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Reconstruction en zones inondables : repenser la stratégie d'urbanisme

Images aériennes de plusieurs maisons entourées d'eau

Images aérienne des inondations à Rigaud le 22 avril 2019.

Photo : Reuters / Christinne Muschi

Malgré une volonté affichée par les autorités de restreindre le développement en zones inondables, on compte près de 3000 résidences sous les eaux, alors que les crues ne sont pas encore terminées. Il est devenu urgent de repenser l'aménagement du territoire, plaident des experts en urbanisme.

Rien ne semble avoir changé à ce chapitre depuis 2017, d'après Isabelle Thomas, professeure titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture du paysage de l’Université de Montréal.

Elle rappelle aussi que le décret de 2017 sur la rénovation des maisons inondées a poussé « un nombre significatif de citoyens » à quitter leur résidence, notamment à Deux-Montagnes et à Gatineau.

Pour Mario Gauthier, professeur au Département des sciences sociales à l’Université du Québec en Outaouais, la seule chose qui a vraiment changé, c’est qu’« on prend enfin au sérieux la question des inondations, alors que c’est une préoccupation en matière d’aménagement du territoire qui existe depuis 35, 40 ans ».

Mario Gauthier est professeur, études urbaines, Université du Québec en Outaouais.

Mario Gauthier est professeur, études urbaines, Université du Québec en Outaouais.

Photo : Radio-Canada

Crue printanière 2019

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Un homme et une femme marchent dans l'eau. L'homme tient dans ses mains une pompe.

Pire encore, alors que depuis 2005 la politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables interdit la construction ou même la reconstruction sur tout terrain qui risque d’être inondé dans les 20 ans, des citoyens ont pu obtenir des dérogations.

Le professeur spécialisé dans l’aménagement du territoire et l’urbanisme montre du doigt le manque d’engagement des municipalités qui, à travers les MRC, devaient intégrer les grandes orientations gouvernementales visant à contraindre le développement dans les zones inondables.

On peut considérer qu’il y a un échec dans cette matière. On constate que les zones inondables sont toujours occupées.

Une citation de Mario Gauthier, professeur spécialiste de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme

Il en veut pour preuve le nombre de maisons déjà sous les eaux au Québec, alors même que le pic n’est pas encore atteint dans certains secteurs.

« En 1974, lors des grandes inondations, il y avait 1000 maisons et 600 chalets inondés. Aujourd’hui, on parle de [2900] résidences à travers le Québec, alors que ce n’est pas terminé. Ce qu’on a mis en place n’a pas vraiment fonctionné », dit-il.

Pourquoi? « Les cartographies ont souvent été incomplètes. Certains vont parler de laxisme; d’autres, de difficultés d’application », dit-il.

Deux maisons sont entourées par les eaux de la rivière Chaudière. On aperçoit le toit d’un cabanon qui est presque entièrement submergé.

Plus de 900 résidences de Sainte-Marie ont dû être évacuées depuis le début des inondations.

Photo : Radio-Canada / Pierre-Alexandre Bolduc

L'enjeu de la fiscalité

Mme Thomas rappelle aussi que la fiscalité des municipalités se base beaucoup sur les taxes foncières. Elles n’ont donc pas tant intérêt à empêcher la construction de nouvelles résidences sur leur territoire, peu importe la zone.

« À court ou moyen terme, il y a peut-être un avantage fiscal, mais c’est sûr qu’il faudrait mettre en perspective les revenus fiscaux et le coût des inondations », ajoute aussi M. Gauthier.

Le préfet de la MRC de Vaudreuil-Soulanges, Patrick Bousez, assure qu'il n'y a pas eu de permis de construire en zone inondable délivré dans son secteur.

Il concède aussi que la démolition de résidences éventuelles représentera une perte fiscale.

Concernant un éventuel laxisme des villes, il explique ne pas avoir « de réponse à cela , et n'a pas « d'opinion là-dessus ».

« Cela dit, il faut revoir la réglementation des permis de construction, c'est clair », a-t-il ajouté en rappelant que la MRC travaille à cartographier les zones inondables.

En France, les autorités ont réfléchi à cette question.

En janvier 2018, les municipalités se sont vu offrir une nouvelle compétence sur la Gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations.

Ainsi, les communes peuvent par exemple créer sur leur territoire une taxe facultative, plafonnée à 40 euros par habitant (environ 60 dollars) et affectée exclusivement à l’exercice de cette compétence. Concrètement, cet argent peut servir à financer la renaturalisation des berges, par exemple.

La Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu est engagée dans cette voie.

« Dans la taxe que les citoyens paient, une portion est consacrée au redéveloppement des milieux hydriques, à la réfection des parcs, au renforcement des digues existantes. C'est essentiel, car ces zones vont protéger les maisons, améliorer le cadre de vie et améliorer la valeur foncière des résidences qui restent en place », explique Isabelle Thomas.

Isabelle Thomas sur le plateau de RDI.

Isabelle Thomas, professeur titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture du paysage de l’Université de Montréal, con¸oit qu'il peut être difficile d'obliger les gens à quitter leur résidence située au bord de l'eau.

Photo : Radio-Canada

Le défi de la cartographie

Avant d’en arriver là, il faut refaire les cartes des zones inondables.

Depuis 2017, plusieurs instances ont commencé à se pencher là-dessus, comme la Communauté métropolitaine de Montréal, celle de Québec ou encore la Ville de Gatineau.

Les petites villes ne doivent pas être oubliées de tout ce travail de réflexion, d’après l’experte en aménagement urbain.

Mme Thomas rappelle aussi qu’il est nécessaire de ne pas seulement se concentrer sur les zones inondables en eaux libres.

« Au Québec on a des embâcles, du ruissellement, des retours d'égouts, des nappes phréatiques qui remontent, donc le sol est gorgé d’eau. C’est pour ça qu’il nous faut nos milieux naturels et hydriques pour qu’on soit prêts », plaide-t-elle.

Les Pays-Bas par exemple, ont réappris à vivre avec l’eau et à lui redonner son espace de liberté.

Le nouveau parc est le résultat de la nouvelle approche des Pays-Bas pour gérer les inondations : le programme « Room for the River ».

Le nouveau parc est le résultat de la nouvelle approche des Pays-Bas pour gérer les inondations : le programme « Room for the River ».

Photo : Irvin van Hemert

« On a tenté de récupérer des portions importantes de terrains pour permettre à la rivière de sortir de son lit, explique Mario Gauthier. Le reste du temps, ces espaces sont des parcs. »

La carotte et le bâton

La semaine dernière, le gouvernement a dévoilé son nouveau programme d’aide aux sinistrés. Ce dernier vise à encourager les gens à sortir des zones inondables en limitant la somme des montants versés au fil des années.

La décision n’est pas facile, concède Mme Thomas. « À Rigaud, Pointe-Fortune ou encore Venise-en-Québec, les gens sont très attachés à leur maison, à leur terrain, leur vue […] Ils ont mis tous leurs espoirs de passer leur retraite ici. Il y a une dimension humaine, c’est difficile d’accepter de se déplacer […] Mais, il faut aussi être sage et penser à sa propre santé, à sa famille, et réfléchir à se déplacer dans des zones moins à risque », croit-elle.

Sans porter de jugement de valeur sur le programme lui-même, Isabelle Thomas estime que les incitatifs doivent être « respectueux et viables pour les citoyens et les municipalités ».

Une maison complètement entourée d'eau.

Une maison à Hudson, à l'ouest de Montréal est isolée par la montée des eaux.

Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes

Elle évoque le cas de la France où, après le passage de la tempête Xynthia, en 2010 qui avait alors fait plus de 50 morts, les gens se sont vus offrir un chèque de la valeur foncière de leur logement.

Aux États-Unis, l’agence fédérale qui permet le remboursement en cas d’urgence, la Federal Emergency Management Agency (FEMA) a mis en place un système de cartographie sur l’ensemble du territoire.

« Les municipalités qui ne se conforment pas, dans leurs plans d’urbanisme, à cette cartographie n’ont plus accès au remboursement de la FEMA. Une municipalité qui suit les règles et fait tout pour protéger son territoire aura accès à des aides pour reconstruire leurs milieux humides », détaille Mme Thomas.

Elle reste en tout cas optimiste. « On a eu une chance, qui est [celle] de ne pas avoir eu tant de catastrophes. Donc, on peut aller chercher le meilleur et l’adapter au territoire, on peut s’inspirer de ce qu’il se fait ailleurs et l’adapter à nos réalités », estime-t-elle.

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