Voici pourquoi des manifestants s’opposent à une exposition sur Toutankhamon

Toutankhamon fait l'objet d'une exposition à Paris
Photo : AFP / MOHAMED EL-SHAHED
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Depuis quelques semaines à Paris, une exposition sur le pharaon Toutankhamon suscite des protestations de militants afrocentristes. Ceux-ci maintiennent que l'exposition nie le fait que le pharaon aurait été Noir. Bien que les égyptologues d'aujourd'hui ne croient pas que Toutankhamon ait eu la peau noire, l'origine des Égyptiens de l'Antiquité est au cœur de débats scientifiques et politiques depuis des décennies.
Dès son inauguration à la Grande Halle de la Villette à Paris, l’exposition Toutankhamon : le trésor du pharaon a attiré des manifestants de la Ligue de défense noire africaine (LDNA). Ceux-ci critiquent aussi la diffusion récente d’un documentaire sur l’Égypte antique, sur la chaîne de télévision France 2.
Leur argument : ces œuvres ne mettraient pas assez en évidence l’aspect africain de la civilisation égyptienne antique. « C’est la falsification de l’histoire africaine, le blanchiment de l’histoire, et dans cette dynamique-là, il y a le blanchiment de la civilisation égyptienne », affirme le militant de la LDNA Émilien Missuma.
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De l’autre côté, la plupart des égyptologues déplorent ce discours, et soulignent que les connaissances actuelles ne permettent pas d’affirmer que les Égyptiens de l’Antiquité étaient en majorité Noirs.
Pour soutenir leurs dires, certains militants suggèrent que les nez des statues de l’époque auraient été volontairement brisés pour cacher leur apparence africaine.
« On n’affirme pas, on se pose des questions, dit Émilien Missuma. Comme par hasard, toutes les statues endommagées ont tout le temps un nez cassé. Il y a de quoi se poser des questions. Pourquoi, ce ne sont pas les oreilles, pourquoi ce n’est pas la mandibule, pourquoi ce n’est pas le menton? Pourquoi c’est tout le temps le nez? »
Comme bien des égyptologues, l'expert montréalais Jean Revez croit que ces théories ne tiennent pas la route. « Je ne pense pas qu’on puisse généraliser à partir de quelques cas de nez cassés », dit cet expert de l’Égypte pharaonique et professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). « C’est effectivement une partie assez exposée et proéminente d’une statue et qui donc, lors d’un choc, est amenée probablement à se briser plus facilement. »
Parmi les autres arguments des militants qui critiquent cette exposition, certains avancent que le nom ancien de l’Égypte, soit « Kemet », signifierait « noir », ce qui selon certains experts caractériserait plutôt la couleur de la terre du pays que de ses habitants. D’autres soulignent que des peintures antiques représentent les hommes égyptiens avec une peau foncée. Là encore, les égyptologues expliquent que ces couleurs ne seraient que symboliques.
Malgré tout, les militants comme Émilien Missuma demeurent sceptiques. « Nous, on respecte la science, maintient-il. Si la science vient démontrer que les pharaons sont Blancs, on va l’accepter bien sûr. Mais ce n’est pas ce que la science démontre. »
En fait, la science autour de l’origine des pharaons est complexe et elle continue d’évoluer.
De quelle couleur était la peau des pharaons?
Jusqu’au milieu du 20e siècle, la théorie acceptée par les égyptologues était que les Égyptiens de l’Antiquité avaient la peau blanche. Puis dans les années 1950, l’intellectuel sénégalais Cheikh Anta Diop jette un pavé dans la mare en publiant le livre Nations nègres et culture, dans lequel il affirme que les Égyptiens de l’Antiquité étaient Noirs. Pour appuyer ses dires, il cite des similitudes entre la civilisation égyptienne de l’Antiquité et d’autres civilisations du continent africain.
Aujourd’hui, selon les experts, la vérité se trouverait entre les deux, selon l’égyptologue Jean Revez.
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Étant donné que la civilisation égyptienne a perduré durant plus de trois millénaires et que son territoire s’étendait de la Méditerranée jusqu'au Soudan actuel, la couleur de peau de ses habitants n’a pas toujours été homogène.
Selon Jean Revez, le peuple égyptien de l’Antiquité ressemblerait plutôt à ce que l’on voit dans le pays de nos jours, c’est-à-dire dire des gens issus du métissage entre des peuples du Moyen-Orient et d’Afrique subsaharienne.
On sait également qu’il y a eu au moins une dynastie de pharaons noirs durant l’Antiquité. « Il y a eu une dynastie qu’on appelle kouchite, la 25e dynastie, où ce sont des pharaons d’origine soudanaise qui ont gouverné l’Égypte pendant à peu près un siècle », explique Jean Revez.
Les études génétiques sur les momies sont rares, étant donné que l’ADN se conserve mal dans ce genre de conditions.
Une étude parue en 2017 (Nouvelle fenêtre) dans la revue Nature communications, et menée par des chercheurs allemands, indiquait que l’ADN des Égyptiens de l’Antiquité s’apparentait plus à celui des habitants du Proche-Orient actuel que de l’Afrique subsaharienne. Les chercheurs indiquent cependant que leurs échantillons ont été prélevés sur des spécimens ayant vécu durant la seconde moitié de l’Antiquité égyptienne, qui se chevauchait avec l’ère romaine, et ne couvrent que le nord du pays. Selon eux, des échantillons prélevés dans le sud de l’Égypte pourraient donner des résultats différents.
De tels résultats ne convainquent pas les militants comme Émilien Missuma. « J’accepte que certains étaient Blancs, mais il faut savoir que c’était une histoire tardive. C’est sur le tard de l’histoire égyptienne », dit-il.
Toutankhamon était-il Noir?
Les manifestants qui dénoncent l’exposition parisienne croient que le pharaon Toutankhamon ne pouvait qu’être Noir. Ce n’est pas la première fois que le célèbre enfant-roi est au cœur d’un tel débat. Déjà en 2007, une exposition sur Toutankhamon avait attiré un grand nombre de manifestants à l’Institut Franklin de Philadelphie. Comme à Paris, les opposants affirmaient que le monarque aurait dû être représenté comme un homme noir.
Selon l’égyptologue Jean Revez, l’arbre généalogique de Toutankhamon suggère qu’il aurait plutôt la peau claire. Lors de l’exposition à Philadelphie, c’est aussi ce que montrait la reconstruction réalisée par des chercheurs. Le musée avait toutefois indiqué que la couleur exacte de sa peau ne pouvait pas être déterminée avec certitude.
Une autre reconstruction du pharaon réalisée par une équipe de chercheurs pour un documentaire de la BBC, en 2014, le montrait également comme un jeune homme à la peau claire.
Pourquoi cet intérêt envers l’Égypte antique au sein de communautés noires?
Les idées de Cheikh Anta Diop trouvent encore écho aujourd’hui au sein de groupes militants, comme la LDNA, mais aussi de ce côté-ci de l’océan.
Dès les années 1960, les théories du chercheur sénégalais ont été amplifiées par le mouvement des droits civiques américains, alors que les communautés noires cherchaient à affirmer leur identité, comme l’explique la professeure en religions et en études afro-américaines Dianne Stewart.
« Une des fondations de cette conscience autour de la connexion entre l’Égypte, l’Afrique de l’Ouest et la diaspora africaine plus large, c’est la montée du Black Power. Ça a été une période très critique dans ce pays », dit la professeure de l’Université Emory, à Atlanta, en Georgie.
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Depuis les années 1960, l’attrait vers l’Égypte antique s’est manifesté dans de nombreux aspects de la culture afro-américaine, comme dans l'oeuvre du musicien de jazz Sun Ra, ou dans le port du ankh — un hiéroglyphe qui représente la vie — par des artistes tels que Erykah Badu. Dans son vidéoclip pour la chanson Remember The Time, en 1991, le chanteur Michael Jackson a aussi choisi de représenter les habitants de l’Égypte antique uniquement par des acteurs noirs, avec le comédien Eddie Murphy et le mannequin Iman dans le rôle du pharaon et de sa femme.
D’autres ont poussé leur fascination pour l’Égypte ancienne encore plus loin et en ont fait une religion : le kémitisme. Cette forme de spiritualité, qui a vu le jour durant les années 1970 aux États-Unis, s’inspire des croyances qui avaient cours durant l’Antiquité.
Des groupes plus marginaux, comme le Nuwaubian Nation of Moors, qui est considérée comme une secte, vont même jusqu’à adopter un habillement inspiré de celui des pharaons.
La chercheuse Dianne Stewart ne s’étonne pas de l’émergence de tels mouvements. « Ils veulent affirmer leur relation avec le continent africain en termes d’héritage culturel religieux. Et c’est important, parce qu’il y a une époque où ils ne pouvaient pas le faire, dit-elle. Quand vous êtes un esclave, une propriété que l’on peut déplacer, que l’on peut donner ou vendre, votre humanité est constamment remise en question. Vous devez alors travailler fort pour affirmer votre identité en tant que peuple. »
Cet attachement fort envers l’Égypte antique trouve aussi écho chez les militants afrocentristes français comme ceux de la LDNA, comme l’explique Émilien Missuma. « Quand on retrouve sa conscience historique, on réalise que l’Égypte fait partie de l’histoire africaine, dit-il. L’Égypte, c’est de là que tout est parti en fait. C’est l’Égypte qui a donné la science, les mathématiques, l’astronomie et la philosophie, à l’Occident. »
L’égyptologue Jean Revez comprend l’intérêt de groupes militants noirs aux États-Unis et en France pour l’Égypte antique, mais selon lui, il est essentiel de s’en tenir aux faits prouvés historiquement. « Je ne nie pas la part africaine de l’Égypte ancienne, dit-il. Elle existe, mais de là à vouloir politiser le débat et de ne faire de l’Égypte qu’une terre africaine, c’est aller trop loin. » Il souhaite toutefois que l’on accorde plus d’importance à l’étude de ce pan de l’histoire.
« L’Afrique doit être effectivement enseignée davantage dans les écoles, conclut M. Revez, et on doit faire une place plus grande à l’histoire africaine au sein même de l’histoire universelle. »