, qui permet au président de mettre des informations à l'abri des tribunaux ou du Congrès pour des raisons de confidentialité, pour ne pas se plier à sa requête. Le recours à une telle mesure est rare en politique américaine.
Dans une lettre adressée à Jerry Nadler, le procureur général adjoint, Stephen Boyd, a déclaré que M. Barr ne pouvait se conformer à la requête de la commission « sans enfreindre la loi, les règles et les ordonnances du tribunal et sans menacer l'indépendance du département de la Justice en matière de poursuites ».
Les « manoeuvres désespérées » du président de la Commission de la justice visent à détourner les Américains « des succès historiques du président et d'une économie florissante », a pour sa part allégué la porte-parole de la Maison-Blanche, Sarah Sanders.
M. Nadler a immédiatement dénoncé une initiative « sans précédent », appelant tous les élus à réagir au nom « des institutions ». « Personne, ni le secrétaire à la Justice ni le président, ne peut être au-dessus de la loi », a-t-il martelé.
Un bras de fer majeur
L'épreuve de force entre l'administration Trump et la Commission de la justice de la Chambre au sujet de l'enquête du procureur spécial Mueller ne se limite pas au rapport comme tel, mais s'étend à d'autres documents et à la comparution de certains témoins.
La Commission de la justice pourrait formuler une nouvelle recommandation d’outrage au Congrès à l'endroit de William Barr, qui a boudé une audition à laquelle il avait été convoqué.
Mardi, la Maison-Blanche a par ailleurs empêché son ancien conseiller juridique Don McGahn de se plier à une ordonnance de production de documents présentée par cette même commission, ce qui pourrait également valoir à l'avocat une accusation d'outrage au Congrès s'il ne remet pas les documents demandés. M. McGahn est le témoin le plus souvent cité dans le rapport Mueller.
Les démocrates veulent utiliser les pouvoirs d'enquête dont ils disposent pour poursuivre l'enquête menée par Robert Mueller et déterminer si les faits relatés dans le rapport justifient l'ouverture d'une procédure de destitution.
L'administration Trump refuse par ailleurs de se plier à des demandes d'autres commissions de la Chambre, par exemple celle visant à fournir plusieurs déclarations de revenus du président.
La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a estimé que toutes ces mesures prises par le président Trump faisaient obstacle au devoir de surveillance des législateurs.
« Chaque jour, le président monte lui-même le dossier [pour sa destitution] », a affirmé Mme Pelosi au Washington Post, elle qui observe la plus grande prudence sur cette possibilité depuis son entrée en fonction, en janvier dernier.

Donald Trump fils assigné à comparaître

Donald Trump fils avait témoigné devant le Congrès en septembre 2017.
Photo : Reuters / Stephanie Keith
La commission du renseignement du Sénat, dans laquelle les républicains sont majoritaires, a par ailleurs assigné Donald Trump fils à comparaître pour répondre aux questions relativement à l’enquête sur la Russie.
Les élus souhaitent obtenir des précisions sur le témoignage que le fils aîné du président a produit lors d'une précédente audition, en septembre 2017.
Ils l'avaient alors interrogé sur sa rencontre, le 9 juin 2016 à la Trump Tower de New York, avec une avocate russe venue de Moscou. Natalia Veselnitskaya lui avait été présentée comme « avocate du gouvernement russe ».
Donald Trump fils pensait la juriste capable de lui fournir des renseignements compromettants sur Hillary Clinton, la rivale démocrate de son père à la présidentielle.
Le rapport Mueller a conclu que l'équipe de campagne de Donald Trump n'a pas comploté avec les autorités russes afin qu'il remporte l'élection présidentielle américaine de 2016.
Le procureur spécial n'a toutefois pas tranché lui-même sur les allégations d'entrave à la justice, laissant la décision entre les mains du département de la Justice. William Barr a décidé de blanchir le président.
Avec les informations de Agence France-Presse, Associated Press et Reuters