Le président peut-il sauver la jeunesse mexicaine?
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Le président du Mexique, Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO), doit en grande partie son élection au vote de la jeunesse. Mais, neuf mois après le scrutin, des jeunes Mexicains sont partagés à son égard. Témoignages.
La jeunesse forme plus du quart de la population mexicaine, qui s’élève à 120 millions de personnes. Ça fait beaucoup de monde, trop même, selon certains experts. Difficile de trouver un emploi pour tous ces jeunes, d'autant que la moitié d’entre eux grandissent dans des conditions de pauvreté.

Quel avenir attend ces enfants d’un quartier défavorisé?
Photo : Radio-Canada / Michel Labrecque
Ce sera un défi majeur pour AMLO, 66 ans, qui promet de transformer le Mexique de fond en comble.
Le président souhaite mettre fin à la violence et à la corruption, ainsi que réformer l’éducation et l’emploi pour sortir les gens de la pauvreté. Et les attentes des jeunes qui l’ont élu sont très élevées.
Le reportage de Michel Labrecque est diffusé le 7 avril à Désautels le dimanche sur ICI PREMIÈRE, dans le cadre de la série Le Mexique, entre l'ombre et la lumière.
Le quintette de Guadalajara
À des fins radiophoniques, nous avons rencontré un groupe de jeunes Mexicains francophones, tous nés à Guadalajara, deuxième ville en importance du Mexique. Ils ont tous vécu à l’étranger, mais ils sont tous revenus à la maison.

De gauche à droite : Mariana Mora, Paola Palomar, Jorge Padilla, Juan-Ignacio Orozco et Daniel Palacios
Photo : Radio-Canada / Angel Melgoza
Ils sont éduqués, ils appartiennent à la classe moyenne, et tous conviennent qu’ils vivent dans une « bulle », ces quartiers aisés où foisonnent les restaurants et l’offre culturelle. La majorité d'entre eux a voté pour AMLO.
Le Mexique, c’est un vrai bordel. Il y a des problèmes partout : la violence, la corruption, l’éducation, tout va mal. Mais avec ce changement de président, il y a de l’espoir. Et si ça ne fonctionne pas, ce sera vraiment un gros problème.
Journaliste multimédia à Guadalajara, Mariana Mora abonde dans le même sens. « La période actuelle est peut-être la pire de l’histoire du Mexique, avec tous ces morts et disparus; mais c’est peut-être un moment de changement décisif. Et notre génération aspire au changement », croit-elle.
« Sur certains plans, AMLO est une catastrophe : il veut lutter contre la pauvreté, mais ses programmes d’infrastructures et d’aide ne sont pas clairs, affirme quant à lui Jorge Padilla, qui travaille comme architecte à Guadalajara. Il nous force à réfléchir sur les inégalités », ajoute-t-il.
Ça n’a aucun sens qu’autant de gens vivent encore dans une telle pauvreté.
« Nous, qui sommes éduqués et qui avons un esprit critique, avons la responsabilité de servir de contrepoids aux politiques d’AMLO pour l’aider à faire les bons choix, croit pour sa part Juan Ignacio Orozco, qui travaille aussi comme architecte. AMLO est honnête, dit-il, mais l’ensemble de la classe politique reste la même. Donc, le changement n’ira pas nécessairement très vite. »
« Nous sommes tous dans l’expectative face à AMLO, car nous ne savons pas comment les changements vont nous toucher », enchaîne Daniel Palacios, un autre architecte.
« Je pense que notre génération peut contribuer à changer beaucoup de choses, entre autres la façon de concevoir les villes mexicaines qui, en ce moment, ne sont pas conçues pour leurs habitants », soutient-il.
Le « jeune » d’AMLO
Guillermo Rafael Santiago Rodriguez est tombé tôt dans la marmite de la politique. Il a été militant étudiant, puis il est devenu le plus jeune député de l’histoire du Mexique en 2015. Il avait 22 ans.

Guillermo Rafael Santiago Rodriguez dans l'exercice de ses fonctions.
Photo : Elalexissanchez/Wikimedia Commons
Il s'est ensuite joint au Mouvement pour la régénération nationale (le parti Morena) d’Andres Manuel Lopez Obrador. Après la victoire décisive de juillet dernier et l’arrivée du nouveau gouvernement, en décembre, AMLO lui a confié la direction de l’Institut mexicain de la jeunesse, l’organisme gouvernemental qui définit les politiques de la jeunesse.
Nous l’avons rencontré à Mexico, alors qu’il entreprenait une vaste tournée du pays pour rencontrer les jeunes.
« L’insécurité, l’emploi et l’éducation, ce sont les trois priorités des jeunes », lance M. Santiago.
Les jeunes ne peuvent pas imaginer l’avenir, parce qu’il y a une incertitude généralisée. Il n’y a pas de sécurité sociale, pas d’emplois. Nous voulons rejoindre les jeunes les plus vulnérables, les plus pauvres, parce que si nous n’aidons pas ces jeunes marginaux, c’est le crime organisé qui va les embaucher.
Le nouveau gouvernement a mis en place des programmes de subventions et de bourses pour permettre à 2 millions de jeunes d’obtenir un emploi ou de retourner aux études.
AMLO a aussi promis de créer 100 universités publiques dans des endroits particulièrement défavorisés. Personne ne met en doute les bonnes intentions du gouvernement, mais beaucoup de jeunes se demandent si ces solutions ne sont pas simplistes. Quelles seront ces universités? A-t-on les effectifs pour les créer?
De nombreux jeunes se questionnent aussi sur l’obsession d’AMLO à promouvoir le pétrole, un des atouts économiques du Mexique. Ne devrait-on pas parler davantage de changements climatiques?
Mais si vous racontez tout ça à M. Santiago, il vous dit gentiment que vous êtes victime de désinformation. Qu’il faut maintenant regarder les priorités à partir d’en bas, non pas d’en haut.
Les jeunes « futuristes »
Pedro Kumamoto a fait l’histoire malgré lui, en devenant le premier député indépendant élu au Parlement de l’État du Jalisco, en 2015.

Suzana Ochoa et Pedro Kumamoto, fondateurs du parti Futuro
Photo : Radio-Canada / Michel Labrecque
« Au début de la campagne, les sondages disaient que je n’allais recevoir aucun vote », dit-il en rigolant. On était « des jeunes sans expérience, sans argent, on a gagné en misant sur l’honnêteté et la transparence ».
La réputation de Kumamoto a vite dépassé Guadalajara et le Jalisco. Il est devenu un symbole de l’implication des jeunes en politique au Mexique.
Aujourd’hui, il a 29 ans. Il a reçu une dose de réalité en mordant la poussière en tentant de devenir sénateur en 2018. Mais Kumamoto rêve toujours de faire de la politique différemment. Il a décidé de fonder un parti, qui portera le nom de Futuro (Avenir).
Suzana Ochoa a travaillé avec Pedro Kumamoto et s’est présenté comme députée indépendante l’an dernier : elle a perdu de peu. Avec d’autres, ils ont convenu qu’il ne suffisait plus d’être des « indépendants ». Il fallait créer un parti qui « transforme les bases de la politique ».
C’est ce que je veux faire de ma vie. Utiliser la politique pour transformer le développement du Mexique et changer la façon dont nous vivons. Nous voulons aussi un parti féministe. Il faut changer la façon verticale, autoritaire et violente qui caractérise la politique dans notre pays.
Futuro, dont le cadre se limite pour le moment à l’État du Jalisco (8 millions d’habitants) se défend bien d’être un « parti de jeunes »; sauf que la grande majorité des fondateurs a moins de 35 ans.
Comme génération, nous sommes plus conscients de certains enjeux, comme l’égalité entre les sexes, la justice sociale, l’environnement ou la technologie. Cela fait en sorte que, parfois, nous mettons sur la table des solutions plus complexes que celles de nos aînés.
Ils veulent un Mexique sans corruption, moins inégalitaire et plus vert. Alors, pourquoi ne pas rejoindre AMLO et son parti, Morena?
« Il y a des choses qui m’enthousiasment, mais d’autres qui me font peur », admet Suzana Ochoa. Elle pense entre autres au projet de Garde nationale qui enverra l’armée dans les rues. Une militarisation du pays en douce?
« Ce n’est pas un changement systémique », ajoute Pedro Kumamoto. Une façon de dire qu’au fond, AMLO est un vieux politicien. Et son parti aussi.
- Avec la collaboration d'Angel Melgoza et d'Alix Hardy