Après les inondations, le désastre écologique

Outre les résidences, des stations-service, usines et autres entreprises où sont parfois entreposées des matières dangereuses ou polluantes sont inondées.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Avec la décrue et les rivières qui rentrent dans leur lit, l'eau qui a inondé des milliers de résidences au Québec laisse derrière elle débris et ordures bien visibles. Mais elle transporte également des contaminants et des polluants dont l'impact environnemental est encore peu mesuré.
Les inondations sont un phénomène naturel utile pour l'environnement. L’eau redistribue des nutriments et des sédiments contenus dans le lit des rivières, et ces matières organiques viennent enrichir les sols.
Ce processus de filtration est bénéfique non seulement pour la qualité de l’eau, mais aussi pour la recharge des eaux souterraines et la biodiversité terrestre et aquatique. À l’image des feux de forêt, les bénéfices des inondations dépassent généralement les inconvénients, sauf quand l’eau trouve l’humain sur son chemin.
Désastre humain, économique… et environnemental

Les produits chimiques, l’essence, les huiles et autres déchets domestiques, comme la peinture, représentent une source de contamination lors d’inondations.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Sous-sols inondés, refoulement d'égouts, résidences rendues inhabitables : les impacts humains et économiques des inondations sont indéniables. Mais il s’agit aussi d’un désastre écologique.
« S’il y a des déchets domestiques dangereux, comme des huiles et de la peinture, entreposés dans les sous-sols, il pourrait y avoir des fuites qui viendraient affecter la qualité de l’eau », explique Gérald Zagury, de Polytechnique Montréal.
Le problème se pose autant pour les résidences que pour les industries, petites entreprises, entrepôts et stations-service qui baigneraient dans l’eau.
De nombreuses voitures peuvent également être submergées.
« Ce qui inquiète le plus, renchérit sa collègue à Polytechnique Montréal, Sarah Dorner, c’est que beaucoup d’usines de traitement de l’eau n’ont pas la capacité d’enlever certains contaminants », comme les produits pétroliers.
On ne sait pas exactement ce qui se trouve dans le mélange, parce qu’on ne sait pas ce qui a été stocké aux alentours des endroits qui ont été inondés.
Les risques de contamination vont même jusqu’aux médicaments et autres produits pharmaceutiques qui se dissoudraient dans l’eau.

Certains contaminants sont bien visibles, comme la présence d’hydrocarbures à la surface de l’eau.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Si les inondations posent un risque réel et immédiat pour la santé humaine, les impacts environnementaux se mesurent plutôt sur le long terme.
« Qu’est-ce qui arrive avec l’huile, qu’est-ce qui arrive avec l’essence? Si celles-ci commencent à se dissiper dans l'environnement, où est-ce qu’elles vont se retrouver? », s'interroge Sébastien Nobert, professeur adjoint au Département de géographie de l’Université de Montréal.
On s’intéresse davantage, selon lui, aux maladies infectieuses après les inondations – un sujet bien documenté –, alors « qu’on s’intéresse moins à comprendre l’importance de la durée de vie de certains polluants ou substances ».
Chaque polluant a sa dynamique. Certains vont s’accrocher au sol, d’autres vont se dissoudre dans l’eau. En retournant à la rivière, ils risquent de se resédimenter et affecter la qualité de l’eau.
« Non seulement ces substances posent un danger pour la population qui reste en contact avec l’eau stagnante contaminée par des rejets d'égouts, des ordures ménagères et des déchets dangereux, mais lorsque l’eau se retire, les contaminants se retrouvent au niveau des sols et un peu partout dans l’environnement », explique Gérald Zagury.
Les contaminants organiques vont se dégrader naturellement à moyen terme, mais les métaux lourds, au contraire, vont s’imprégner dans le sol ou rejoindre les rivières.

Les débris et les déchets domestiques qui flottent à la surface de l’eau sont les premiers éléments retirés lors des grandes corvées de nettoyage.
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Un des problèmes, selon les experts, est qu’on s’intéresse d’abord et avant tout aux débris qui sont bien visibles.
« Quand on tombe en dehors du champ visuel, on oublie, déplore Sébastien Nobert. Pourquoi? Parce que les impacts ne sont ni directs ni immédiats. Ils sont sur le long terme. Après une décennie, par exemple, si des produits chimiques nuisent à la santé des gens, on agira. »
Ces produits dangereux posent non seulement un risque pour l’humain, mais aussi pour la flore et la faune des régions avoisinant les zones inondées.
La priorité : rentrer à la maison
Le professeur Nobert est très critique de l’approche du Québec en matière d’inondations.
« Ce qu’il manque au Québec, c’est d’être dans l’anticipation, juge-t-il. Actuellement, on est dans l’action-réaction. »
Les municipalités s’assurent que l’eau est potable. Les propriétaires, quant à eux, assèchent et font décontaminer leur résidence pour retrouver leur quotidien.
Ce qui compte, c’est qu’on revienne rapidement à la vie soi-disant normale, sans se préoccuper qu’un changement se soit peut-être produit dans l’environnement après l’inondation.
Sébastien Nobert croit qu’il faut aller au-delà des grandes corvées de nettoyage.
« Enlever des vieux pneus, des ordures et autres débris partis à la dérive, c’est autre chose que de commencer à faire une inspection de sols pour vérifier s’il reste des contaminants, et si à long terme ils vont avoir un impact sur les eaux de ruissellement qui vont se retrouver autour des maisons. »
Gérald Zagury de Polytechnique Montréal abonde dans le même sens.
« Je ne pense pas que des équipes évaluent présentement la qualité des sols et des pelouses, à moins qu’il y ait eu contamination évidente au niveau visuel, qu’on ait vu des traces d’hydrocarbures à la surface de l'eau. »
Ces vérifications seraient pourtant essentielles, selon lui.
Si j’ai de jeunes enfants qui vont jouer sur la pelouse, personnellement j’aimerais mieux m’assurer que je n’ai pas eu de contamination au niveau du sol sur ma propriété.
Le ministère de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques se veut par contre rassurant : « les contaminants provenant de l’inondation des terres sont souvent dilués dans l’importante quantité d’eau ». Leur concentration est donc généralement faible.

De la machinerie submergée peut être une source de contamination qui libère, par exemple, des huiles ou de l’essence.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Sébastien Nobert et Gérald Zagury croient cependant qu’une attention encore plus particulière devrait être portée en zone agricole.
« Les terres agricoles se retrouvent submergées. Il peut donc y avoir de la mobilisation de pesticides, d’herbicides ou d’engrais, énumère Gérald Zagury. Ces contaminants-là vont se retrouver dans les rivières ou les lacs et affecter la qualité de l’eau. »
Résultat : une eau trouble, riche en matières en suspension et en éléments nutritifs, et privée d’oxygène, combinée à un été particulièrement chaud, pourrait mener à des floraisons inhabituelles d’algues, comme les cyanobactéries.
Ces éclosions ont, encore une fois, un impact mesuré sur la santé humaine, mais peu documenté sur l’environnement à long terme.
Un impact encore méconnu

Plusieurs voitures, souvent remplies d’essence, se retrouvent prisonnières des eaux lors de grandes inondations.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Le Québec est à la traîne en matière d’évaluation des impacts post-inondations sur l’environnement, tranche François Guillemette de l’Université du Québec à Trois-Rivières.
« En ce moment, il y a encore très peu d’efforts de recherche qui sont faits sur cette problématique » encore méconnue, estime-t-il.
Le professeur en sciences de l’environnement croit que les récentes inondations, autant celles de Saint-Jean-sur-Richelieu en 2011 que celles de 2017 et de cette année, ont « éveillé les consciences ».
Il a lui-même entrepris un projet de recherche, financé par Québec, pour étudier les conséquences des inondations sur la qualité de l’eau du lac Saint-Pierre.
« Peut-être que par le passé ce n’était pas vraiment un focus de recherche, mais je pense qu’un changement s’opère », estime François Guillemette.
Le Réseau inondations intersectoriel du Québec (RIISQ) a d’ailleurs été mis sur pied par le Fonds de recherche du Québec ce printemps. François Guillemette, Sarah Dorner et Sébastien Nobert y sont tous engagés.
Le rôle de cette organisation sera de « bâtir une société plus résiliente aux inondations » et sa création montre, selon eux, une volonté d’étudier davantage ces phénomènes.
Ironiquement, les premières rencontres pour définir les orientations du réseau ont dû être annulées à cause des inondations des dernières semaines.
Des changements profonds requis

Les experts croient qu’il faut s'attarder aux polluants et aux contaminants qui se retrouvent dans l’eau, et non pas seulement aux déchets visibles.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Le travail ne fait que commencer, rappellent les experts.
« On ne peut pas empêcher les inondations. Ce sont des phénomènes naturels, soutient Sarah Dorner. Mais comment pouvons-nous modifier nos comportements pour minimiser les dégâts et les pertes? »
La professeure spécialisée en génie civil et en géologie croit notamment qu’il faut repenser comment on construit. « On ne veut pas d’hydrocarbures dans les zones inondables, parce que le risque est trop élevé pour l’eau potable », estime-t-elle.
Sébastien Nobert propose à tout le moins qu’on cartographie les zones inondables en y associant un indice de dangerosité en fonction du risque pour l’environnement.
« Si une zone risque d’être inondée et qu’on sait qu'il y a beaucoup de pollution agricole, qu’il y a un risque de déversement d'égouts et que toute cette eau polluée se retrouvera dans les cours d’eau, on peut prendre les mesures nécessaires », argumente-t-il.
Selon lui, l’enjeu est d’autant plus pressant dans un contexte où on ignore quels seront les impacts sur l’environnement d’inondations plus intenses, mais surtout plus fréquentes. « On est en face d’une ère qui se définit sous nos yeux. On n’a jamais vécu un contexte comme celui-là », prévient-il.
Le ministère de l'Environnement estime au contraire que les effets des crues printanières sont suffisamment documentés et connus et « qu'il n’est pas nécessaire de déclencher des suivis particuliers lors de chacune des périodes d’inondations ».
S’inspirer de ce qui se fait ailleurs dans le monde?
Si peu de chercheurs au Québec se sont intéressés à l’impact environnemental des inondations, la littérature scientifique est un peu plus fournie ailleurs.
Des chercheurs ont par exemple évalué l’impact des inondations de 2013 dans le sud de l’Alberta, où les eaux ont transformé le paysage des Rocheuses et modifié leur écosystème.
De la documentation abonde également sur l’Australie, frappée par de fréquentes inondations dans le Queensland, ou encore sur les États-Unis, après le passage de l’ouragan Katrina, qui a balayé La Nouvelle-Orléans.
François Guillemette suit ce qui se fait à l’étranger, même si les résultats ne s’appliquent pas nécessairement ici.
« Les inondations sont un phénomène mondial, rappelle-t-il. Mais chaque système inondable a ses propres propriétés et caractéristiques, qui font en sorte que les problématiques diffèrent selon la région. »
Il faudra donc attendre encore quelques années au Québec avant de mesurer quels ont été les impacts réels des récentes inondations sur l’environnement.