Baisser les impôts des entreprises : cadeau aux riches ou dopant économique?

Jason Kenney propose de diminuer l'impôt sur les revenus des entreprises pour stimuler la croissance et la création d'emplois.
Photo : Radio-Canada / Axel Tardieu
Prenez note que cet article publié en 2019 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Les chiffres que fait miroiter Jason Kenney sont du bonbon pour une province qui souffre depuis près de cinq ans de difficultés économiques. Le chef du Parti conservateur uni (PCU) de l'Alberta propose de baisser l'impôt sur les sociétés de 12 % à 8 % en quatre ans. Ce qu'il espère en retour? La création de plus de 55 000 emplois et l'injection de 13 milliards de dollars dans l'économie albertaine. Mais est-ce réaliste?
C’est compliqué
Poser la question, c’est ouvrir une boîte de Pandore dans les théories économiques. Le problème, explique l’économiste de l’Université de Calgary Trevor Tombe, c’est que l’économie ne fonctionne pas en vase clos. Si on baisse les impôts et que les emplois augmentent, est-ce dû à cette bonne idée ou, par exemple, à la soudaine remontée des prix du pétrole?

Le professeur d'économie Trevor Tombe
Photo : Radio-Canada / Jocelyn Boissonneault
Le lien de cause à effet paraît logique au premier abord. Baisser l’impôt donne plus d’argent aux entrepreneurs qui peuvent investir dans la croissance de leur entreprise et la création d’emplois. C’est la théorie du ruissellement.
Des appuis de renom
Le Parti conservateur uni avance aussi que, avec un impôt de sur les sociétés de 8 %, l’Alberta serait plus compétitive que toutes les autres provinces et la grande majorité des États américains.
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Le PCU appuie sa proposition sur les travaux d’économistes réputés tels que Jack Mintz et Bev Dahly. La baisse du taux d’imposition des entreprises fait également partie des propositions souhaitées par les chambres de commerce de Calgary et d’Edmonton.
L’estimation du PCU est défendable.
Plusieurs études empiriques, notamment de l’École de politiques publiques de l’Université de Calgary, soutiennent la thèse avancée par le PCU, estime l’économiste de l’Université de Calgary.
« Attention, ce n’est pas une garantie que cela va vraiment se produire », prévient-il.
L’exemple des États-Unis
L’exemple le plus souvent cité est celui des États-Unis. Le prix Nobel d'économie Paul Krugman s’est élevé contre les réductions draconiennes d’impôt décrétées par le président américain, Donald Trump. Selon lui, la théorie du ruissellement ne fonctionne pas.

Donald Trump a aussi baissé les impôts sur les entreprises, mais les résultats ont été mitigés.
Photo : Reuters / Carlos Barria
La Réserve fédérale américaine a également montré que la mesure fonctionne seulement si elle est appliquée en période de récession. Or l’Alberta n’est pas, à proprement parler, en récession.
Trevor Tombe affirme toutefois qu'il ne faut pas transposer les exemples internationaux de notre côté de la frontière. « Les capitaux bougent plus facilement entre différentes provinces qu’entre différents pays », note-t-il.
À quel prix?
Le directeur de l’Observatoire québécois des inégalités, Nicolas Zorn, est l’un de ceux qui ne croient pas à l’efficacité du taux d’imposition sur la croissance économique.
Les décisions des entreprises ne sont pas basées sur leur coût, mais sur les occasions d’affaires qu’elles ont.
L’accès à des marchés et à de la main-d’oeuvre qualifiée sont des critères, selon lui, plus importants que les taxes dans les décisions d’investissement des entreprises.
Il ajoute qu’une diminution du taux d’imposition a pour conséquence une baisse des revenus du gouvernement provincial. « Ce serait bien de spécifier quels types de dépenses écoperont », observe-t-il.
Le PCU prévoit ainsi un manque à gagner de 1,76 milliard de dollars en 2022-2023 lorsque la réduction sera pleinement mise en place. Le PCU soutient toutefois que la création d’emplois et la croissance créées par la mesure permettront de compenser ce manque à gagner.
Et pas la meilleure décision d’investissement
La fiscaliste Brigitte Aleppin s’inquiète aussi des conséquences de cette course à l’impôt le plus bas. Les pays de l’OCDE ont déjà baissé leur taxation de 50 % dans les 20 dernières années, observe-t-elle.
Rien n’empêchera les autres provinces d’appliquer des baisses similaires si l’Alberta se dirige vers un taux d’imposition de 8 % des revenus des entreprises.
C’est inévitable. Pourquoi les citoyens et les politiciens de l’Alberta seraient-ils les seuls à penser à cette bonne idée là?
Des bénéfices sont donc possibles, mais à quel prix et pour combien de temps? Aucun économiste ne peut le prédire.